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Le haut potentiel intellectuel : fauteur de troubles ?

Publié en ligne le 26 juillet 2023 - Cerveau et cognition -

Dfficultés graphiques, difficultés relationnelles, difficultés scolaires sont quelques-unes des caractéristiques associées aux personnes identifiées avec un haut potentiel intellectuel 1 (HPI). Ainsi, par exemple, un « tableau de repérage » du HPI proposé par l’Académie de Paris [1] évoque « des problèmes de comportement en classe », le fait d’avoir « peu d’amis à la récréation » et d’être « souvent seul » ou encore d’avoir « du mal à passer à l’écrit lors de la rédaction » et d’éprouver « des difficultés grapho-motrices ».

Les personnes avec HPI rencontreraient-elles toujours ces difficultés ? Pour répondre à cette question, il faut se référer à la littérature scientifique, et en premier lieu, aux méta-analyses et aux expertises collectives quand elles existent.

Les difficultés graphiques

Sur Internet, il est facile de trouver des affirmations selon lesquelles les enfants avec HPI rencontreraient très souvent des difficultés graphiques affectant la vitesse ou la qualité de leur écriture (et la proportion pourrait atteindre un enfant HPI sur deux [2]). L’explication avancée tiendrait en partie au fait que les enfants avec HPI pensant très vite, le stylo ne pourrait pas suivre le rythme de leur pensée (voir par exemple [3, 4]).

Les difficultés grapho-motrices pourraient donc découler d’un décalage entre la vitesse de la pensée et la rapidité du geste d’écriture. Cette hypothèse peut être facilement évaluée en cherchant à identifier une éventuelle corrélation entre valeur du QI et qualité de l’écriture. Par exemple, on devrait retrouver un « lien négatif » entre ces deux variables (plus le QI augmente et plus la qualité d’écriture devrait se dégrader). On peut aussi simplement comparer les résultats des personnes ayant un HPI à ceux sans HPI ou seulement étudier les HPI.

Malheureusement, aucune méta-analyse n’a été trouvée dans la littérature scientifique, et les études disponibles, publiées dans des revues à comité de lecture, sont assez rares et ont un niveau de preuve plutôt faible. Les résultats qui en ressortent sont contradictoires. Certaines ne trouvent pas de corrélation entre la qualité de l’écriture et le QI [5], d’autres trouvent une faible corrélation [6, 7]. Enfin, d’autres encore indiquent que les individus avec un HPI ont des capacités de transcription dans la moyenne ou inférieures à la moyenne [8]. Il paraît donc difficile de conclure à l’heure actuelle dans un sens ou dans un autre.

Les difficultés relationnelles

Les personnes avec HPI seraient-elles souvent seules, sans amis ? Auraient-elles plus de difficultés dans les relations sociales ? Sans un accompagnement spécifique, seraient-elles trop souvent destinées à l’isolement social ?

Les explications avancées dans ces hypothèses seraient notamment une immaturité sociale, une trop grande sensibilité émotionnelle, des centres d’intérêts rares ou encore un décalage entre les compétences cognitives et la maturité affective.

Là non plus, nous n’avons trouvé dans la littérature aucune méta-analyse sur le sujet. Cependant, une revue de littérature sur des adultes avec HPI suggère que ces derniers n’ont pas plus de difficultés relationnelles que les adultes non-HPI concernant leur vie maritale, amicale ou leurs relations dans le travail [9]. Ce résultat vient en confirmation d’analyses plus anciennes [10]. Une étude publiée en 2016 et portant sur 1 000 enfants [11] conclut que les enfants avec HPI n’ont pas significativement plus de problèmes d’intégration sociale que les enfants n’ayant pas un HPI.

Mais le résultat le plus concluant provient de l’analyse d’un échantillon de plus de 260 000 adultes [12]. Celle-ci montre que les adultes à haut potentiel souffrent moins d’isolement social que les autres, et qu’ils semblent au moins aussi bien lotis en ce qui concerne le bien-être général et le sentiment de solitude.

Des idées reçues

Ainsi, il n’est pas possible d’affirmer que les personnes avec un HPI ont plus de difficultés graphiques ou relationnelles que les personnes sans HPI, soit par manque de preuves, soit parce que les études ne vont pas dans ce sens.

Ces caractéristiques avancées comme des critères d’identification ne sont ainsi pas avérées pour le moment. Pourtant ces idées reçues circulent largement. Leur diffusion est favorisée par les propos d’acteurs en première ligne desquels se trouvent des psychologues praticiens, « alors même qu’ils ne citent jamais aucune étude scientifique à l’appui de leur propos, et qu’ils n’ont visiblement pas connaissance des données publiées sur le sujet », mais qui fondent leurs affirmations sur les HPI qu’ils côtoient au quotidien, précisément ceux qui rencontrent des difficultés ou sont en souffrance [13].

Diffuser une grille d’identification du HPI avec ces critères (voir par exemple [1]) véhicule des idées fausses. Mais cela laisse également penser qu’il y aurait un portrait-robot des personnes avec HPI. Or, les seules caractéristiques suffisamment partagées pouvant constituer un indice de HPI sont liées à la sphère cognitive [14] : rapidité de la pensée, capacité de mémorisation et de résolution de problème, langage riche et précis…

Le HPI fauteur de troubles ?

Les caractéristiques ainsi attribuées suggèrent que le HPI serait un fauteur de troubles, un fardeau, et que la personne avec HPI rencontrerait nécessairement des difficultés. Avoir un HPI serait ainsi pathologique. Or, cela n’est pas le cas [13]. Le haut potentiel intellectuel ne fait pas partie des manuels diagnostiques des troubles mentaux (DSM-5 par exemple [15]).

Le Tour du monde, André-Henri Dargelas (1828-1906)

Certains individus avec un HPI peuvent néanmoins rencontrer des difficultés. Mais le HPI ne peut constituer l’unique facteur explicatif. Un professionnel prenant en charge une personne rencontrant des difficultés ne doit pas s’arrêter à la seule évaluation du QI et à l’explication simpliste du HPI comme responsable des problèmes rencontrés. Il doit au contraire procéder à une évaluation globale afin de s’assurer de ne pas passer à côté d’un trouble spécifique, et donc de la prise en charge adaptée.

Ainsi, par exemple, une personne avec HPI peut aussi avoir des difficultés graphiques, qui sont souvent l’expression d’autres troubles comme un trouble du développement de la coordination [16]. Ce dernier se caractérise par une acquisition et une exécution de compétences de coordination motrice en dessous du niveau escompté pour l’âge de l’individu. Ces difficultés se traduisent par de la maladresse ainsi que la lenteur et de l’imprécision dans la réalisation de tâches motrices comme écrire à la main. Ainsi, si l’on raisonne avec l’idée que le fait d’avoir un HPI a pour conséquence d’avoir des difficultés graphiques, on peut arrêter les investigations au seul QI et ne pas réaliser des bilans complémentaires, comme ici un bilan psychomoteur pour évaluer les compétences en coordination motrice. Avoir ce raisonnement peut retarder grandement les prises en charge et avoir des implications scolaires, puis professionnelles néfastes.

Le Génie et la Foule(détail), Éghiché Tadevosian (1870-1936)

De même, une personne avec HPI peut également avoir des difficultés relationnelles. Mais les causes peuvent être variées. Un isolement peut être lié à une inadéquation de l’environnement par rapport à l’individu (il ne répond pas à ses besoins). Cela peut être lié à sa personnalité et notamment son désir d’être seul. Une récente étude [17] suggère que les adultes avec HPI auraient un attrait plus important pour la solitude que les personnes sans HPI. Cela peut être aussi lié à un manque de compétences sociales ou à un trouble particulier comme le trouble du spectre autistique. Les déficits dans la communication et les interactions sociales sont une des deux dimensions symptomatiques du trouble du spectre autistique dans le DSM-5 [15], qui peuvent avoir notamment pour conséquence l’isolement. Ainsi, dans le cas de plaintes au niveau des relations sociales chez une personne avec HPI, il convient de creuser la question. Est-ce lié à la personnalité de l’individu ? À un environnement non adapté ? À un trouble associé ? Là encore, dire que c’est parce que la personne a un HPI qu’elle a des difficultés relationnelles risque de retarder le bon diagnostic et la prise en charge.

Il est tout à fait possible d’avoir un HPI et un trouble associé. On parle alors de « double exceptionnalité » [18]. Ce terme est apparu dans les années 1980 pour désigner les personnes ayant à la fois un HPI et un ou plusieurs troubles neurodéveloppementaux (sauf le handicap intellectuel) tels qu’un trouble de la communication, un trouble spécifique des apprentissages, un trouble du spectre autistique, un trouble de l’attention avec ou sans hyperactivité ou encore un trouble moteur. L’identification de la double exceptionnalité est un enjeu majeur afin que ces personnes vivent sereinement leur scolarité puis leur vie professionnelle et puissent exploiter leurs nombreuses ressources. Les identifier permet notamment de mettre des mots sur le sentiment éventuel de décalage entre leur vivacité d’esprit et des performances qui peuvent être moyennes voire inférieures ; mais également entre les efforts déployés et leurs résultats. Ils peuvent, de ce fait, avoir une faible estime de soi.

À l’inverse, si cette double exceptionnalité n’est pas repérée et accompagnée, les conséquences dans la vie quotidienne, scolaire ou professionnelle peuvent être négatives avec un risque de décrochage scolaire ou universitaire, des difficultés d’insertion professionnelle ou d’accès à un emploi décent mais également des conséquences sur la santé mentale des personnes concernées.

Références


1 | Académie de Paris, « Tableau de repérage des enfants intellectuellement précoces », fiche d’observation, 18 mai 2019. Sur pia.ac-paris.fr
2 | Tissot AG, « SOS-écriture : le blog », 2017. Sur sos-ecriture.fr
3 | « Pourquoi tant d’enfants n’aiment-ils pas écrire ? », web pédagogique, 2022. Sur lewebpedagogique.com
4 | Mittey AC, « Les enfants HPI et l’écriture », Graph M, 11 novembre 2021. Sur graphm.fr
5 | May DS, Branin JR, “A possible relationship between handwriting speed and intelligence”, Journal of Pratical Research and Applications, 1984, 3 :209-13.
6 | McCarney D et al., “Does poor handwriting conceal literacy potential in primary school children ?”, International Journal of Disability, Development and Education, 2013, 60 :105-18.
7 | Olinghouse NG, “Student-and instruction-level predictors of narrative writing in third-grade students”, Reading and Writing, 2008, 21 :3-26.
8 | Yates C et al., “Specific writing disabilities in intellectually gifted children”, Journal for the Education of the Gifted, 1995, 18 :131-55.
9 | Rinn AN, Bishop J, “Gifted adults : a systematic review and analysis of the literature”, Gifted Child Quarterly, 2015, 59 :213-35.
10 | Mouchiroud C, « Haut potentiel intellectuel et développement social », Psychologie Française, 2004, 49 :293-304.
11 | Peyre H et al., “Emotional, behavioral and social difficulties among high-IQ children during the preschool period : results of the EDEN mother-child cohort”, Personality and Individual Differences, 2016, 94 :366-71.
12 | Williams CM et al., “High intelligence is not associated with a greater propensity for mental health disorders”, European Psychiatry, 2023, 66 :1-8.
13 | Ramus F, Gauvrit N, « La pseudoscience des surdoués », Ramus méninges, Blogs de Pour la science, 3 février 2017. Sur scilogs.fr
14 | Gauvrit N « Caractéristiques cognitives », in Psychologie du haut potentiel, De Boeck, 2021, 151-64.
15 | Diagnostic and statistical manual of mental disorders : DSM5, American Psychiatric Association, 2023.
16 | Vaire-Douret L et al., « L’expertise collective de l’Inserm sur le trouble développemental de la coordination ou dyspraxie : état des principaux travaux et recommandations », Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, 2021, 66 :311-30.
17 | Boisselier N, Soubelet A, « La sociabilité et l’attrait pour la solitude des adultes à haut potentiel intellectuel (HPI) », Psychologie Française, 2021, 66 :377-92.
18 | Whitmore JR, Giftedness, conflict, and underachievement, Allyn & Bacon, 1980.

1 Nous retenons ici la définition largement admise chez les chercheurs et cliniciens (sans faire l’unanimité) : les HPI sont des personnes ayant un quotient intellectuel (QI) supérieur à 130.

Publié dans le n° 344 de la revue


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L' auteur

Katia Terriot

Maîtresse de conférences en psychologie au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) et corédactrice en chef (…)

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