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Phosphine sur Vénus : une brève histoire qui en dit long

Publié en ligne le 26 janvier 2021 - Astronomie -

Qu’est-ce que la phosphine ? Une molécule simple, de formule chimique PH3, composée d’un atome de phosphore et de trois atomes d’hydrogène, peu connue du public car elle est quasiment absente de l’atmosphère et, de surcroît, fortement toxique. Or cette molécule a largement fait parler d’elle à l’automne 2020. Le 14 septembre, une équipe internationale menée par Jane Greaves, de l’université de Cardiff (Royaume-Uni), a annoncé dans Nature Astronomy sa découverte dans l’atmosphère de Vénus [1]. Ce résultat a été obtenu à partir d’observations menées dans le domaine millimétrique avec deux instruments différents, tous deux très performants, l’un à Hawaii en juin 2017 et l’autre au Chili, en mars 2019. La présence de la molécule doit se traduire par une baisse de l’intensité lumineuse à une longueur d’onde bien précise ; c’est ce que l’on appelle une « raie ». Dans les deux cas, la raie observée est située à 1,123 mm de longueur d’onde. Or, la présence de phosphine est totalement inattendue dans une atmosphère oxydante comme celle de Vénus, dominée par le dioxyde de carbone CO2, et les modèles atmosphériques connus n’en rendent pas compte. Les auteurs ont conclu leur article en évoquant la présence possible de micro-organismes vivants qui pourraient être responsables de la production de phosphine, sans toutefois indiquer ce que pourrait être ce scénario. L’emballement médiatique a été immédiat.

Très vite, des réactions se sont manifestées suite à cette annonce. Le 1er octobre 2020, Hervé Cottin (LISA, Université Paris Est-Créteil), président de la Société française d’exobiologie, appelait à la prudence face à ce résultat [2]. La preuve de la présence de PH3 n’est pas avérée, disait-il avec raison, puisque l’observation d’une seule raie ne suffit pas pour identifier une molécule sans ambiguïté. De plus, quand bien même il s’agirait de phosphine, rien ne prouve qu’elle soit d’origine biologique, puisqu’aucun scénario n’est aujourd’hui capable d’expliquer sa formation. Ces critiques ont été reprises le 3 octobre, dans une tribune au Monde, par Louis d’Hendecourt (CNRS, IAS, Université Paris-Saclay) qui s’inquiète de la baisse de crédibilité qui pourrait affecter les recherches relatives à l’exobiologie, suite à ce genre d’annonces sensationnelles dénuées de fondement [3].

Absence de phosphine dans des spectres infrarouges de Vénus

Le 14 octobre, nous avons publié dans la revue Astronomy & Astrophysics une lettre annonçant l’absence de phosphine au sommet des nuages de Vénus [4]. Cette étude a été menée à l’initiative de J. Greaves et C. Sousa-Silva (co-auteures de l’article de Nature Astronomy).

L’idée a été d’étudier d’anciennes données recueillies en 2015 par un spectromètre extrêmement sensible de l’Observatoire de Maunakea sur l’île de Hawaii, pour des longueurs d’onde dans le domaine de l’infrarouge, aux environs de 10 micromètres.

En effet, la phosphine présente un grand nombre de raies déjà connues, allant de l’infrarouge proche aux ondes radio. Et l’analyse des données aux environs de 10 micromètres a clairement montré l’absence de la raie attendue pour la phosphine PH3. Nous avons aussi vérifié, en cartographiant l’ensemble de la planète, que cette raie de PH3 n’apparaissait en aucun lieu. En tenant compte de la sensibilité de l’appareil utilisé, c’est la preuve que la phosphine, si elle est présente, ne peut pas être en concentration plus importante que 5 ppbv (c’est-à-dire 5 parties par milliard en volume ou 5.10–9, part per billion en anglais) partout sur la planète, au sommet de la couche nuageuse. C’est en contradiction avec l’article de J. Greaves qui annonce une concentration moyenne de 20 ppbv.

Est-il possible de réconcilier les deux résultats ? Cela s’avère extrêmement difficile. Il est vrai que les observations radio et infrarouge ne sondent pas exactement les mêmes altitudes dans l’atmosphère de Vénus. La raie radio est formée vers 70 à 80 km d’altitude ; en revanche, les mesures infrarouges sondent directement le sommet de la couche nuageuse, à environ 60 km d’altitude. Il faudrait donc imaginer un scénario où la phosphine ne pourrait être présente qu’à une concentration inférieure à 5 ppbv vers 60 km d’altitude, mais serait bien présente à une concentration de l’ordre de 20 ppbv vers 70 ou 80 km d’altitude. Un tel mécanisme reste à imaginer. Cependant, quel qu’il puisse être, il serait très différent du scénario proposé par l’article de J. Greaves, et développé par Sara Seager (MIT) et ses collègues dans un article récent publié dans Astrobiology, dans lequel la phosphine se formerait à partir de micro-organismes à l’intérieur du nuage, entre 48 et 60 km [5]. Cela remet donc en question l’origine biologique de la phosphine, si sa présence était confirmée.

Est-ce la fin de l’histoire ?

Suite à la publication de l’article de Jane Greaves, plusieurs voix se sont fait entendre pour contester la découverte de la phosphine. Un article de Ignas Snellen (Université de Leiden), soumis à Astronomy and Astrophysics le 19 octobre et publié dans cette revue le 13 décembre, conteste la méthode utilisée par J. Greaves et al. pour traiter les données millimétriques prises au Chili [6]. Le 28 octobre, une équipe de chercheurs regroupés autour de Geronimo Villanueva (NASA/GSFC) dans une lettre soumise à Nature Astronomy, conteste à son tour l’analyse de J. Greaves : d’une part, les auteurs pensent que la raie millimétrique observée à Hawaii pourrait être due au dioxyde de soufre SO2 (déjà détecté sur Vénus) et non à la phosphine PH3 ; d’autre part, comme le groupe de I. Snellen, ils montrent, par un autre traitement des données prises au Chili, que les observations utilisées par J. Greaves ne démontrent pas la présence de phosphine [7]. Un troisième article soumis par M. Thompson (Université de Hertfordshire, Royaume-Uni) à la revue Monthly Notices of the Royal Astronomical Society le 28 octobre, révisé le 17 novembre et actuellement sous presse, conclut à l’absence de raie d’absorption significative dans le spectre millimétrique pris à Hawaii [8]. Enfin, pour couronner le tout, l’équipe responsable de l’un des spectromètres infrarouges de la sonde Venus Express (en orbite autour de Vénus entre 2006 et 2015) publie le 10 décembre dans Astronomy and Astrophysics le résultat de sa recherche de la phosphine dans la base de données acquise par l’instrument. Les mesures sondent la région de l’atmosphère située au-dessus des nuages, entre 60 et 90 km d’altitude [9]. Et l’on ne retrouve aucune trace de phosphine dans les données de Venus Express. Ainsi, grâce à la sensibilité exceptionnelle de l’instrument, M. Trompet et ses collègues montrent que, entre 2006 et 2011, si la phosphine était présente, ce serait à une concentration maximale de 2 ppbv, donc largement inférieure à 20 ppbv.

Est-ce la fin de l’histoire ? Ce n’est pas sûr… Les partisans de la phosphine et, au-delà, d’une vie possible sur Vénus n’ont pas dit leur dernier mot. Suite aux réactions de la communauté et à une nouvelle calibration des données obtenues au Chili par les services en charge du traitement des données d’ALMA, J. Greaves et ses collègues ont prépublié sur Arxiv une nouvelle estimation de l’abondance de la phosphine [10, 11] La valeur déduite des données ALMA (prises en 2019) est maintenant de 1 ppbv, soit vingt fois moins que dans l’article initial ! Cependant les auteurs maintiennent la valeur de 20 ppbv obtenue à Hawaii (en 2017), et doivent donc invoquer des variations temporelles pour réconcilier leurs deux résultats…

Le 11 décembre dernier, une session spéciale dédiée à la question de la phosphine sur Vénus s’est tenue (virtuellement) dans le cadre de l’assemblée générale de l’American Geophysical Union. Elle a réuni près de 130 participants, ce qui témoigne de l’intérêt de la communauté. Dans une ambiance très feutrée, les différents protagonistes ont présenté leurs conclusions. On aurait pu s’attendre à ce que les résultats de Venus Express apportent un point final à la controverse, mais il n’en a rien été. Les questions, majoritairement posées par des exobiologistes, ont plus porté sur l’intérêt de la phosphine comme biomarqueur que sur la validité de l’observation elle-même… et la session s’est conclue par une exhortation des organisateurs à rechercher la phosphine à d’autres longueurs d’onde.

L’histoire de la phosphine n’est donc sans doute pas terminée. Ce que l’on peut retenir en premier, c’est l’emballement démesuré qui a suivi la première annonce. Ce qui aurait dû s’appeler « De la phosphine sur Vénus ? » s’est transformé en « La vie sur Vénus ? » sans que le moindre scénario justificatif soit proposé. Cette petite histoire de la phosphine illustre la fascination que la recherche d’une vie extraterrestre exerce à juste titre sur le public. Raison de plus pour que les scientifiques soient extrêmement vigilants dans leur démarche et dans la présentation de leurs résultats au public. Merci à Hervé Cottin et à Louis d’Hendecourt pour avoir immédiatement tiré la sonnette d’alarme.

Références

1 | Greaves J et al., “Phosphine gas in the cloud decks of Venus”. Nature Astronomy, 2020, doi.org/10.1038/s41550-020-1174-4
2 | Cottin H, « Vénus et la phosphine : de trop grandes espérances » , 1er octobre 2020
3 | d’Hendecourt L, « La science hollywoodienne annonçant la vie sur Mars ou Vénus est construite sur des paradigmes dépassés », tribune, 3 octobre 2020. Sur lemonde.fr
4 | Encrenaz T et al. , “A stringent upper limit of the PH3 abundance at the cloud top of Venus”, Astronomy and Astrophysics, 2020, 643, L5
5 | Seager S et al., “ The Venusian Lower Atmosphere Haze as a Depot for Desiccated Microbial Life : A Proposed Life Cycle for Persistence of the Venusian Aerial Biosphere”, Astrobiology, 2020, DOI :10.1089/ast.2020.2244
6 | Snellen I et al., “Re-analysis of the 267 GHz ALMA observations of Venus : no statistically significant detection of phosphine”, Astronomy and Astrophysics, 2020, 644, L2
7 | Villanueva G et al., “No phosphine in the atmosphere of Venus”, Arxiv, preprint, 2020, Arxiv:2010.14305
8 | Thompson MA, “The statistical reliability of 267 GHz JCMT observations of Venus : No significant evidence for phosphine detection”, Monthly Not. Royal Astr. Soc. , 2021, 501:L18-L22
9 | Trompet M et al., “Phosphine in Venus’ atmosphere : Detection attempts and upper limits above the cloud top assessed from the SOIR/VEx spectra”, Astronomy and Astrophysics 645, 2021, L4
10 | Greaves J et al., “Re-analysis of phosphine in Venus’clouds”, Arxiv, preprint, 2020, Arxiv:2011.08176
11 | J. Greaves et al., “On the robustness of phosphine signatures in Venus’clouds”, Arxiv, preprint, 2020, Arxiv:2012.05844


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L' auteur

Thérèse Encrenaz

Thérèse Encrenaz est astrophysicienne, directrice de recherche émérite au CNRS et à l’Observatoire de Paris.

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