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Le sensationnel contre l’information

Publié en ligne le 20 novembre 2009 - Ondes électromagnétiques -


« C’est un “filtre de protection contre les ondes” acheté sur Internet, “une sorte de blindage” avec lequel Thomas a recouvert les fenêtres de son appartement des Boucles de la Seine, une résidence de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine), aux portes de Paris. Les premiers jours, en attendant la livraison de sa commande, il avait tapissé ses ouvertures de papier-alu. Un dispositif “assez glauque” mais nécessaire, selon ce steward, pour protéger Stéphanie, sa femme, hôtesse de l’air, et leurs deux enfants : Stella, 5 ans, et Paul, 4 mois. […] Malgré le filtre, Thomas et Stéphanie se trouvent bien plus “abattus” qu’avant la pose des trois tubes : “Le soir, on sent comme un casque, on a l’impression d’en avoir plein la tête.” Leur fille s’est mise à saigner du nez. Thomas est désormais “gêné par un goût métallique, sans doute une réaction de mes plombages”, mais il hésite à en parler de peur de “passer pour un taré”. Et cette incrédulité de “ceux qui ne veulent pas comprendre”… Leur voisin Bruno, animateur culturel et chauffeur de grande remise, a parlé de ses maux de tête à son médecin traitant : “Il n’est pas réceptif. Je devrais consulter ailleurs.” […] Thomas Dubas grimace. Encore ce goût métallique. “Parfois les antennes sont arrêtées. Je sens bien qu’en ce moment elles sont en marche. ” Au même moment, au rez-de-chaussée de l’immeuble, Mustafa Hezzab est persuadé du contraire. On en informe Thomas. Il secoue la tête, silencieux, puis souffle : “Mon appartement est juste en face des antennes. Ma famille est beaucoup plus exposée.” »

https://www.lejdd.fr/Societe/La-fam...

Avril 2009. Le Parisien, France 5 et le JDD ont relayé l’information, décrivant les maux dont souffraient les habitants de la résidence « Les boucles de la Seine » à Saint-Cloud. En cause, l’antenne-relais installée à proximité. L’information fait une large place aux témoignages, à la vie devenue infernale pour les familles concernées, aux différents dispositifs à base de blindage et de papier d’aluminium mis en place par les résidents pour se protéger des ondes. Sur France 5, « Stéphanie, filmée pendant tout le reportage avec son bébé dans les bras, jouant avec lui ou lui faisant de petits bisous, raconte en même temps les soucis de son mari, qui a “tout de suite ressenti un goût métallique dans la bouche et un mal au crâne, derrière la tête”. Pour elle, “c’est venu au bout d’une semaine, comme ma fille, dont le nez a commencé à saigner”. D’autres voisins étant atteints, tous se sont ligués pour faire appel à l’avocat star de ce genre de cas, celui de l’association Robin des toits, et poursuivre en justice l’opérateur » 1.

Dans aucun des cas, l’état de la connaissance relative aux effets connus des ondes électromagnétiques n’est rapporté, pas plus que les résultats des études concernant l’électrosensibilité. Aucun doute ne peut subsister pour le lecteur ou le téléspectateur : les ondes sont la cause directe des souffrances. Les familles assignent en justice Orange, l’opérateur de télécommunication. « Nous espérons le démontage de ces antennes, dont certaines sont directement situées en face des fenêtres des locataires », a déclaré à l’AFP l’avocat Richard Forget, défenseur des riverains.

Mais, on ne tardera pas à l’apprendre, les antennes-relais n’étaient pas encore en fonctionnement (et n’étaient même pas connectées au réseau électrique pour leur alimentation !). Les médias, qui avaient relayé le sensationnel, se montrent alors très discrets. Seul Le Parisien publiera une « précision » dans la rubrique « en bref », faisant état du communiqué de l’opérateur indiquant que l’antenne n’était pas en service. On n’est plus en une du journal. Ceci aurait pourtant pu être l’occasion d’une véritable information sur l’état de la connaissance sur l’électrosensibilité.

Cette histoire n’est-elle pas une triste illustration du rôle joué par certains médias, plus avides de sensationnel et d’émotion que de volonté d’informer 2 ? Pour l’avocat des familles interrogé le 23 avril par Le Nouvel Observateur 3, c’est plutôt de l’opérateur qu’il faut d’abord douter : « je n’ai pas de preuve. Je n’ai encore jamais vu le dossier qui justifierait les dires d’Orange, ni dans la presse, ni ailleurs. » Le complot est infini…

Pourtant, cette affaire n’est que la reproduction fortuite d’expériences menées sérieusement. Les symptômes rapportés par ceux qui se disent électrosensibles sont réels. Mais tout aussi réelle et constatée est l’absence de lien entre ces symptômes et les ondes électromagnétiques 4. Les personnes souffrant de ce syndrome sont incapables d’identifier la présence ou l’absence de champ lors d’expériences répétées de nombreuses fois. Pour l’Organisation mondiale de la santé, l’électrosensibilité « est caractérisée par divers symptômes non spécifiques qui diffèrent d’un individu à l’autre. » 5 Et l’organisation poursuit en soulignant la réalité des symptômes, leur gravité très variable selon les individus, pouvant être parfois réellement handicapants. Donc il y a bien un problème sanitaire, mais « [aucune] base scientifique permettant de relier les symptômes […] à une exposition aux champs électromagnétiques » 6. Reconnaître le problème sanitaire, comme certains pays le font, ce n’est pas reconnaître l’existence du lien allégué avec les champs électromagnétiques. La difficulté médicale, toujours selon l’OMS, est l’inexistence de critères diagnostiques clairs. Donc, pas de diagnostic médical précis, et, par ailleurs, peut-être même pas de problème médical unique.

Dans ses recommandations, l’OMS rappelle l’importance de fournir aux professionnels de santé et aux employeurs des informations bien ciblées et pesées sur les dangers sanitaires potentiels des champs électromagnétiques (CEM), en s’assurant de bien inclure « une déclaration claire spécifiant qu’il n’existe actuellement aucune base scientifique permettant d’établir une relation entre HSEM [hyper-sensibilité électromagnétique] et exposition aux CEM ». À l’attention des médecins prenant en charge les patients, il est indiqué que le traitement des individus touchés doit se concentrer sur les symptômes sanitaires « et non sur le ressenti de la personne quant à la nécessité de réduire ou d’éliminer les CEM à son poste de travail ou à son domicile ».

Malgré tout, au nom d’un principe de précaution faisant fi de la connaissance scientifique, les jugements se succèdent et ordonnent le démontage des antennes-relais, renforçant de fait peurs et rumeurs.

1 Cité par Gaëlle Macke, http://www.challenges.fr/actualites/20090421.CHA3112/ ?xtmc=saintcloud&xtcr=1 (introuvable— 3 avril 2020).

2 Et cette médiatisation sans investigation sérieuse rend-elle service aux familles ?

4 Voir notre dossier dans Science et pseudo-sciences n° 285, avril 2009.

6 Les études sont nombreuses et convergentes, voir par exemple une méta-analyse réalisée par des chercheurs de l’Université de Bern en Suisse qui évoque un effet nocebo (symptômes provoqués par la crainte des ondes électromagnétiques). https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed.... « Radiofrequency electromagnetic field exposure and non-specific symptoms of ill health : a systematic review ». Röösli M, Environ Res. 2008 Jun ; 107(2) :277-87.


Publié dans le n° 288 de la revue


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L' auteur

Jean-Paul Krivine

Rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences (depuis 2001). Président de l’Afis en 2019 et 2020. (...)

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