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Démystifier le vivant

Publié en ligne le 5 janvier 2024
Démystifier le vivant
36 métaphores à ne plus utiliser
Annabelle Kremer-Lecointre, Guillaume Lecointre (illustrations d’Arnaud Rafaelian)
Belin-Éducation, coll. Un monde qui change, 251 pages, 23,90 €

Vous pensez que les forêts sont les poumons verts de la planète ? Que la nature est bien faite ? Qu’il y a des stratégies adaptatives ? Que nos cellules fonctionnent grâce à un programme génétique ? Alors préparez-vous à subir une dissonance cognitive puissante, tant la lecture de ce livre pourrait bousculer des conceptions profondément ancrées.

Ce livre a été rédigé par Annabelle Kremer-Lecointre, agrégée de SVT et ingénieure de formation, et Guillaume Lecointre, enseignant-chercheur au Muséum national d’histoire naturelle particulièrement investi dans la transmission de la culture scientifique et de l’épistémologie auprès du grand public, et également membre du comité de parrainage de l’Afis.

Cette association permet d’allier le savoir-faire pédagogique et les connaissances théoriques pointues concernant les sciences de la vie. À cela s’ajoutent, au détour des chapitres, cinquante illustrations d’Arnaud Rafaelian, d’une qualité artistique et satirique telle qu’elle renforce d’autant l’intérêt de se procurer ce magnifique ouvrage.

La question des métaphores en science n’est pas nouvelle. Jacques Bouveresse mentionnait leur utilité pour formuler des assertions auxquelles il n’existe pas de paraphrase littérale. Il indiquait aussi que le domaine de validité de leur emploi est restreint à l’existence de bons indices qui prouvent la présence d’une similitude entre le concept utilisé et le concept décrit par la métaphore 1. C’est cette tension entre utilité et limites des métaphores qu’explore cet ouvrage, que ce soit dans la communication des scientifiques, dans la vulgarisation auprès du grand public ou encore en pédagogie dans les classes de sciences.

Plus précisément, si leurs valeurs heuristiques ne sont pas niées, surtout dans la phase d’exploration des phénomènes, de proposition des hypothèses, afin de mettre des mots sur l’incompris, elles sont porteuses de risque aux conséquences plus ou moins importantes.

C’est à ces métaphores pouvant être sources d’obstacle épistémologique en biologie (frein à la bonne compréhension des concepts scientifiques), par leur caractère peu informatif voire trompeur, que s’attaquent les auteurs. Le recours à ces figures de style peut être involontaire (« métaphores dites “vieillissantes” ») ou volontaire (« métaphores “trompeuses” et/ou “pour convaincre” »). Dans un contexte médiatique et sociétal où les sciences de la vie prennent une grande place (réchauffement climatique, érosion de la biodiversité…), savoir identifier ces métaphores peut revêtir un enjeu crucial afin de ne pas entraîner de mauvaise compréhension ou de provoquer des manipulations comme cela a été le cas pour la campagne de vaccination contre la Covid-19 2.

Les auteurs proposent donc de cheminer à travers six grandes thématiques pour réaliser une étude précise de 36 métaphores mystificatrices. Cela permet, de manière mosaïque, d’aborder l’histoire des sciences par le contexte de l’élaboration de ces représentations. Pour chacune d’entre elles, leur limite épistémique et les valeurs qu’elles véhiculent, leur attractivité cognitive, et enfin une piste de proposition de remplacement sont également évoquées.

Par exemple, nous pouvons prendre l’idée répandue que « l’ovule attend d’être fécondé par le spermatozoïde ». Ici l’analogie nous place devant un ovule féminin passif et le spermatozoïde actif, image de la fécondation en accord avec une certaine vision sociale sexiste basée sur l’attribution de rôles spécifiques aux femmes (passives et dominées) et aux hommes (intrépides et conquérants) dans la reproduction voire dans la société en général.

Les auteurs développent comment ces rôles ont été légitimés sous couvert de biologie, à travers l’histoire de l’élaboration des connaissances de la notion de fécondation, de la description microscopique des spermatozoïdes par Leeuwenhoek, interprétés comme étant des animalcules contenant un petit corps humain préformé dans la tête du spermatozoïde, en passant par la doctrine de l’ovisme, où le corps préformé se trouvait dans l’ovule mais dont l’activation ne pouvait être faite que par l’apport d’un « esprit germinatif » apporté par le spermatozoïde, à la célèbre vidéo pédagogique de L’Odyssée de la vie où l’ovule se contente d’attendre docilement d’être pénétré par le spermatozoïde vainqueur d’une course effrénée au sein des voies génitales de la femme.

Outre la vision sociale rétrograde qui est sous-tendue par cette représentation, cette métaphore repose sur une vision vitaliste (des spermatozoïdes poussés vers l’avant par la force de la vie) et intentionnaliste (spermatozoïdes et ovules dotés d’intention) de la biologie, trompeuse et pernicieuse (une cellule œuf personnifiée pourrait être un argument pour la cause anti-IVG). Mais aussi, cette métaphore porte en elle de nombreuses erreurs scientifiques : omission de la communication chimique par la progestérone qui oriente le trajet des spermatozoïdes, sous-estimation du rôle de l’ovule dans la fécondation (qui est une affaire de binôme) et dans l’hérédité (l’ovule fournit le cytoplasme qui contient de nombreux gènes maternels, notamment dans les mitochondries) et enfin déformation des voies génitales qui ne sont pas une entrave, mais un soutien au déplacement des spermatozoïdes (par contraction de la paroi utérine…).

Pour l’ensemble de ces raisons, il nous est proposé de remplacer cette métaphore fallacieuse par la « fécondation entre l’ovule et le spermatozoïde ».

Pour conclure, le contenu se montre assez clair et accessible pour toute personne curieuse et souhaitant enrichir sa vision du vivant sans être forcément experte en biologie. Il apporte des outils conceptuels qui aiguisent sa vigilance dans son environnement informationnel.

De plus, sa rigueur, sa richesse en références épistémiques et scientifiques en font un ouvrage primordial pour les enseignants et vulgarisateurs scientifiques. Il les invite à faire preuve de davantage d’humilité intellectuelle et de prudence dans l’usage des métaphores et autres analogies séduisantes mais potentiellement fautives.

1 Bouveresse J, Vertiges et prodiges de l’analogie, ‎ Raisons d’agir, 1999.

Publié dans le n° 348 de la revue


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Auteur de la note

Christophe Adourian

Professeur agrégé de science de la vie et de la Terre (…)

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