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Comprendre et choisir les indicateurs pour surveiller l’épidémie de Covid-19

Publié en ligne le 13 février 2021 - Covid-19 -

Depuis le début de la pandémie, une avalanche d’informations chiffrées envahit les journaux, les radios et les télévisions. Difficile de ne pas se sentir noyé et de prendre le recul nécessaire face à ces nombreuses courbes ou statistiques abondamment commentées. La plupart des valeurs d’indicateurs fluctuent énormément selon le jour de la semaine. Le pire étant le nombre de décès journaliers, parce que les décès dans les Ehpad ne sont pris en compte que le mardi et le vendredi. Et l’évolution de la proportion des tests positifs est surinterprétée alors qu’elle est très sensible à la facilité d’accès aux tests et aux incitations à aller se faire tester.

Les autorités politiques ont défini un ensemble d’indicateurs [1] et Santé publique France, l’agence en charge du suivi épidémiologique, publie un bulletin hebdomadaire détaillant un ensemble de données concernant la pandémie [2]. Examinons les principaux indicateurs utilisés pour mieux comprendre la confiance et la signification qu’on peut leur apporter.

Des indicateurs fortement dépendants de la politique de test

Certains indicateurs ont des significations très discutables car ils dépendent du profil de la population testée et leur évolution est fortement impactée par les évolutions de la stratégie de tests depuis le début de la pandémie.

Le nombre de cas testés positifs

Ce nombre ne permet pas d’estimer la prévalence du virus dans la population. En effet, il dépend du nombre total de tests réalisés sur la période considérée et du profil des personnes testées (cas contacts, personnes voulant « savoir » avant de rendre visite à un parent, etc.), très variable dans le temps. De plus, le nombre de personnes identifiées par un test virologique positif ne représente qu’une faible proportion de celles atteintes de la Covid-19. En France, une étude a estimé que, entre le 13 mai et le 28 juin 2020, seulement 10 % des personnes infectées ont fait l’objet d’un test positif [3]. Arnaud Fontanet, épidémiologiste du conseil scientifique, a déclaré le 4 janvier 2021 que 12 % de la population avait été contaminée [4], ce qui représente environ huit millions de personnes, alors que, à cette date, on avait identifié par un test seulement 2,7 millions de cas [5], un rapport de l’ordre de trois.

Le « taux d’incidence » de la maladie

Rappelons que la prévalence d’une maladie concerne les cas existants alors que l’incidence concerne les nouveaux cas (sur une période donnée). Le « taux d’incidence » de la maladie est défini par les autorités [1] comme le « nombre de personnes testées positives […] pour la première fois depuis plus de 60 jours rapporté à la taille de la population ». Ce n’est en aucune manière une estimation de l’incidence de la Covid-19 dans la population [6] car, comme indiqué plus haut, seule une petite fraction des personnes infectées sont diagnostiquées par un test positif. Les autorités gouvernementales déclarent utiliser cet indicateur pour « comparer des zones géographiques entre elles » et les classer en « zones vertes, oranges ou rouge ».

La proportion de tests positifs

Cette proportion, appelée par les autorités « taux de positivité des tests » [1], est le « nombre de personnes testées positives […] rapporté au nombre total de personnes testées ». Cet indicateur ne représente pas la fréquence du portage du virus dans la population française, mais le portage dans la population testée. Cette population testée compte une proportion plus importante de personnes symptomatiques et de « personnes contacts ». Pour la semaine du 25 au 31 janvier 2021, 76 % de la population testée était asymptomatique et les pourcentages de tests positifs étaient de 4,2 % chez les asymptomatiques et de 14,9 % chez les personnes ayant des symptômes [7].

Le nombre de reproduction effectif (R)

Le « nombre de reproduction du virus » est le nombre moyen de personnes qu’une personne infectée contamine directement. Il est désigné par la lettre R. Au début de l’épidémie, quand le virus arrive dans une population sans aucune immunité, il est noté R0 (le R0 du coronavirus SARS-Cov-2 est estimé aujourd’hui à environ 3) [8]. Le R à un moment donné est estimé par un modèle mathématique qui repose souvent sur les nombres hebdomadaires de tests positifs pris comme indicateur de l’évolution de l’épidémie. S’il est inférieur à un, l’épidémie tend à décroître puis à disparaître puisqu’une personne infectée contamine moins d’une autre personne. À l’inverse, s’il est supérieur à 1, l’épidémie se développe.

D’autres indicateurs discutables

Le nombre de cas contacts

Puisque les tests ne détectent qu’une petite fraction des cas (un sur dix en France entre le 12 mai et le 28 juin 2020), la recherche des contacts est très peu efficace. La circulation du virus échappe donc largement à cette surveillance. Moins d’un cas sur quatre est un contact d’un cas connu dans la semaine du 18 au 24 janvier [7]. Dans la mesure où seule une petite fraction des cas est identifiée, l’application TousAntiCovid ne peut avoir qu’une efficacité très réduite. En effet, pour qu’une personne soit informée qu’elle a été à proximité d’une personne contagieuse, il faut que cette personne ait été repérée.

Les clusters

Un cluster (ou foyer de transmission) est défini par la survenue d’au moins « trois cas confirmés ou probables, dans une période de sept jours, et qui appartiennent à une même communauté ou ont participé à un même rassemblement de personnes, qu’ils se connaissent ou non ». Ces foyers ne représentent que la partie la mieux identifiée de la circulation du virus : une personne contagieuse dans un milieu fermé (famille, entreprise, établissements de santé ou sociaux) donne un foyer repérable. Une personne contagieuse qui se déplace va contaminer des personnes qui n’auront pas de liens apparents entre elles et ces contaminations n’apparaîtront pas comme un foyer. Ainsi n’a-t-on identifié aucun foyer dans les transports en commun, les restaurants ou les commerces.
Entre le 9 mai et le 12 octobre 2020, les clusters représentaient 8 % des cas diagnostiqués [9], et ces derniers n’étaient eux-mêmes qu’une petite fraction des cas. Il était illusoire de croire que l’on pourrait étudier les lieux de contamination à partir de ces observations.

Des indicateurs raisonnables

Les admissions à l’hôpital et en réanimation sont des indicateurs fiables qui sont remarquablement synchrones. Les décès à l’hôpital et dans les Ehpad constituent un indicateur aussi fiable, mais décalé d’une quinzaine de jours. Ainsi une augmentation des admissions à l’hôpital et en réanimation observées sur une période de quinze jours va entraîner une augmentation des décès dans la quinzaine suivante.

Les admissions à l’hôpital et en réanimation

Les admissions à l’hôpital et celles en réanimation sont assez bien évaluées. Ce sont des indicateurs intéressants et plus fiables que le nombre de cas connus et ses dérivés, bien qu’ils soient décalés dans le temps par rapport aux contaminations.

Un autre indicateur appelé « tension hospitalière sur la capacité en réanimation » est utilisé par les autorités pour évaluer la tension hospitalière. Il mesure « la proportion de patients atteints de Covid-19 actuellement en réanimation, en soins intensifs, ou en unité de surveillance continue rapportée au total des lits en capacité initiale, c’est-à-dire avant d’augmenter les capacités de lits de réanimation dans un hôpital » [1]. Ce n’est pas un indicateur direct de la dynamique de l’épidémie, car il dépend non seulement des admissions en réanimation mais aussi des sorties de réanimation. Il permet un suivi de l’épidémie du point de vue de la gestion hospitalière, mais pas en termes de circulation du virus chez les asymptomatiques.

Les décès dus à la Covid-19 et les décès toutes causes

Personne ne connaît le vrai nombre de décès attribuables chaque jour à la Covid-19. Les décès dans les Ehpad ne sont pas recensés quotidiennement mais chaque mardi et vendredi. De plus, au début de l’épidémie, ils ont été parfois négatifs, correspondant à des corrections. Et il manque les décès à domicile qui, entre le 1er mars et le 31 mai 2020, représentaient 6 % des certificats de décès avec mention de Covid-19 [10]. La mortalité toutes causes est, elle, connue. Pendant la pandémie, l’Insee diffuse régulièrement des statistiques par jour [11]. On peut ainsi estimer la surmortalité par rapport aux années antérieures [10]. Cette surmortalité toutes causes n’est bien sûr pas spécifiquement l’effet de l’épidémie de Covid-19.

La prévalence réelle de l’infection

C’est la proportion de la population positive un jour donné. Pour l’estimer correctement, il faut tester un échantillon représentatif de la population que l’on veut étudier. C’est un très bon indicateur, car il concerne la population générale et non pas celle qui vient se faire tester à sa demande. Cela a été fait en Angleterre par une équipe universitaire avec l’aide de l’institut de sondage Ipsos (qui a apporté son expertise pour déterminer les échantillons représentatifs) [12]. Ainsi, 1,2 millions de personnes se sont fait un auto-prélèvement en vue d’un test PCR durant huit périodes entre mai 2020 et le 15 janvier 2021. La prévalence du virus début janvier 2021 a alors été estimée à 1,6 % contre 1,3 % en octobre et 0,6 % en mai. Le faire en France permettrait d’avoir une mesure objective de l’évolution de l’épidémie.

Evolution de quelques indicateurs

Interprétation : le nombre moyen de décès dans les sept jours finissant le lundi 8 février est égal à 416, c’est la moyenne des sept nombres suivants : 726, 357, 357, 651, 191, 171, 458. Les données du mardi 2 et du vendredi 5 sont les additions des décès du jour à l’hôpital et des décès respectivement de 4 et 3 jours dans les Ehpad.

On voit que les admissions à l’hôpital et en réanimation sont synchrones, et que si lors de la première vague, il y avait une admission en réanimation pour cinq arrivées à l’hôpital, ce n’est plus le cas lors de la seconde vague, probablement parce que l’amélioration de la prise en charge permet d’éviter la réanimation à davantage de patients. On voit aussi que la fin du second confinement est intervenue alors que tous les indicateurs étaient encore à un niveau élevé, et qu’ils sont restés ensuite plus ou moins stables pendant le mois de décembre pour augmenter lentement ensuite. La période entre Noël et le nouvel an a induit une sorte de trêve des confiseurs pour les admissions à l’hôpital et pour les décès à l’hôpital et dans les Ehpad. Depuis quelques jours (article écrit le 11 février 2021), les trois indicateurs baissent ou se stabilisent.

Conclusion

Une bonne compréhension des indicateurs, de leur signification et de leurs fondements est indispensable pour pouvoir prendre du recul et mieux comprendre l’information diffusée. Certaines évolutions sont soumises à des variations quotidiennes ou hebdomadaires. Il importe alors de considérer des moyennes glissantes (moyenne effectuée sur une fenêtre temporelle – une semaine par exemple – et recalculée chaque jour) afin de gommer ces fluctuations sans signification épidémiologique. Malheureusement, ces précautions ne sont pas toujours respectées dans l’information grand public.