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Du nouveau sur l’effet placebo ?

Publié en ligne le 19 janvier 2024 - Cerveau et cognition -

Nous avons déjà publié des articles sur la notion d’effet placebo, effet par lequel une méthode thérapeutique n’ayant pas d’efficacité propre ou spécifique permet néanmoins un changement d’état clinique [1, 2]. Cet effet placebo n’étant pas nécessairement dû à l’administration de gélules dénuées de principe actif, mais à tout le contexte de la prescription médicale, certains plaident pour qu’il soit plutôt appelé « effet contextuel ». Mais c’est « effet placebo » qui est encore fréquemment utilisé en pratique, ce que nous faisons ici aussi.

L’effet placebo est un pilier des essais cliniques. La validité d’une méthode thérapeutique est testée par la mise en œuvre d’un protocole « en double aveugle contre placebo » 1, c’est-à-dire que ni le patient, ni le soignant ne connaissent la composition de ce qui est administré.

De cette façon, on peut valider les méthodes thérapeutiques ayant une efficacité propre et les intégrer à la médecine. Et l’on peut aussi maintenir à l’écart de la médecine les méthodes « alternatives et complémentaires » si elles n’ont aucune autre efficacité que celle de l’effet placebo [3].

Mais au-delà des essais cliniques, quelle place peut-on accorder au placebo dans la pratique thérapeutique ? Il y a en effet un problème éthique à utiliser une méthode dont l’efficacité propre est inexistante : le praticien est tenu de prétendre à son patient qu’il utilise une méthode qui est efficace. On parle dans ce cas de « placebo mensonger » ou « trompeur » [4].

En effet, pendant longtemps – et la croyance est encore répandue aujourd’hui – on a pensé que le placebo perdrait toute efficacité si le patient savait qu’il ne prenait qu’un placebo. Cependant, en 2010, une première étude montre que l’effet placebo conserve une certaine efficacité même si les patients sont informés que le traitement utilisé ne possède aucune efficacité propre [5] ! C’est le concept de « placebo ouvert » 2. L’étude a été effectuée avec des patients atteints du syndrome du côlon irritable qui ont vu leur état s’améliorer par rapport à un groupe de patients sans traitement. D’autres études ont été conduites depuis et l’effet d’un placebo ouvert a été confirmé par une méta-analyse publiée en 2021 [6].

Un article du journal du CNRS mis en ligne récemment apporte des précisions, quant à envisager l’utilisation d’un placebo comme outil thérapeutique [4]. L’inconvénient d’un placebo ouvert est qu’il semble être moins efficace qu’un placebo mensonger. Des chercheurs de l’université Grenoble Alpes ont alors émis l’hypothèse qu’il serait possible de compenser cet écart en accompagnant la prescription d’explications sur le phénomène de l’effet placebo et des mécanismes sous-jacents. Les chercheurs parlent dans ce cas de « placebo éduqué ». Le protocole de recherche a été publié préalablement en 2020 [7] et consiste à tester le ressenti d’une douleur provoquée [4] : « Tous les participants ont commencé par visionner une vidéo : pour le groupe “placebo éduqué”, un film expliquant les mécanismes de l’effet placebo, et pour le second groupe, une vidéo “contrôle” sur le lavage des mains. » La stimulation douloureuse a été suivie de l’application d’une crème neutre (sans substance active). Le groupe « placebo éduqué » en a été informé, alors que le second groupe s’est vu présenter la crème comme ayant un effet antalgique. Il s’agissait donc de comparer l’effet d’un placebo éduqué à celui d’un placebo mensonger. Entre les deux groupes, les patients ont rapporté des niveaux de douleur équivalents.

Ces données semblent montrer que prendre le soin de renseigner sur les mécanismes de l’effet placebo permet de retrouver une efficacité similaire à celle d’un placebo mensonger.

Ces résultats sont en cours de publication et l’intérêt d’administrer un placebo éduqué devra être confirmé. On pourrait par exemple conduire des études avec quatre groupes de patients : « sans placebo », « à placebo mensonger », « à placebo ouvert non éduqué », « à placebo ouvert éduqué », pour étudier plus en détails les rouages de l’effet placebo. Nul doute que ces résultats entraîneront d’autres d’études, faites sur de vraies pathologies et plus seulement avec une douleur provoquée.

Références


1 | Brissonnet J, « Placebo, es-tu là ? », SPS n° 294, janvier 2011.
2 | Brissonnet J, « L’effet placebo bouge encore », SPS n° 298, octobre 2011.
3 | Ernst E, « Médecines alternatives : à la recherche de résultats positifs », SPS n° 344, avril 2023.
4 | Bettayeb K, « L’effet placebo en toute transparence », CNRS, Le journal, 2 mai 2023. Sur lejournal.cnrs.fr
5 | Kaptchuk TJ et al., “Placebos without Deception : A Randomized Controlled Trial in Irritable Bowel Syndrome”, PLoS ONE, 2010, 5 :e15591.
6 | von Wernsdorff M et al.,“Effects of open-label placebos in clinical trials : a systematic review and meta-analysis”, Sci Rep, 2021, 11 :3855.
7 | Druart L et al., “Can an Open-Label Placebo Be as Effective as a Deceptive Placebo ? Methodological Considerations of a Study Protocol”, Medicines, 2020, 7 :3.

1 Dans les situations où il existe déjà un médicament efficace, le candidat médicament n’est pas testé contre placebo, mais contre ce médicament déjà existant.

2 C’est l’expression en usage en français. À partir de l’expression en anglais « open-label placebo », on pourrait préférer traduire par « placebo honnête ».

Publié dans le n° 346 de la revue


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L' auteur

Kévin Moris

Kévin Moris est ancien élève de l’École normale supérieure de Cachan et diplômé de l’École nationale supérieure de (…)

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