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Helgoland

Publié en ligne le 22 novembre 2021
Helgoland
Le sens de la mécanique quantique
Carlo Rovelli
Flammarion, 2021, 272 pages, 21,90 €

Helgoland est le nom de cette île de la mer du Nord où le physicien Werner Heisenberg se retrancha quelques jours durant l’été 1925. Il profita de ce moment de solitude pour concevoir la structure mathématique de la mécanique quantique, que Carlo Rovelli, physicien et philosophe des sciences, considère comme étant « peut-être la plus grande révolution scientifique de tous les temps ».

L’objectif revendiqué de l’auteur est de proposer une explication de cette mécanique quantique qui puisse être accessible au béotien, afin d’explorer ses conséquences philosophiques. Pour cela, le livre revient sur son histoire à travers certains grands noms de la physique (Einstein, Bohr, Schrödinger, Born, etc.) ainsi que sur des notions parfois obscures comme « superposition quantique », « intrication » ou encore « fonction d’onde ». Le texte, simple et pédagogique, permet de s’approprier sans trop de difficultés ces concepts décrivant le monde subatomique et dont les implications sont souvent mal comprises.

Si les passages historiques et explicatifs évoquent les choses de façon neutre, il n’en est pas de même des interprétations philosophiques. En effet, si tous les physiciens s’accordent sur la précision et l’efficacité de la théorie des quanta, le sens à lui donner n’a rien d’évident. Pour l’illustrer, l’auteur cite Niels Bohr, qui avait l’habitude de dire : « Il n’existe pas de monde quantique. Il n’y a qu’une description quantique abstraite. Il est faux de penser que la tâche de la physique consiste à décrire comment est la Nature. La physique ne s’intéresse qu’à ce que nous pouvons dire de la Nature. » L’éminent physicien se positionne ici contre le réalisme épistémologique, qui stipule que la science décrit le monde tel qu’il est, au moins en partie. C’est également dans cette perspective que s’inscrit C. Rovelli et son interprétation « relationnelle ». En effet, après un bref passage sur les interprétations « réalistes » 1 qu’il juge peu convaincantes, l’auteur développe l’idée qu’une description de la réalité est cohérente seulement lorsqu’elle exprime les relations entre les entités, et non les entités elles-mêmes. Autrement dit, les événements peuvent être décrits seulement parce qu’ils sont en relation. Chaque description de la réalité devient donc relative à un point de vue.

Les conséquences d’une telle vision sont troublantes. À la question « Est-il possible que quelque chose soit réel par rapport à toi, mais pas par rapport à moi ? », l’auteur répond, entre autres, que « le monde se fragmente en un jeu de points de vue, qui n’admet pas une vision globale unique ». Heureusement, C. Rovelli ne considère pas cela comme un frein au progrès scientifique : « Les points de vue communiquent, les connaissances dialoguent entre elles et avec la réalité ; dans le dialogue, elles se modifient, s’enrichissent, convergent, et notre compréhension de la réalité s’approfondit. » Par ailleurs, l’auteur fustige la mainmise de quelques charlatans sur l’adjectif « quantique » qui sert à justifier à peu près tout et n’importe quoi, comme la prétendue « médecine quantique » ou diverses théories « holistiques ».

Pour le lecteur qui n’est pas familiarisé avec les débats autour de l’interprétation de la physique quantique, l’ouvrage peut être déstabilisant : il bouscule nos certitudes et nos représentations d’un monde fait de choses concrètes et propose une vision contre-intuitive de la réalité. Quoi qu’il en soit, et en n’oubliant pas le caractère spéculatif des différentes interprétations, ce livre constitue une bonne entrée dans ce fascinant domaine de la connaissance qu’est la physique quantique.

1 L’auteur décrit la théorie des mondes multiples, les théories à variables cachées et celle de l’effondrement physique.

Publié dans le n° 339 de la revue


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Auteur de la note

Valentin Bellée

Professeur des écoles.

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