Accueil / Notes de lecture / Évolution, écologie et pandémies

Évolution, écologie et pandémies

Publié en ligne le 30 novembre 2021
Évolution, écologie et pandémies
Faire dialoguer Pasteur et Darwin
Samuel Alizon
Seuil, 2020, 284 pages, 8,80 €

Ce livre est une version actualisée d’un ouvrage de 2016 alors intitulé C’est grave, Dr Darwin ? L’évolution, les microbes et nous. Sa réédition (augmentée d’une postface et assortie d’une modification du titre) se comprend aisément et se justifie à la lumière de la pandémie de Covid-19, pour laquelle ce texte apporte des éléments de compréhension bien plus profonds et durables que les nombreuses opérations éditoriales opportunistes qui ont fleuri dès les premiers mois de l’épidémie 1. Samuel Alizon, directeur de recherche au CNRS et épidémiologiste, peut se targuer d’avoir attiré l’attention en 2016 sur le genre de phénomènes qui a fait la Une de l’actualité depuis janvier 2020, avec en main une grille de lecture sur ce qui est, mais aussi sur ce qu’il faudrait (mieux) faire.

Comme l’indique son sous-titre à propos du dialogue entre Pasteur et Darwin, le livre plaide pour une meilleure prise en compte des logiques évolutionnistes dans la gestion et la prévention des épidémies. La démonstration repose sur une forte dimension historique (souvent tout aussi absente des formations scientifiques que ne l’est la théorie de l’évolution dans les études de médecine, selon ce qui est rapporté par l’auteur), ce qui permet pour les thèmes évoqués de voir comment on sait ce que l’on sait, comment tel problème a été résolu, ou comment tel autre problème a émergé par la suite. Le lecteur découvre le « comment » en même temps qu’il apprend le « par qui », avec en continu des présentations de travaux menés par tel ou tel chercheur, dans des domaines directement liés au sujet ou qui peuvent utilement l’éclairer – il est par exemple plusieurs fois fait mention de la théorie mathématique des jeux, dont les investigations sur les interactions stratégiques des différents agents dans un système peuvent éclairer les réactions ou les conséquences possibles aux décisions que l’on prend. Sont ainsi évoquées au fil des pages la résistance des parasites, leur virulence et ses mécanismes, l’origine des maladies infectieuses, la possibilité de les prévoir ou encore celle d’anticiper des phénomènes évolutifs. Le propos revient souvent à mettre en doute la pertinence d’une « course aux armements » à courte vue entre l’immunité humaine et les parasites qui nous menacent, au profit de stratégies qui d’emblée prennent mieux en compte les phénomènes évolutifs et les pensent sur le long terme. Certains développements se répètent parfois un peu d’un chapitre à l’autre (par exemple sur l’écologie du moustique-tigre), mais cela est finalement plutôt bénéfique pour le lecteur béotien et lui évite d’être dépassé par l’exposition des arguments.

Il peut néanmoins arriver au détour d’une phrase que le lecteur averti s’étonne de telle ou telle référence, par exemple à propos des films de zombies 2. Certains passages sont si l’on ose dire particulièrement savoureux, comme celui à propos de l’usage des crottes de singe pour reconstruire l’histoire du parasite responsable du paludisme. Dans celui consacré à l’épidémie de Chinkungunya à la Réunion en 2005 et la manière dont il a pu se répandre, on apprendra qu’avoir pour hôte un moustique qui aime piquer à l’heure de l’apéritif est pour un virus un avantage évolutif manifeste.

Cependant certaines références affaiblissent parfois le propos : si l’évocation de la « stratégie du choc » de Naomie Klein apparaît simplement peu utile et destinée surtout à caresser dans le sens du poil un lectorat altermondialiste, que dire alors de celle de l’« épistémologue André Pichot » ? Il est pour le moins surprenant, dans un livre qui s’efforce de revaloriser la place de la théorie de l’évolution en médecine, de s’appuyer ainsi sur un penseur qui, depuis les années 1990, a pour fonds de commerce la dénonciation du darwinisme et de la génétique, avec des ouvrages tels que La société pure : de Darwin à Hitler (sic).

En 2016, S. Alizon concluait son texte autour de l’idée suivante : « Je pense qu’il est urgent de laisser les évolutionnistes contribuer aux débats mettant en jeu leur expertise, même si les sujets impliquent des maladies humaines. » Elle était également formulée ailleurs sous la forme : « Sans une compréhension globale des écosystèmes, de leur écologie et de leur évolution […] il sera impossible de contrôler durablement les maladies infectieuses. » Le message final dans les toutes dernières lignes était le suivant : « Ceux qui prétendent que dans le futur nous serons en mesure d’éradiquer tous les parasites sont des charlatans. Il se trouvera toujours un variant pour se situer hors de la course coévolutive précédente ou il se trouvera toujours un mutant qui contrecarrera nos politiques de santé publique. »

La postface de 2021, consacrée à la situation révélée par la Covid-19, est très intéressante. L’auteur y livre un plaidoyer pour la recherche fondamentale, avec à l’appui des exemples précis de projets d‘études refusés il y a plusieurs années et qui se sont pourtant avérés très pertinents pendant l’épidémie. Le bilan tiré apparaît pessimiste : « Il serait trompeur de croire que la pandémie servira de leçon et que la science s’en trouvera renforcée. Elle pourrait, au contraire, en être une des principales victimes collatérales. » Il est logiquement fait référence au foisonnement d’études de mauvaise qualité ou de fraudes (notamment autour de l’hydroxychloroquine), à des évolutions récentes de l’édition scientifique qui apparaissent négatives – avec une inflation voire une « bulle spéculative » de la publication d’articles – , à l’organisation de la recherche par le politique, etc. L’auteur estime que le vaccin est sans doute « le moyen le plus sûr de sortir de la crise », mais il plaide aussi pour des interventions non pharmaceutiques qui visent à empêcher la circulation du virus ; il stigmatise les politiques prônant la « liberté individuelle » menées par des dirigeants tels que Donald Trump ou Jair Bolsonaro, qui ont contribué à alourdir le bilan de l’épidémie. Il défend aussi l’usage bien compris des modèles prédictifs et indique que si les décisionnaires politiques les avaient mieux pris en considération, certaines interventions préventives non pharmaceutiques (port du masque, interdiction des grands rassemblements…) auraient pu améliorer le bilan humain en étant utilisées plus tôt. De même, le paragraphe « Face à l’inconnu, le saut dans l’irrationnel » rappelle que « nombre d’observateurs ont sous-estimé l’impact de l’épidémie » sur le plan sanitaire.

Armé de toutes ces observations, on ne peut s’empêcher de remarquer que dans le texte de 2016, le scientifique peut-être le plus souvent cité (après Pasteur et Darwin !) est l’écologue Pierre-Henri Gouyon, qui y incarne à plusieurs reprises, et en conformité avec le « message » délivré par l’ouvrage, la figure de l’évolutionniste compétent en mesure d’avertir ses collègues trop réductionnistes de tel ou tel danger qu’ils ne soupçonnaient pas, que ce soit à propos des OGM, de la résistance aux antibiotiques ou aux peptides antimicrobiens. Sauf que l’histoire récente a montré que cette prudente lucidité vantée en 2016 ne s’est pas mécaniquement traduite dans les faits lors de l’épidémie de Covid 3.

La postface du livre aurait peut-être donc pu ou dû revenir sur le cas de ce scientifique particulièrement mis en avant dans son propos initial. Il semble bien que la culture évolutionniste de l’écologue ne suffise pas à proposer un chemin raisonnable en temps d’épidémie, et que la lucidité puisse être perturbée par d’autres considérations que l’on pourra qualifier de… parasites.

1 On pense entre autres à la Vengeance du Pangolin de Michel Onfray ou Ce virus qui rend fou de Bernard-Henri Levy, parus respectivement en septembre et même juin 2020 !

2 Par exemple page 114, lorsque, à propos d’un modèle d’épidémie de zombies, il est mentionné le diptyque cinématographique constitué par « les films de Romero 48 Days Later et 48 Weeks Later  ». Or, chacun sait que le titre du premier épisode est plutôt 28 Days Later, et que tout cela ne doit rien à la caméra de George A. Romero, qui est en fait l’auteur d’une autre trilogie. C’est un peu comme si l’on attribuait la paternité de L’Origine des espèces à Louis Pasteur ! On en frémit.

3 Le 10 septembre 2020, alors que commençait à déferler la deuxième vague, une tribune de 35 chercheurs, dont Pierre-Henri Gouyon et Laurent Muchielli, demandait au gouvernement de ne surtout pas en faire trop en matière d’interventions non pharmaceutiques et d’arrêter d’affoler les populations. https://www.leparisien.fr/societe/covid-19-nous-ne-voulons-plus-etre-gouvernes-par-la-peur-la-tribune-de-chercheurs-et-de-medecins-10-09-2020-8382387.php