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La principale variété de blé « bio » serait-elle génétiquement modifiée ?

Publié en ligne le 17 janvier 2016 - OGM et biotechnologies -

Renan est une variété de blé très utilisée dans l’agriculture biologique. Elle possède plusieurs propriétés intéressantes qui ont été apportées par des méthodes génétiques qui pourraient surprendre les partisans de cette agriculture « sans OGM ». Cette variété descend d’un ancêtre (nommé VPM) lui même conçu par transfert de gènes issus d’autres espèces. Résultat des travaux de la station d’amélioration des plantes de l’INRA de Rennes, le blé Renan est disponible pour les agriculteurs depuis 1990 ; aujourd’hui il a donné naissance à de nouvelles variétés plus productives.

Le blé Renan présente des résistances spécifiques à différents types de maladies : la rouille jaune (résistance portée par le gène Yr17), la rouille noire (gène Sr38), la rouille brune (gène Lr37), le piétin verse (gène Pch1), l’oïdium (gène Pm4b), ainsi qu’une résistance à un nématode (gène Cre5). Cette variété possède aussi des résistances partielles à la rouille jaune (contrôlées par plusieurs gènes non identifiés) et une résistance à la fusariose. Ces caractéristiques expliquent qu’elle soit très appréciée en agriculture biologique.

Les gènes de résistances aux rouilles jaune, noire, et brune, ainsi que le gène de résistance aux nématodes viennent d’un fragment chromosomique entier issu d’une graminée sauvage, Aegilops ventricosa, assez distante du blé (et qui ne lui ressemble pas du tout, elle ressemble plutôt à une graminée de nos pelouses !). La résistance au piétin verse située sur un autre chromosome vient aussi d’Aegilops ventricosa. Enfin, la résistance à l’oïdium vient d’un blé proche des blés durs.

Des croisements par les méthodes du génie génétique

Alors que le transfert de la résistance à l’oïdium a pu se faire assez facilement par croisement, il n’en a pas été de même des autres gènes de résistance issues d’Aegilops ventricosa. En effet, cette dernière espèce ne se croise pas avec le blé tendre. Le transfert de ces résistances relève alors du génie génétique au sens large (le génie génétique dans un sens plus spécifique étant la transgénèse). On a d’abord fait appel à une « espèce pont », le blé dur, qui peut être croisé avec les deux espèces. La première étape a donc été de croiser Aegilops ventricosa avec le blé dur. Les deux espèces se croisent bien, mais les plantes hybrides obtenues sont stériles. Il faut donc doubler leur nombre de chromosomes, par l’action d’une substance, la colchicine (substance très toxique qui perturbe la mitose et qui empêche les deux cellules filles de se séparer). Ensuite, les plantes obtenues sont recroisées avec le blé tendre, plusieurs fois pour éliminer le plus possible de gènes défavorables d’Aegilops ventricosa. Au cours de ces recroisements, il y a eu sélection pour la résistance à différentes maladies. Mais les recombinaisons entre le chromosome d’Aegilops, porteur des gènes de résistance et les chromosomes de blé sont difficiles. Pour faciliter le processus, il est possible de faire appel à l’irradiation par rayons X qui provoquent des cassures chromosomiques. En Angleterre, plusieurs résistances ont ainsi été transmises à différents géniteurs, dont certains sont encore utilisés.

Dans le cas précis de la lignée VPM, l’un des ancêtres de la variété Renan, la recombinaison a fini par se produire naturellement. Le bloc chromosomique portant plusieurs résistances a ainsi pu être transféré. Mais c’est tout un bloc qui a été transmis, avec beaucoup d’autres gènes. Pour le piétin verse, le chromosome porteur de la résistance étant assez proche du chromosome receveur, la recombinaison a été plus facile. Dans les deux cas, le transfert a été long (environ 15 ans) et surtout, il a entraîné d’autres gènes du génome de l’espèce donneuse.

Moins précis que la transgénèse

Dans les deux cas, on peut dire qu’il s’agit de transgénèse avant la lettre, avec des procédés beaucoup moins sophistiqués. Aujourd’hui, par la transgénèse, le transfert se ferait en quelques années (4 ans toutes étapes comprises) et il serait beaucoup plus précis avec le transfert des seuls transgènes de résistances. Ainsi une variété transgénique de pomme de terre résistante au mildiou a été obtenue par le transfert du gène de résistance d’une espèce de solanacées assez éloignée de la pomme de terre. C’était un peu une situation analogue à celle du blé. Par les techniques de croisements, culture in vitro et manipulation des génomes et des chromosomes, il aurait sans doute fallu aussi environ 15 ans. Par la transgénèse, le transfert du gène de résistance a pu être réalisé en quelques années et seul le gène a été transmis.

De nombreuses variétés de blé tendre (une sur six environ) portent la résistance au piétin verse et de nombreuses autres portent les résistances aux rouilles noire, jaune et brune et aux nématodes venant de la graminée sauvage Aegilops ventricosa. Nous mangeons tous du pain issu de telles variétés. Et la variété Renan et maintenant ses descendants, Hendrix et Skerzzo, sont les variétés de blé les plus demandées et parmi les plus performantes en agriculture biologique, alors que cette même agriculture refuse les plantes transgéniques… Pourtant, les plantes transgéniques sont beaucoup moins modifiées que les variétés de blé obtenues par le transfert d’un bloc chromosomique d’une espèce sauvage.

Comme le fait remarquer le journaliste Gil Rivière-Wekstein, « personne n’a exigé de faire manger ces variétés de blés à des rats pendant deux ans, pour évaluer leurs effets sur la santé... Pourtant, le “bricolage génétique” est considérable ! Il n’y a eu aucune expérience pour vérifier si elles contenaient des éléments allergisants » 1. Mais que l’on se rassure, les pains issus des farines à base de blé Renan ou de ses descendants, mangés chaque jour par des millions de personnes, ne posent aucun problème de santé.

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