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Guide critique de l’évolution

Publié en ligne le 3 juillet 2022
Guide critique de l’évolution
Guillaume Lecointre (dir.)
Belin Education, nouvelle édition, 2021, 668 pages, 39 €

Ce livre est la deuxième édition d’un ouvrage paru en 2009. La nouvelle préface dessine les enjeux de l’ouvrage : « Si l’on ne comprend pas l’évolution, ce n’est pas seulement l’histoire du vivant qui n’est pas compréhensible, c’est également sa dynamique même qui ne l’est plus (…). Sans compréhension de l’évolution du vivant, ni les progrès de la médecine ni ceux de l’agronomie ni ceux de l’écologie scientifique n’auraient été rendus possibles. » Il s’agit bien d’un « guide critique », parce qu’il analyse les discours sur l’évolution et propose à la fois une grille de lecture et des documents pour mieux appréhender et diffuser cette théorie scientifique. En ce sens, l’ouvrage intéresse tout particulièrement les enseignants des sciences de la vie et de la Terre, pour qui il a été largement pensé : on y trouve par exemple un chapitre qui leur donne des clés pour répondre aux dix questions pièges que les créationnistes suggèrent aux élèves de poser à leurs enseignants. Plus généralement, l’ouvrage est très bien structuré, avec des développements qui se renvoient les uns aux autres, et ce malgré le caractère collectif de l’écriture. Un cahier central en couleurs, intitulé « Paysages disparus », permet au lecteur de voyager dans le temps en différents points du monde, à l’aide de magnifiques illustrations présentant des paysages reconstitués sur la base des données paléontologiques.

L’histoire et l’épistémologie d’une théorie scientifique
Le guide est ainsi divisé en quatre grandes parties : la première, qui occupe un tiers du total, est une mise au point historique et épistémologique sur les principales notions de la théorie. L’auteur postule que « les difficultés de compréhension de l’évolution viennent pour beaucoup de la méconnaissance de la démarche scientifique qui est à l’œuvre », et il s’efforce donc de ne pas seulement expliquer la théorie de l’évolution, mais plus globalement, de faire comprendre ce que sont les sciences, qui pour leur part « n’expliquent la nature qu’à partir du monde naturel ». C’est donc là l’objet de la première partie dans laquelle on assiste souvent à un aller-retour entre exposé des connaissances et analyse de leur perception dans le public. Le chapitre sur les six piliers de la connaissance scientifique 1 propose une démarche à la fois rigoureuse et bien délimitée, mais plus ouverte que le seul célèbre critère de réfutabilité proposé par Karl Popper, philosophe des sciences (1902-1994). Le sous-chapitre sur la séparation des magistères, entre ce qui relève de la science et ce qui relève des valeurs, constitue un argumentaire particulièrement pertinent en faveur d’une approche qui se trouve être aussi au cœur de la démarche de l’Association française pour l’information scientifique (Afis). On appréciera tout particulièrement certains moments illustratifs comme l’analyse d’un documentaire sur l’évolution et des biais et erreurs qu’il charrie dans ses formulations, ou bien encore l’encadré « Le biomimétisme est plutôt mal parti », qui met à mal l’idée selon laquelle la nature est bonne par essence. On constate une rupture de ton avec la partie sur le créationnisme, qui est plus « journalistique », et dont l’essentiel des données date d’avant la première édition de 2009 (signe, peut-être, d’une mise en sourdine de l’offensive créationniste décrite à l’époque ?). On peut aussi regretter le fait que le récit de l’histoire de la pensée évolutionniste et des « intuitions transformistes » soit, comme presque toujours, très « européocentré » et ne s’interroge pas sur ce qui a été dit et pensé dans d’autres aires de civilisation. Au VIIIe siècle, dans son Livre des Animaux, l’arabe Al-Jahiz développait pourtant une grille de lecture clairement transformiste 2, qui ne semble a priori pas si différente de celle qu’avaient en Europe au XVIIIe siècle les penseurs « pré-lamarckiens » … mais est-ce bien le cas ?

Outre ces perspectives historiques et épistémologiques, l’ouvrage développe plusieurs chapitres permettant de faire le point sur les aspects paléontologiques et biologiques de l’évolution et propose quelques approches plus didactiques.

L’évolution des espèces et les mécanismes à l’œuvre
La deuxième partie de l’ouvrage présente la paléontologie et l’évolution passée du vivant : les auteurs ont choisi d’examiner l’évolution des amniotes qui regroupent les espèces actuelles et fossiles possédant un amnios, c’est-à-dire dont l’embryon se développe en milieu liquide dans un sac amniotique limité par une membrane. L’étude de ce groupe a l’avantage d’éviter les biais de perception qui, le plus souvent, oublient les dinosaures actuels (les oiseaux) et les groupes de mammifères qui s’épanouissaient déjà au temps des dinosaures. Les amniotes apparaissent à la fin du Paléozoïque (il y a 315 millions d’années [Ma], au Carbonifère supérieur) puis colonisent le milieu terrestre et se diversifient en milieu aquatique.

En s’appuyant sur de nombreux exemples qui peuvent servir de support à des séquences pédagogiques, la troisième partie de l’ouvrage expose ensuite les mécanismes qui conduisent à l’évolution du vivant. Sont ainsi traités : variation, transmission et filiation, contraintes sélectives, dérive génétique et sélection naturelle, adaptation, spéciation, mutualisme et coévolution, convergences évolutives. Sans passer en revue l’ensemble de la riche documentation scientifique ainsi mise à la disposition du lecteur, nous pouvons, ici, relever quelques exemples qui illustrent un changement de la perception des processus en jeu dans l’évolution des espèces vivantes.

Le dossier « Variation » discute la prégnance de la notion d’espèce dans notre perception des êtres vivants : l’idée essentialiste de faire entrer les êtres vivants dans des catégories nommées « espèces » occulte la variabilité des individus. Or, « la variation, c’est le carburant du vivant. C’est son assurance pour l’avenir. Une espèce qui ne possède plus de réserve de variant est condamnée. » Cette variation se manifeste à l’échelle de l’organisme mais aussi à l’échelle des cellules et des molécules, par une variation stochastique, c’est-à-dire liée au hasard, de l’expression des gènes. Elle s’exprime aussi à l’échelle des comportements (on parle de variation culturelle).

Le dossier « Transmission » nous explique que la transmission de caractères (ou traits phénotypiques) à la génération suivante peut s’accompagner de changements d’ordre génétique mais aussi de modifications liées à l’environnement dans lequel se trouvent les organismes ou les cellules. Ces changements hérités par la descendance permettent de reconstituer des filiations, comme par exemple celles des cellules lors du développement embryonnaire ou lors de la formation d’une tumeur cancéreuse. La transmission concerne aussi les milieux de vie : la construction par une génération d’une niche écologique transmise à la descendance, avec ses propres filtres sélectifs, permet d’adapter l’environnement aux organismes. « Les organismes ne sont pas seulement le produit de l’évolution de leur lignage, ils en sont aussi la cause. »

L’histoire de la vie au cours des temps géologiques
Enfin, la quatrième partie se focalise sur une dizaine d’aspects de l’histoire de la vie comme les crises biologiques : la plus importante, la crise Permien-Trias (- 250 Ma) qui a vu la disparition de plus de 90 % des organismes marin à squelette externe ou celle, plus récente, de la fin du Pléistocène (- 10 000 ans) caractérisée par l’extinction de la mégafaune des mammifères, comme par exemple, en Amérique du Nord le tigre à dents de sabre (Smilodon) ou le castor géant, et en Eurasie, le rhinocéros laineux ou le cerf des tourbières (Mégacéros).

En relation avec les changements dans la biodiversité, sont exposés les connaissances et débats actuels sur leurs causes, qui peuvent être cosmologiques (chute de météorites), géologiques (volcanisme, variations du niveau marin, tectonique des plaques) ou climatiques (cycle interglaciaire/glaciaire en Europe). L’humain, par ses activités, est aussi un facteur majeur de modification de la biodiversité (et donc de son évolution) : s’il peut provoquer des extinctions, il peut aussi intervenir pour sauvegarder des espèces menacées, et le processus de domestication des plantes et de leur culture à grande échelle lui impose de veiller à préserver la diversité intraspécifique. D’ailleurs, les inventaires de la biodiversité conduisent à l’identification de nouvelles espèces (entre 15 000 et 18 000 chaque année) : quelques pages sont consacrées à des études de cas et aux biais qui peuvent affecter ces inventaires.

Sont abordés par ailleurs : l’histoire de la compréhension de l’évolution des équidés ; les caractéristiques qui ancrent les oiseaux dans le groupe des dinosaures théropodes et le développement de trois traits aviens (la bipédie, la plume et le vol) ; l’évolution humaine dont Homo sapiens constitue la dernière espèce vivante du groupe frère des chimpanzés. Un exercice intéressant, consistant à résumer l’évolution depuis un autre point de vue que celui de l’humain, comme par exemple celui de la moule, montre le biais de sélection des événements évolutifs retenus, « artéfacts de notre anthropocentrisme ».

Un ouvrage de référence
Par de nombreux aspects, cette nouvelle édition, dans le prolongement de la précédente, entend inciter à réviser une approche qui a pu être, longtemps, celle de l’enseignement et de la vulgarisation : la mise en avant de quelques événements évolutifs souvent qualifiés de majeurs, comme par exemple le règne des dinosaures et leur disparition, au détriment d’une vue d’ensemble de la variété des processus à l’œuvre et de l’histoire évolutive du vivant dans sa diversité. Les différentes parties du livre montrent les nombreuses conceptions qui ont émergé récemment dans la science de l’évolution et qui ouvrent autant de pistes de réflexions sur les propriétés des êtres vivants.

Ce volumineux ouvrage au grand format est d’abord destiné, d’un point de vue pratique et utilitaire, aux biologistes, enseignants ou étudiants. Pour autant, il s’agit aussi plus largement d’un « ouvrage de référence » qui figurera utilement dans la bibliothèque de tous ceux qui s’intéressent, d’une manière ou d’une autre, à la théorie de l’évolution. Il permet à tout public intéressé par l’histoire et l’épistémologie de la pensée évolutionniste de découvrir avec force exemples concrets, les derniers développements de la biologie, discipline qui intègre désormais la dimension évolutive dans tous ses aspects : de la biologie moléculaire à la biologie de conservation, en passant par l’écologie, la biologie médicale ou celle des comportements.

Une version condensée de cette note a été publiée dans le numéro 341 (juillet 2022) de Science et pseudo-sciences

1 Voir Lecointre G, Savoirs, opinions, croyances. Une réponse laïque et didactique aux contestations de la science en classe, Belin Éducation, 2018. Voir une note de lecture sur cet ouvrage sur arfis.org
[https://www.afis.org/Savoirs-opinions-croyances]

2 Le transformisme est en quelque sorte l’ancien nom de l’évolutionnisme lorsque l’enjeu central était de contester le fixisme, c’est-à-dire l’idée selon laquelle les caractéristiques des espèces sont immuables. Le transformisme était par exemple le nom donné à la doctrine du Français Lamarck, un demi-siècle avant Darwin. Sur Al-Jahiz, voir par exemple Meyssa Ben Saad et Mehrnaz Katouzian‑Safadi, « Quelques interprétations de la diversité du monde vivant chez le savant arabe al-Djâhiẓ (776-868) », Bibnum [en ligne], Sciences de la vie, mis en ligne le 01 mars 2012.
[https://journals.openedition.org/bibnum/626]

Publié dans le n° 341 de la revue


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Les auteurs de la note


Yann Kindo

Yann Kindo est enseignant en histoire-géographie. Il est (…)

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