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Quelles leçons tirer de l’épidémie de Covid-19 ?

Publié en ligne le 6 février 2022 - Covid-19 -
Introduction du dossier

La crise sanitaire provoquée par l’épidémie de Covid-19 va entrer dans sa troisième année. C’est en Chine, en décembre 2019, qu’est identifié un « groupe de patients atteints de pneumonie de cause inconnue », cause que l’on attribuera, grâce à une analyse génétique sur des prélèvements biologiques, à un coronavirus inconnu jusque-là [1]. En janvier 2020, le pays met en place un confinement sévère dans plusieurs villes, puis dans toute la région de Wuhan. Le même mois, les premiers cas hors de Chine sont identifiés. L’épidémie se propage alors comme une traînée de poudre. Le 11 mars 2020, l’Organisation mondiale de la santé recense 118 000 cas dans 114 pays, comptabilise 4 291 décès ainsi que de très nombreux patients en situation critique dans les hôpitaux, et déclare que l’épidémie causée par ce nouveau coronavirus est passée au stade de pandémie [2]. À ce jour, le virus a atteint tous les pays du monde, infectant plus de 250 millions de personnes et provoquant le décès de plus de cinq millions d’entre elles [3].

En trois ans, les connaissances scientifiques sur un virus jusqu’alors totalement inconnu ont progressé de façon impressionnante sur son mode de propagation ou sur les infections qu’il provoque (voir par exemple le fil d’actualité de l’Institut Pasteur [4]). Des avancées majeures ont été réalisées en termes de prise en charge, de traitement, mais surtout de prévention avec la vaccination (à ce jour, plus de huit milliards de doses ont été injectées [3]). Pour autant, le virus reste encore bien mystérieux sur de nombreux points.

Ces avancées spectaculaires ne doivent cependant pas masquer le fait que la connaissance scientifique ne se constitue pas de façon linéaire : elle se consolide par une succession d’avancées, de remises en question, de doutes et d’hésitations. La décision politique (à laquelle la science apporte un éclairage partiel) est rendue plus délicate car elle ne peut pas s’appuyer sur des certitudes pour arbitrer entre différentes alternatives.

Ainsi, dans notre éditorial d’avril 2020, nous indiquions déjà que « toute décision d’ordre sanitaire a forcément des effets collatéraux qu’il s’agit de prendre en compte. La réduction des échanges internationaux et le ralentissement économique mondial ont des impacts qui ne sont pas que financiers : ils peuvent conduire à d’autres effets sanitaires difficiles à chiffrer et qui ne seront pas comptabilisés dans le bilan de la maladie. » Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, l’Unicef (Fonds des Nations unies pour l’enfance) note-t-il [5], plus de dix-huit mois après le début de la pandémie, que les taux de malnutrition sont en augmentation dans le monde, que 23 millions d’enfants n’ont pas bénéficié des vaccinations de routine (soit 3,7 millions de plus qu’en 2019), que 140 millions d’enfants supplémentaires dans les pays en développement grandissent dans des familles vivant en dessous du seuil de pauvreté et que les écoles sont restées complètement fermées pour près de 77 millions d’élèves dans le monde.

Autre particularité de la crise que nous traversons : la science progresse à « ciel ouvert ». Elle est observée et disséquée en temps réel par une opinion publique qui a découvert les concepts d’essais cliniques randomisés, de groupe contrôle, qui a perçu la fragilité et la complexité de l’évaluation par les pairs et qui a constaté que le monde scientifique (qui fait partie du monde réel) n’est pas exempt de mauvaises pratiques, voire de fraudes. Les médias et les réseaux sociaux, pour le meilleur et pour le pire, se sont faits la caisse de résonance d’un bouillonnement où se mêlent science complexe (vaccins à ARN messager, réactions du système immunitaire), enjeux financiers colossaux et problématiques sociales majeures sur fond d’information et de désinformation.

Porter un regard sur le passé ne consiste pas, pour nous, à distribuer des bons et des mauvais points ou à juger de la manière dont l’épidémie a été gérée. Notre propos porte sur l’analyse de la place de la science et son interaction avec la société (la décision politique, l’opinion publique, les médias…). C’est dans cet esprit que nous publions dans ce numéro un premier article, sous forme de « point de vue », rédigé par un acteur fortement impliqué sur le sujet au sein de l’Académie nationale de médecine (article d’Yves Buisson « Les insuffisances scientifiques pendant la Covid-19 »).

Une vaccination, Anna Ancher (1859-1935)

La plupart des décisions prises ont fait l’objet de controverses : confinement, port du masque, pass sanitaire, vaccination, restrictions sur les voyages, protocoles sanitaires dans les écoles, fréquentation des lieux publics, etc. La communication autour du risque occupe une place centrale dans la mise en œuvre des mesures décidées. En effet, les comportements des individus (décision de se faire vacciner ou non, d’accepter ou non le pass sanitaire, par exemple) sont largement déterminés par leur perception du risque (et, en particulier, du rapport bénéfice-risque personnel). Comment communiquer dans un contexte où « la connaissance n’efface pas la croyance, tout comme la raison ne supprime pas les émotions » [6] ? Il est ainsi possible que « beaucoup de gens aient effectivement eu tendance à sous-estimer (puis à surestimer) non pas le risque réel (mal connu), mais les messages délivrés ». Il ne s’agit cependant pas de ramener l’explication aux seuls biais cognitifs [7]. Une communication bien élaborée se doit de prendre en compte, non seulement le contenu du message, mais aussi la façon dont ce contenu va être perçu et pris en compte par le récepteur.

Cette situation de crise, qui perdure, est propice à la propagation de toutes sortes de fausses informations et fournit un terreau favorable pour les promoteurs de traitements et de remèdes « miracles » [8] (parfois promus par des membres éminents de la communauté scientifique, comme dans le cas de l’hydroxychloroquine). Dans ce contexte, le fléau des faux vaccins, phénomène déjà ancien, prospère dans les pays pauvres, mais pas exclusivement (voir l’article de Pierre Saliou, Quentin Duteil et Marc Gentilini « Le fléau de la falsification des vaccins »).

Références


1 | Zhu et al. (for the China Novel Coronavirus Investigating and Research Team), “A Novel Coronavirus from Patients with Pneumonia in China, 2019”, The New England Journal of Medicine, 2020, 382 :727-33.
2 | « Allocution liminaire du directeur général de l’OMS lors du point presse sur la Covid-19 », 11 mars 2020. Sur who.int
3 | Coronavirus Resource Center, John Hopkins University. Sur coronavirus.jhu.edu
4 | Institut Pasteur, « Actualités Covid-19 », 2021. Sur pasteur.fr
5 | Unicef, “Hidden impacts of the pandemic we’re not talking about enough”, 20 septembre 2021. Sur unicef.org
6 | Setbon M, Face au risque sanitaire – Perceptions, émotions, décisions, Elsevier Masson, 2021.
7 | Dieguez S, « Quelle place pour la psychologie scientifique dans la pandémie de Covid-19 ? », Science et pseudo-sciences n° 333, juillet 2020. Sur afis.org
8 | « Face au Covid-19, les médecines alternatives font recette », Le journal du dimanche, 19 août 2021. Sur lejdd.fr


Thème : Covid-19

Mots-clés : Science