Accueil / Notes de lecture / Comprendre la physique quantique

Comprendre la physique quantique

Publié en ligne le 25 avril 2021
Comprendre la physique quantique
Jean Bricmont

Odile Jacob, 2020, 320 pages, 24,90 €

Jean Bricmont est un physicien théoricien et essayiste belge qui s’est fait connaître du grand public en 1997 par la publication d’Impostures intellectuelles 1 co-écrit avec le physicien et épistémologue Alan Sokal. Dans cet ouvrage, qui a suscité de vives controverses, ils dénonçaient « l’abus réitéré de concepts et de termes provenant des sciences physico-mathématiques » par les philosophes et penseurs dits post-modernes 2. Par la suite, J. Bricmont s’est, à de nombreuses reprises, engagé pour la défense de la rationalité scientifique dans le débat public et fut notamment président de l’Afis de 2001 à 2006.

Dans ce nouvel ouvrage, J. Bricmont expose, avec la vigueur qui le caractérise, un point de vue hétérodoxe de l’interprétation de la mécanique quantique sur lequel il a travaillé tout au long de sa carrière professionnelle. Toutefois, très honnêtement, il précise vouloir « [distinguer] avec soin ce qui est généralement accepté de ce qui ne l’est pas ».

Rappelons que la mécanique quantique est notre théorie actuelle du monde microscopique. Elle soulève toutefois, depuis ses origines dans les années 1920, de sérieuses difficultés conceptuelles qui sont encore vivement débattues. Cette théorie, qui unifie les concepts bien séparés classiquement d’onde et de particule, est tout à la fois probabiliste et non locale. Probabiliste, car on ne peut prédire que les probabilités de mesures individuelles. Et non locale car, par exemple, certaines paires de particules, arbitrairement séparées dans l’espace, partagent une propriété sans qu’il soit possible d’attribuer cette propriété à l’une ou à l’autre. Elle heurte donc profondément le sens commun mais, à ce jour, elle n’a été démentie par aucun fait expérimental, s’est révélée d’une précision prodigieuse 3 et d’une fécondité extraordinaire puisqu’on lui doit, au-delà de ses innombrables applications en physique, une grande part de la technologie moderne.

Dans l’interprétation orthodoxe de la mécanique quantique, l’opération de mesure joue un rôle fondamental. Lorsqu’on dirige un faisceau vers un détecteur, on observe toujours des impacts individuels (aspect particulaire) mais la distribution de ces impacts est régie par une fonction d’onde qui évolue continûment dans tout l’espace entre la source et le détecteur (aspect ondulatoire). Tout « se passe comme si » l’onde se concentrait instantanément sur le détecteur et matérialisait ainsi la particule en un point au moment de la mesure. De plus, on ne peut pas clairement définir ce qu’est un appareil de mesure qui en dernière analyse est toujours formé d’atomes eux-mêmes soumis aux lois de la mécanique quantique. Cette approche n’est certainement pas satisfaisante et même ses adeptes la qualifient parfois de shut up and calculate, « tais-toi et calcule »…

Le point de vue défendu par l’auteur est celui du physicien Louis de Broglie (1892-1987), dont la mécanique ondulatoire fut à l’origine même de la mécanique quantique, complété par les travaux de David Bohm (1917-1992) et John Bell (1928-1990). Dans cette théorie, « l’état physique complet d’une particule […] est donné à la fois par sa fonction d’onde, identique à celle de la physique quantique standard, et par les positions des particules ». J. Bricmont poursuit : « [Cette théorie] est parfois appelée théorie de “l’onde pilote”, car la fonction d’onde guide le mouvement des particules. » On lève ainsi les difficultés liées à l’opération de mesure puisque, entre la source et le détecteur, les particules – dont on ne peut pas parler dans l’interprétation orthodoxe – existent réellement et suivent des trajectoires. Mais ces trajectoires s’écartent des trajectoires classiques car elles sont influencées par l’onde qui remplit tout l’espace. Cette théorie, dont on peut démontrer l’équivalence dans toutes ses prédictions avec la mécanique quantique standard 4, est donc non locale par essence, ce qui peut ne pas être considéré comme satisfaisant mais qui est, selon l’interprétation de l’auteur, une conséquence incontournable du théorème de Bell. De plus, elle souffre d’un grave défaut en ce qu’elle n’est pas compatible avec l’autre grande avancée du XXe siècle, la relativité. L’auteur ne s’en cache pas et ne prétend pas donner « des réponses définitives » mais « des réponses allant au-delà de ce qui est enseigné dans les cours standards ».

Le chapitre 11, qui s’écarte quelque peu de la discussion des fondements de la mécanique quantique, pourra intéresser plus particulièrement les lecteurs de Science et pseudo-sciences. L’auteur y dénonce les mésusages de la théorie quantique 5 appliquée « aux pseudo-sciences, au mysticisme, aux religions, à la philosophie, à la politique, à certaines idéologies et aux sciences sociales ». Selon lui, les grandes révolutions de la physique du XXe siècle, relativité et mécanique quantique, ont bousculé notre représentation classique « et produisent beaucoup de scepticisme quant à notre capacité à comprendre le monde ». Il poursuit : « Si l’on combine ce scepticisme avec la tendance humaine générale à extrapoler les résultats scientifiques en dehors de leur champ d’application, on obtient une recette parfaite pour l’explosion de l’irrationalisme et du subjectivisme dont notre époque actuelle est témoin. »

Dans ce livre à la fois riche et personnel, Jean Bricmont défend, avec la vigueur qui le caractérise, une interprétation alternative de la mécanique quantique qui intéressera les lecteurs possédant déjà une certaine culture sur le sujet.

1 Sokal A, Bricmont J, Impostures intellectuelles, Odile Jacob, 1997.

2 Voir Entretien avec les auteurs, « Impostures intellectuelles, vingt ans après », SPS n° 323, janvier2018.

3 Certaines prédictions s’accordent avec l’expérience à mieux que le 12e chiffre après la virgule, ce qui correspond typiquement à l’épaisseur d’un cheveu rapportée à la distance Terre-Lune.

4 Elle ne peut donc pas être réfutée.

5 Voir par exemple Monvoisin R, Quantox, Mésusages idéologiques de la mécanique quantique, Book-e-Book, coll. Une chandelle dans les ténèbres, 2013.


Mots clé associés à cet article

Cet article appartient au sujet : Vulgarisation scientifique

Autres mots clés associés : Physique

Publié dans le n° 337 de la revue


Partager cet article


Auteur de la note

Renaud Mathevet

Maître de conférences à l’Université Paul Sabatier à (…)

Plus d'informations