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La symphonie du vivant

Publié en ligne le 11 juillet 2019
La symphonie du vivant
Comment l’épigénétique va changer votre vie

Joël de Rosnay

Les Liens Qui Libèrent, 2018, 229 pages, 19 €

Pour distinguer l’épigénétique de la génétique, la différence entre la partition de musique et son interprétation est parfois utilisée. Cette métaphore est mise en valeur dans le titre, teinté de lyrisme, du dernier livre de Joël de Rosnay. Le sous-titre, Comment l’épigénétique va changer votre vie, pourra quant à lui être qualifié d’ambitieux ou de racoleur, selon que l’on soit admiratif ou, comme moi, méfiant. Force est de constater que l’auteur occupe largement l’espace médiatique sur le sujet : vidéos, interviews dans diverses émissions ou magazines. Qu’il se soit imposé ainsi comme une référence dans le domaine ne fait pas de lui un expert en épigénétique, à savoir en tant que scientifique travaillant dans le domaine. Il est avant tout un auteur, relativement prolifique, de livres grand public, mêlant vulgarisation scientifique et prospectives technologiques. Son interprétation personnelle de l’épigénétique et des pouvoirs qu’il lui attribue permet à Joël de Rosnay, sans doute d’une façon qui paraît persuasive au novice, de faire passer ses propres idées, tout d’abord à propos d’hygiène personnelle, notamment nutritionnelle (en écho à l’un de ses premiers succès de librairie, La Malbouffe, en 1979), et, dans un deuxième temps, de l’organisation de la société en réponse aux avancées technologiques.

À propos du premier point, je me contenterai de relayer le commentaire déposé par un lecteur sur le site de la FNAC : « Je m’attendais à ce que ce livre m’informe sur les découvertes liées à l’épigénétique, et en quoi cela bouleverse les connaissances actuelles. En réalité, c’est plutôt un guide à l’attention de ceux qui veulent prendre soin d’eux (modifier l’alimentation, modifier son mode de vie, etc.). » Comme dans La révolution épigénétique, la déception est donc au rendez-vous pour qui s’attendrait à apprendre pourquoi et surtout comment l’épigénétique pourrait effectivement changer notre vie.

Attardons-nous plus sur le second point, qui fait théoriquement l’originalité de La symphonie du vivant, Joël de Rosnay transposant hardiment les concepts de l’épigénétique au fonctionnement de la société. Pour introduire cette partie, il reprend à son compte le parallèle, établi par Richard Dawkins dans Le gène égoïste, entre le gène et le mème, « l’équivalent culturel du gène » (p. 123). Poussant plus loin l’équivalence, un nouveau néologisme, l’épimémétique, est proposé pour désigner « la modification de l’expression des mèmes de l’ADN sociétal » (p. 141). Sous couvert d’une telle analogie, qui légitimerait « une nouvelle vision de la société humaine » (p. 123), Joël de Rosnay décrit, à la lumière de celle-ci, les évolutions actuelles de la société et notamment la prévalence des nouvelles formes de communication dans la propagation des mèmes.

On peut légitimement s’interroger à propos de la pertinence d’une telle analogie, au travers de niveaux de complexité biologique à priori fort différents (du moléculaire aux sociétés humaines), à moins que « penser la ville comme un organisme vivant » (p. 187) ne suffise à la justifier. La capacité supposée de cette analogie à enrichir conceptuellement les mécanismes de transmission des idées d’une façon qui permette effectivement d’en corriger les dysfonctionnements n’est guère plus convaincante. L’idée phare de cette partie, selon laquelle l’épimémétique permettrait de modifier « les mèmes de l’ADN sociétal » ou de « l’ADN d’Internet » est répétée à plusieurs reprises, à la manière d’un mantra qui finirait par imprégner le lecteur, avant de le convaincre, au travers du dernier chapitre, des bienfaits du modèle coopératif pour produire une société plus harmonieuse. De la même façon que laisser suggérer que tous les conseils d’hygiène de vie prodigués dans la première partie se trouvent validés par les découvertes de l’épigénétique n’a pas de véritable justification scientifique (ce qui ne dévalorise pas les conseils pour autant), faire croire que leur simple transposition à la société permettra d’en revitaliser le fonctionnement relève d’un discours arbitraire sans véritable justification opérationnelle.

Au final, Joël de Rosnay s’approprie un terme, l’épigénétique – mot qui recouvre une réalité scientifique complexe –, pour en faire un « produit » séduisant car adaptable à façon, comme un passe-partout intellectuel permettant d’appréhender les vertus d’une bonne hygiène de vie – « l’épigénétique pour soi » – comme celle de la démocratie participative – « l’épi-mémétique pour tous » – (p. 204). Alors que certains faits, ou bienfaits, sont correctement présentés, on n’est pas loin d’une certaine escroquerie intellectuelle lorsqu’il s’agit d’impliquer l’épigénétique dans des domaines où elle a sans doute peu de choses à dire ou apporter.