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Réglementation des nouvelles technologies d’édition du génome : académies et scientifiques donnent leurs avis

Publié en ligne le 22 janvier 2024 - OGM et biotechnologies -
Conseil d’administration de l’Afis (22 janvier 2024)

De nouvelles techniques permettant d’effectuer des modifications génétiques ciblées dans tout type de cellule ont été développées depuis une trentaine d’années. Elles ont connu un essor remarqué en 2012 avec la mise au point du système Crispr-Cas9 qui a valu à Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna le prix Nobel de chimie en 2020. Ces techniques, regroupées sous le terme de « nouvelles techniques génomiques » (NTG) arrivent, pour une partie d’entre elles, à maturité scientifique et sortent des laboratoires de recherche [1].

Une nouvelle réglementation européenne en discussion

Le Parlement européen va commencer l’examen d’un projet de règlement devant encadrer ces nouvelles technologies quand elles sont appliquées au domaine végétal1 [2]. En effet, le cadre existant autour des OGM (organismes génétiquement modifiés) est jugé inadapté, ne prenant pas assez en compte les améliorations technologiques. Dans certains cas, les végétaux obtenus sont indistinguables des végétaux issus de techniques conventionnelles. Plus précisément, la Commission européenne propose, en s’appuyant sur les avis de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) [3], que « les plantes issues de NTG qui pourraient également être obtenues naturellement ou par des techniques traditionnelles de sélection seront soumises à une procédure de vérification » et « traitées comme des plantes issues de techniques traditionnelles de sélection ». Toutefois, « afin de garantir la transparence et la liberté de choix pour les agriculteurs, toutes les plantes issues de NTG seront inscrites dans une base de données publique. En outre, leurs semences et autres matériels de reproduction seront étiquetés et des informations sur leur matériel de reproduction seront inscrites dans les catalogues communs des variétés végétales » [4]. Les autres plantes issues des NTG, celles qui ne remplissent pas les critères d’équivalence avec les végétaux conventionnels, resteront soumises à la réglementation actuelle sur les OGM. 

La controverse est vive, dans le prolongement de celle initiée autour des OGM, certains parlant à leur propos d’« OGM cachés » [5].

Les avis académiques

La plupart des entités académiques concernées par le sujet ont eu l’occasion de se pencher sur la question des risques et de leur encadrement. D’une manière générale, elles reconnaissent toutes l’important potentiel de ces nouvelles technologies et la nécessité de faire évoluer la réglementation. Elles prennent également en compte le passé et le « contexte culturel » de la controverse sur les OGM et préconisent différentes mesures pour permettre la meilleure gestion des risques.

Le CNRS soutient l’assouplissement de la réglementation européenne actuelle au nom d’une « approche scientifique des risques » [6] et a signé en 2023, avec un groupe de six organismes de recherche européens, un texte arguant que « l’évaluation des risques doit être basée sur les caractéristiques de l’organisme lui-même plutôt que des techniques conduisant à sa génération » [7].

L’Académie d’agriculture se déclare ([87], 20 janvier 2020) « convaincue que [les applications des NTG] font partie des solutions pour contribuer à relever les défis mondiaux urgents actuels : biodiversité, changement climatique, évolution de la population mondiale, et qu’elles peuvent s’inscrire dans les priorités politiques actuelles, comme l’agroécologie ou le bien-être animal » et appelle à l’instauration d’un cadre de confiance incluant entre autres une « recherche publique puissante » et une « évaluation systémique et interdisciplinaire des risques environnementaux, en sus des approches cas par cas ». L’Académie recommande « un choix prudent et pragmatique en posant des bornes permettant de se limiter aux réécritures qui préservent l’identité de l’espèce ».

L’Académie des technologies, dans un avis publié le 15 février 2023 [9], invite à « prendre en compte, de manière pragmatique, le contexte créé par les controverses sur les OGM » et recommande de « définir et promouvoir au niveau de l’Union européenne une procédure d’évaluation des variétés issues des NTG qui discrimine les cas où les modifications réalisées sont similaires ou non à celles pouvant résulter de mutations spontanées ou induites ».

Le comité consultatif commun d’éthique Inra-Cirad-Ifremer s’est également penché sur le sujet (mars 2018 [10]) et note que « les risques associés aux nouvelles techniques d’édition du génome sont pluriels et intriqués entre eux : environnementaux, sanitaires, agricoles, économiques, sociaux et politiques. Ceux spécifiquement associés à ces nouvelles techniques sont peu nombreux : principalement le bioterrorisme qui reste toutefois une menace abstraite pour les végétaux » et formule dix recommandations.

L’Académie des sciences (10 novembre 2023 [11]) note que « les ciseaux génétiques [Crispr-Cas9] constituent une avancée scientifique majeure » et que s’« il est parfaitement légitime de s’interroger sur les problèmes soulevés par l’agriculture intensive et l’agro-industrie […], ceux-ci se posent indépendamment des plantes génétiquement éditées ». L’Académie invite à examiner la pertinence de chacune des applications au cas par cas et regrette « le blocage systématique des cultures OGM et celui, maintenant réclamé par les détracteurs de l’édition génétique » affirmant que « nous avons besoin et aurons besoin de beaucoup de science (et de moins d’idéologie), si nous voulons léguer à nos successeurs une planète plus habitable ».

Les avis complets sont à retrouver sur les sites de ces organismes.

Des appels de scientifiques

Dans ce cadre, trente-cinq récipiendaires du prix Nobel, aux côtés de nombreux scientifiques et citoyens, ont pris l’initiative de s’adresser au Parlement européen en vue de l’examen à venir de la réglementation concernant les nouvelles techniques génomiques (NTG) (lettre rendue publique le 20 janvier 2024 par l’association WePlanet qui est à l’origine de l’initiative [12]). Ils demandent aux parlementaires « de prendre en considération l’ensemble de preuves scientifiques solides qui soutiennent les NGT » et d’aligner leurs décisions « sur les progrès de la compréhension scientifique ». En France, une initiative parallèle de vingt directeurs de recherche et professeurs (Inrae, CNRS, Académie des sciences…), rendue publique le 30 octobre 2023, dénonce la désinformation qui entoure la controverse, regrettant le qualificatif d’« OGM cachés » employé « pour agiter un chiffon rouge et créer de l’anxiété » [13].

Nous reproduisons ici ces deux appels à titre d’information.

Éclairer la décision politique

L’Afis, fidèle à ce qui définit son action, ne se prononce pas sur ce que devraient être les décisions politiques (ce que font les appels de scientifiques mentionnés plus haut). Elle a dénoncé de longue date la désinformation qui a entouré les OGM et leurs impacts sanitaires ou environnementaux [14], et qui se poursuit aujourd’hui avec les nouvelles techniques d’édition du génome. La décision politique doit rester libre, mais elle se doit d’être éclairée par l’état réel des connaissances scientifiques. L’Afis estime important de porter à la connaissance de ses lecteurs des initiatives qui vont dans ce sens.

Conseil d’administration de l’Afis, 22 janvier 2024

1 Avec un vote de la Commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire (Envi) prévu le mercredi 24 janvier 2024.
2 Incluant des prix Nobel d’économie, bien que ce prix, intitulé « prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel » ne soit pas décerné par l’Académie Nobel.

Références


1 | Regnault-Roger C, « OGM : une source de progrès pour la santé (One Health) », Science et pseudo-sciences n°327, janvier 2019.

2 | « Proposition de règlement du parlement européen et du conseil concernant les végétaux obtenus au moyen de certaines nouvelles techniques génomiques et les denrées alimentaires et aliments pour animaux qui en sont dérivés, et modifiant le règlement (UE) 2017/625 », Commission européenne, 5 juillet 2023.

3 | “Scientific Opinion on the evaluation of existing guidelines for their adequacy for the food and feed risk assessment of genetically modified plants obtained through synthetic biology”, Groupe scientifique de l’Efsa sur les organismes génétiquement modifies, Efsa Journal, 2022 ; 20 (7) : 7410, 25 p.

4 | « Questions fréquemment posées : proposition relative aux nouvelles techniques génomiques », Commission européenne. Sur le site de la commission (consulté le 20 janvier 2024).

5 | « Ces nouveaux OGM, issus de NGT, qui pourraient s’introduire dans nos assiettes », Greenpeace, sur le site de l’association (consulté le 20 janvier 2024).

6 | « Assouplir la réglementation sur les OGM pour accélérer la recherche et l’innovation à partir de nouvelles techniques génomiques : le G6 accueille favorablement la proposition de la Commission », CNRS Info, 20 juillet 2023.

7 | “G6 Statement on the European Commission’s proposal for a regulation on Plants obtained by certain new genomic techniques”, Consiglio Nazionale delle Ricerche (Italie), Centre National de la Recherche Scientifique (France), Consejo Superior de Investigaciones Científicas (Espagne), Helmholtz Association (Allemagne), Leibniz Association (Allemagne) et Max Planck Society (Allemagne), 14 décembre 2023.

8 | Académie d’agriculture de France, « Réécriture du génome, éthique et confiance », Avis de l’AAF adopté le 8 janvier 2020.

9 | Académie des technologies, « Avis de l’Académie des technologies sur les nouvelles technologies génomiques appliquées aux plantes », 15 février 2023.

10 | Comité consultatif commun d’éthique Inra-Cirad-Ifremer, « Avis n°11 sur les nouvelles techniques d’amélioration génétique des plantes », mars 2018.

11 | Académie des sciences, « De l’intérêt des plantes génétiquement éditées », Communiqué de presse, 10 novembre 2023

12 | “Open Letter”, WePlanet, sur le site weplanet.org, consulté le 20 janvier 2024.

13 | « Effrayer le public en prétendant que ces plantes vont faire augmenter les intrants chimiques est un mensonge », Appel de scientifiques publié dans le journal Le Monde, 30 octobre 2023.

14 | « OGM : vingt ans de progrès, vingt ans de controverses », introduction du dossier de Science et pseudo-sciences n°327 (janvier 2019).

L’Anses et l’évaluation des risques

(encadré ajouté pour information suite au communiqué de l’Anses du 6 mars 2024 et publié dans Science et pseudo-sciences n°348)

L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a publié en janvier 2024 un avis et un rapport d’expertise collective [1] qui s’étaient donné plusieurs objectifs relatifs aux « plantes issues de mutagénèse dirigée réalisée au moyen du système CRISPR-Cas » : « établir un état des connaissances sur les effets non désirés potentiels au niveau du génome […] ; déterminer les requis spécifiques en termes d’évaluation des risques sanitaires et environnementaux […] ; déterminer comment le référentiel actuel d’évaluation des OGM pourrait être adapté […] ».

Dans un communiqué du 6 mars 2024 [2], l’agence précise que sa démarche vise à « éclairer les autorités et parties prenantes dans les discussions actuelles sur l’évolution de l’encadrement européen portant sur les OGM », constatant également « que le référentiel actuel d’évaluation des risques sanitaires et environnementaux des plantes génétiquement modifiées n’est que partiellement adapté à l’évaluation de ces nouvelles plantes [issues des nouvelles techniques génomiques] ».

L’agence propose ainsi « d’adapter l’évaluation de ces plantes au cas par cas, dans une approche graduée, et recommande un dispositif global de suivi. Au-delà des enjeux sanitaires, l’Anses identifie également différentes motivations et préoccupations socio-économiques associées aux NTG en agriculture et appelle à appuyer les décisions à venir sur une mise en débat démocratique considérant, au-delà des risques, l’ensemble des enjeux. »

Cette démarche fait écho aux avis académiques sur le volet de l’évaluation des risques. Ainsi, le comité d’éthique Inra-Cirad-Ifremer recommande d’« encourager les recherches sur les risques éventuels pour la santé humaine, la santé animale et l’environnement liés à l’édition de précision des génomes végétaux et, le cas échéant, sur les moyens de les pallier » [3]. L’Académie des technologies, elle, définit des critères distinguant, selon les cas, trois régimes d’évaluation des risques sanitaires et environnementaux, allant d’une dispense d’évaluation jusqu’à une évaluation de type OGM [4]. L’Académie d’agriculture recommande « une évaluation systématique et interdisciplinaire des risques environnementaux » répondant à la nécessité de « maintenir le principe d’une autorisation préalable à toute dissémination après réécriture du génome […] » et d’« instaurer un suivi systématique avec des autorisations limitées dans le temps et révocables au vu des informations apportées par ce suivi » [5].

Dans sa proposition de réglementation, rappelons que l’Union européenne privilégie, pour les modifications « qui pourraient également apparaître naturellement ou être produits par obtention conventionnelle » de les traiter « de la même manière que les végétaux conventionnels » [6]. Pour les autres, « l’évaluation des risques serait adaptée pour tenir compte de la diversité de leurs profils de risque et pour répondre aux difficultés liées à la détection ».

Références
[1] Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, « Risques et enjeux socio-économiques liés aux plantes NTG », Avis de l’Anses et Rapport d’expertise collective, janvier 2024, 324 p. Sur anses.fr

[2] Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, « Nouvelles techniques génomiques : l’Anses appelle à une réglementation adaptée », Communiqué, 6 mars 2024. Sur anses.fr

[3] Comité consultatif commun d’éthique Inra-Cirad-Ifremer, « Avis n° 11 sur les nouvelles techniques d’amélioration génétique des plantes », mars 2018. Sur inrae.fr

[4] Académie des technologies, « Avis sur les nouvelles technologies génomiques appliquées aux plantes », 15 février 2023.

[5] Académie d’agriculture de France, « Réécriture du génome, éthique et confiance », Avis, 8 janvier 2020.

[6] Commission européenne, « Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant les végétaux obtenus au moyen de certaines nouvelles techniques génomiques et les denrées alimentaires et aliments pour animaux qui en sont dérivés, et modifiant le règlement (UE) 2017/625 », 5 juillet 2023. Sur food.ec.europa.eu


L’appel de 35 prix Nobel

Chers membres du Parlement européen,

En ces temps de crise climatique, de perte de biodiversité et de recrudescence de l’insécurité alimentaire, une approche scientifique et fondée sur des preuves est essentielle à tous égards. Aujourd’hui plus que jamais, nous devons nous élever au-dessus de l’idéologie et du dogmatisme. C’est pourquoi nous, soussignés, nous tournons vers vous, et vous exhortons à examiner attentivement les avantages de l’adoption des nouvelles techniques génomiques (NGT) lors de vos prochaines décisions parlementaires.

En tant que citoyens concernés, qui croient au pouvoir de la science pour améliorer nos vies et notre relation avec la planète, nous vous implorons de voter en faveur des NGT, en alignant vos décisions sur les progrès de la compréhension scientifique. La sélection conventionnelle de cultures résistantes au climat (avec des croisements de certains caractères, une sélection ultérieure et des rétrocroisements pour éliminer les caractères indésirables) prend trop de temps. Cela prend des années, voire des décennies. Nous ne disposons pas de ce temps à l’ère de l’urgence climatique.

Il existe également de nombreuses plantes qui, en raison de leurs caractéristiques génétiques spécifiques, sont très difficiles à sélectionner par des moyens conventionnels, comme les arbres fruitiers, les vignes ou les pommes de terre. Il se trouve que ces cultures ont besoin de la plupart des pesticides nocifs utilisés dans l’Union européenne pour se protéger contre les ravageurs et les maladies. Mais tout comme pour la résilience climatique, les NGT peuvent améliorer considérablement cette situation.

Les NGT contribuent à rendre les plantes cultivées résistantes aux maladies grâce à des modifications précises et ciblées de leur code génétique, ce qui rend possibles nos objectifs ambitieux et vitaux de réduction des pesticides tout en protégeant les rendements des agriculteurs. Il n’est donc pas surprenant que de nombreux agriculteurs européens, qui travaillent dur – y compris un nombre croissant de producteurs biologiques – soient des partisans enthousiastes des NGT.

C’est pourquoi des méthodes de sélection rapides, ciblées et avantageuses doivent être ajoutées à la boîte à outils du sélectionneur.

Le projet de loi sur la réglementation des plantes NGT est donc une étape importante que nous soutenons dans le cadre de notre mission d’amélioration de la durabilité environnementale dans les domaines de l’alimentation, de l’agriculture et de l’énergie. L’utilisation responsable des NGT, que la législation pourrait débloquer, pourrait contribuer de manière significative à notre quête collective d’un avenir plus résilient, plus respectueux de l’environnement et plus sûr sur le plan alimentaire.

Les NGT sont extrêmement prometteuses pour l’agriculture durable, le renforcement de la sécurité alimentaire et les solutions médicales innovantes. Mais les opportunités pourraient également se traduire par de nouveaux emplois et une plus grande prospérité économique. Un rapport récent a montré que le fait de ne pas autoriser les NGT pourrait coûter à l’économie européenne 300 milliards d’euros par an en « avantages perdus » dans de nombreux secteurs. Voilà ce qu’il en coûte de dire « non » au progrès scientifique.

Nous, soussignés, vous encourageons donc à vous engager auprès de l’écrasante majorité des agriculteurs et des véritables experts, et non auprès des lobbyistes antiscience actifs dans la bulle bruxelloise.

Nous vous demandons de prendre en considération l’ensemble de preuves scientifiques solides qui soutiennent les NGT, et de prendre vos décisions dans l’intérêt de l’Union européenne et de ses citoyens. Votre soutien aux NGT ne favorisera pas seulement l’innovation, mais positionnera également l’UE en tant que leader dans l’élaboration de politiques responsables et fondées sur des données fiables dans le monde entier. Les dirigeants africains, par exemple, suivent de près votre décision, tout comme les scientifiques africains qui ont mis au point des variétés de manioc, de banane, de maïs et d’autres cultures de base résistantes au climat et prêtes à être cultivées.

Nous vous remercions de l’attention que vous portez à cette question, et sommes convaincus qu’avec votre soutien, le Parlement européen pourra rejeter les ténèbres de l’alarmisme antiscientifique et se tourner vers la lumière de la prospérité et du progrès.

Sincèrement,

Les signataires prix Nobel :

Emmanuelle Charpentier, prix Nobel de chimie, 2020 ;
Jennifer Doudna, prix Nobel de chimie, 2020 ;
Sir Richard John Roberts, prix Nobel de médecine et physiologie, 1993 ;
Roger D Kornberg, prix Nobel de chimie, 2006 ;
Craig Mello, prix Nobel de médecine et physiologie 2006 ;
Peter Doherty, prix Nobel de Médecine et Physiologie, 1995 ;
Sheldon Glashow, prix Nobel de physique, 1979 ;
Charles M Rice, prix Nobel de Médecine et Physiologie, 2020 ;
Konstantin Sergeevich Novoselov, prix Nobel de physique, 1979 ;
David Baltimore, prix Nobel de médecine et physiologie, 1975 ;
John Mather, prix Nobel de physique, 2006 ;
Randy W. Scheckman, prix Nobel de médecine et physiologie, 2013 ;
Gregg L. Semenza, prix Nobel de médecine et physiologie, 2019 ;
Takaaki Kajita, prix Nobel de physique, 2015 ;
May Britt Moser, prix Nobel de médecine et physiologie, 2014 ;
Edvard Moser, prix Nobel de médecine et physiologie, 2014 ;
Jerome I Friedman, prix Nobel de physique, 1990 ;
Christiane Nusslein Volhard, prix Nobel de médecine et physiologie, 1995 ;
F. Duncan M. Haldane, prix Nobel de physique, 2016 ;
Lars Peter Hansen, prix Nobel d’économie, 2013 ;
Eric S. Maskin, prix Nobel d’économie, 2007 ;
Sir Oliver Hart, prix Nobel d’économie, 2016 ;
Edmund S. Phelps, prix Nobel d’économie, 2006 ;
Mario R. Capecchi, prix Nobel de médecine et physiologie, 2007 ;
Martin Chalfie, prix Nobel de chimie, 2008 ;
Barry J. Marshall, prix Nobel de médecine, 2005 ;
Harold E. Varmus, prix Nobel de médecine, 1989 ;
George F. Smoot, prix Nobel de physique, 2006 ;
Hartmut Michel, prix Nobel de chimie, 1988
Erwin Neher, prix Nobel de médecine et physiologie, 1991 ;
Barry Clark Barish, prix Nobel de physique, 2017 ;
Eric F. Wieschaus, prix Nobel de médecine et physiologie, 1995 ;
Brian Kobilka, prix Nobel de chimie, 2012 ;
Kurt Wuthrich, prix Nobel de chimie, 2002 ;
Fynn Kydland, prix Nobel d’économie, 2004.

Liste complète des signataires à retrouver sur le site de WePlanet [1].

Traduction en français réalisée par le magazine Le Point.

La lettre ouverte sur le site WePlanet


Vivement les nouveaux OGM bio !

Appel de vingt scientifiques français

Toutes les plantes que nous mangeons depuis les débuts de l’agriculture sont différentes de celles existant à l’état sauvage. Elles ont, par exemple, des fruits plus gros, plus sucrés, des graines plus nombreuses, non toxiques et qui restent attachées à l’épi. Ces différences sont dues à des accidents génétiques variés dans leur génome : les mutations stricto sensu, mais aussi des insertions aléatoires d’éléments génétiques mobiles (comme chez les oranges sanguines) ou même des multiplications du nombre de chromosomes (comme chez le blé). Au cours des siècles, les humains ont d’abord sélectionné, dans la nature puis dans le contexte artificiel du champ, des plantes possédant des mutations spontanées avantageuses. Puis on a croisé des variétés de provenances éloignées et même des espèces différentes (comme l’abricot et l’amande ou le pomelo et la mandarine), qui n’auraient probablement jamais eu de descendance sans l’aide de l’homme.

Depuis plus d’un demi-siècle, on utilise des agents mutagènes physiques (rayonnement) ou chimiques pour obtenir des variations intéressantes agronomiquement. On a ainsi créé des milliers de variétés dont le pomelos américain, une banane soudanaise ou une pomme française. Ces différentes méthodes (croisement et mutagenèse) introduisent de plusieurs milliers à plusieurs millions de mutations (les génomes des plantes comprennent de quelques centaines de millions (tomate) à plusieurs milliards de bases de l’ADN (maïs)). Toutes les plantes cultivées sont donc génétiquement modifiées et ont toujours été considérées sans risques sanitaire ou environnemental. Le terme « OGM » est une définition réglementaire, réservée à des plantes chez lesquelles est introduit de l’ADN étranger à l’espèce pour les rendre, par exemple, capables de produire leur propre insecticide bio (issu de la bactérie Bacillus thuringiensis) ou de résister aux virus (papayers sur les îles Hawaii). Ces plantes sont soumises en Europe à une réglementation extrêmement lourde basée sur leur méthode d’obtention (la transgénèse) qui rend leur culture quasiment impossible (mais pas leur importation).

Aujourd’hui, grâce aux techniques d’édition du génome (résumées par l’acronyme CrispR/Cas9), on sait introduire une poignée de variations à des endroits définis du génome. On fait toujours la même chose, insérer et sélectionner des mutations, mais de façon rapide et choisie, en se basant sur les connaissances scientifiques établies au cours des dernières décennies, plutôt que de trier parmi de nombreuses mutations aléatoires, spontanées ou induites. Les plantes issues de ces approches sont génétiquement bien plus proches de leurs parents que celles provenant de croisements entre variétés ou traitées aux rayons X. Les changements génétiques introduits étant identiques à ceux causés par la mutagénèse naturelle ou induite, rien ne permet même de distinguer s’ils sont apparus spontanément ou ont été créés par l’homme.

Ainsi, on sait produire des tomates ou des pommes de terre qui résistent par elles-mêmes au mildiou ou à certains virus. Cela permet de limiter considérablement les traitements antifongiques, comme la bouillie bordelaise qui contamine les sols en cuivre toxique ou les traitements insecticides permettant de détruire les pucerons qui sont les vecteurs de virus. Le potentiel de ces techniques est immense, il permet de modifier toutes les caractéristiques des plantes incluant l’adaptation aux températures croissantes.

Ces plantes sont qualifiées de « nouveaux OGM », ou « OGM cachés » pour agiter un chiffon rouge et créer de l’anxiété mais, une telle définition, prise au pied de la lettre, devrait conduire à bannir les « anciens OGM » produits par 9000 ans d’agriculture et à ne se nourrir que de pissenlits et d’ail des ours... Effrayer le public en prétendant que ces plantes vont nécessairement faire augmenter les intrants chimiques est un mensonge. La notion d’intrant génétique également utilisée pour inquiéter n’a elle aussi aucun sens. Produire une tomate plus riche en vitamine D ou une pomme de terre résistante au mildiou est un progrès pour le consommateur et pour l’agriculteur. Et une mutation obtenue dans un laboratoire et évaluée avant sa commercialisation ne présente pas plus de danger qu’une variation génétique aléatoire, observée et retenue par un agriculteur.

Exploiter le potentiel d’une telle technologie demande une législation pour évaluer les bénéfices et les risques comme cela se fait aujourd’hui pour les nouvelles variétés. Imposer sans raison une réglementation trop contraignante serait la garantie que ces avancées ne profitent qu’à un très petit nombre d’entreprises capables d’assumer le coût de l’homologation (une dizaine de millions d’euros), comme c’est le cas actuellement pour les plantes transgéniques. Cela priverait de la possibilité d’innover les quelque 80 PME qui, rien qu’en France, produisent des semences et créent de nouvelles variétés. On reproche aussi aux biotechnologies végétales de privatiser le vivant sous forme de brevets. Mais il existe une alternative à favoriser : c’est le certificat d’obtention végétale (COV) qui permet la libre réutilisation des variétés nouvelles tout en préservant le travail des entreprises semencières.

Loin de nous cependant l’idée que les nouvelles variétés issues de cette sélection végétale avancée vont résoudre tous les problèmes de l’agriculture liés au dérèglement climatique et à la nécessité de réduire les phytosanitaires tout en nourrissant convenablement une humanité en croissance. Ces nouvelles variétés resteront compatibles avec la sélection variétale « classique », qui devra toujours être largement utilisée, et avec les approches agroécologiques considérant les champs comme des écosystèmes incluant un cortège de microorganismes. Les habitudes alimentaires devront également évoluer pour augmenter la part de la production végétale destinée aux humains plutôt qu’aux animaux d’élevage. Sans sombrer dans une vision cornucopienne où la technologie suffirait à résoudre toutes les difficultés, l’enjeu est toutefois trop important pour refuser des solutions pour des raisons dogmatiques, en ne s’appuyant sur aucune base scientifique. Paradoxalement, ces nouvelles variétés seront plus adaptées aux pratiques de l’agriculture raisonnée ou de l’agriculture biologique que celles utilisées jusque-là et dépendantes des produits phytosanitaires.

Vivement qu’arrivent dans nos champs, nos jardins et nos assiettes, les nouveaux OGM bio !

François Parcy, Directeur de Recherche CNRS Grenoble
Christophe Robaglia, Professeur Aix Marseille Université
David Bouchez, Directeur de Recherche INRAE Versailles
Véronique Brault, Directrice de Recherche INRAE Colmar
Michel Delseny, Directeur de Recherche CNRS, Acad. Sciences
David Gilmer, Professeur Université de Strasbourg
Christian Meyer, Directeur de Recherche INRAE Versailles
Sébastien Mongrand, Directeur de Recherche CNRS Bordeaux
Francis André Wollman, Directeur de Recherche CNRS, Acad. Sciences
Véronique Ziegler Graff, Directrice de Recherche CNRS Strasbourg
Laurent Nussaume Directeur de Recherches CEA
Yonghua Li-beisson Directrice de Recherches CEA
Nathalie Leonhardt Directrice de Recherches CEA
Stefano Caffarri Professeur Aix Marseille Université
Thierry Desnos Directeur de Recherches CEA
Benjamin Field Directeur de Recherches CNRS
Christophe Laloi Professeur Aix Marseille Université
Christophe Ritzhenthaler Directeur de Recherche CNRS
Catherine Regnault-Roger Professeur émérite Université Pau et pays de l’Adour, Acad Agriculture, Acad Pharmacie.
Thierry Langin Directeur de Recherches CNRS
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