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De l’esprit au cerveau

Publié en ligne le 12 novembre 2019
De l’esprit au cerveau
Thierry Ripoll
Éditions Sciences Humaines, 2018, 336 pages, 20 €

Dans un livre à destination d’un public aguerri, Thierry Ripoll passe en revue l’histoire philosophique et scientifique du dualisme.

La moitié des Européens, trois-quarts des Américains et la majorité des habitants d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud croient en une forme de vie après la mort. Plus généralement, la croyance en l’existence d’entités immatérielles qui exercent une influence causale sur nos comportements (comme l’âme) est universelle et repose sur l’intuition que l’esprit est distinct du corps. Bien des philosophes, tels Aristote et Platon, qui pensaient que tous les organismes vivants sont dotés d’une âme qui périt après la mort ou migre vers un autre corps, se sont égarés sur le chemin du dualisme corpsesprit. Mais c’est principalement aux réflexions de René Descartes que l’on doit le dualisme contemporain.

Après un examen de la thèse dualiste, on se rend rapidement compte qu’elle est chargée d’incohérences internes et requiert un nombre très important d’hypothèses ad hoc, introduites pour préserver coûte que coûte un semblant de cohérence. Par exemple, si l’esprit est distinct du corps, est-il assez rapide pour nous suivre lorsqu’on voyage en avion ? Si l’esprit est de nature immatérielle, comment exerce-t-il une action causale sur la matière ? L’idée de l’âme et de l’esprit pose plus de questions qu’elle n’en résout. Ces concepts superflus ne résistent ni à l’impitoyable rasoir d’Ockham 1, ni aux avancées récentes en sciences cognitives. Il n’y a pas de fantôme dans la machine. Étant donné que la majorité des opérations mentales que nous réalisons sont inconscientes, il est impossible de réduire le cerveau à une machine passive hantée par un esprit conscient. Le physicalisme, qui tient l’esprit pour matériel au même titre que le corps, est aujourd’hui la position philosophique dominante.

Cependant, la science n’est pas encore capable d’établir une correspondance directe entre nos états mentaux et les substrats neurologiques sur lesquels ils reposent. L’origine de nos expériences conscientes ainsi que leurs phénoménologies sont difficiles à expliquer en termes purement physicalistes. C’est dans ce fossé explicatif que bien des thèses dualistes s’engouffrent en brossant nos intuitions dans le sens du poil.

Ce dualisme spontané découle de notre capacité à attribuer des états mentaux à nos semblables, qui, à la différence des objets inanimés, sont mus par des désirs et des intentions. C’est pour cette raison que nos intuitions dualistes se développent en parallèle de nos compétences sociales, les enfants étant bien plus physicalistes que les adultes. Et malheureusement, nos connaissances réflexives physicalistes ne peuvent empêcher nos intuitions de se manifester car elles reposent sur des réseaux de neurones encapsulés et inflexibles.

Au fil du livre, l’auteur aborde également des thématiques passionnantes telles que le libre arbitre, la conscience, l’intelligence artificielle ou encore l’origine des croyances religieuses.

1 Principe de parcimonie conceptuelle, ou de simplicité, au centre de la démarche scientifique, selon lequel les meilleures explications sont celles qui rendent compte d’un phénomène en invoquant le plus petit nombre d’hypothèses ad hoc.

Publié dans le n° 329 de la revue


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Les auteurs de la note

Camille Williams

Diplômée d’une licence en psychologie et neurosciences (...)

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Sacha Yesilaltay

Diplômé d’une licence de sociologie et d’un master en (...)

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