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Effets sanitaires de la 5G : des expertises et une polémique sans fin

Publié en ligne le 24 octobre 2020 - Ondes électromagnétiques -

Le déploiement mondial de la nouvelle génération dans les technologies de communications sans fil, dite 5G, suscite intérêt, espoir, inquiétude ou rejet selon les points de vue. Le gouvernement français en a fait une priorité stratégique et un « moteur de numérisation de toute l’économie » [1]. En effet, la 5G est appelée à prendre progressivement le relais de la 4G pour la téléphonie et les connexions mobiles, avec la promesse de débits jusqu’à dix fois plus élevés et de temps de latence (réponse) divisés par dix. Elle est aussi annoncée comme porteuse d’innovations dans une multitude de secteurs publics et surtout industriels : communication entre objets connectés ou IoT pour « internet des objets » (par exemple, traçabilité de produits, logistique, relevé de compteurs, optimisation énergétique), connexion en ultrahaut débit (vidéo et divertissement, réalité augmentée), transmissions en temps réel de très grande fiabilité (télé-chirurgie, véhicules autonomes, automatisation industrielle, pilotage à distance), etc. La question de son utilité fait débat. Les impacts environnementaux de la 5G, en termes de consommation d’énergie et d’empreinte carbone sont également questionnés [2, 3, 4]. Ce nouveau standard est aussi au cœur de tensions politiques et économiques entre les États-Unis et la Chine autour de la place de l’équipementier chinois Huawei [5].

Dans certains pays, la 5G est déjà en service ou en cours d’installation (États-Unis, Chine, Corée, Japon, Suisse, Monaco, Royaume-Uni, Australie par exemple). En France, son déploiement est en préparation.

Des questionnements sur la santé

Depuis bientôt trente ans, les ondes électromagnétiques liées à la téléphonie mobile, et de façon générale aux communications sans fil, font l’objet d’inquiétudes quant à de possibles impacts sanitaires, avec une médiatisation anxiogène régulière. Pour autant, aucune preuve d’un risque n’a pu être scientifiquement établie malgré une intense activité de recherche et d’expertise du risque dans le monde. Par exemple, l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) rappelle sur son site les conclusions de son évaluation de 2013 qui « ne mettent pas en évidence d’effets sanitaires avérés » des technologies de communication sans fil, et qu’« il n’apparaît pas fondé, sur une base sanitaire, de proposer de nouvelles valeurs limites d’exposition pour la population générale » [6].

Les détracteurs de la 5G allèguent souvent qu’elle aurait des effets nocifs sur la santé, ou bien que les fréquences utilisées n’auraient pas fait l’objet d’évaluations et que les futurs utilisateurs serviraient de cobayes. Ainsi, pour le député de la Gironde Loïc Prud’homme, « avant même que les études soient seulement commencées, ils commencent déjà à implanter la 5G, puis verront effectivement peutêtre, a posteriori, sur une population cobaye, si ça développe des problèmes de cancers ou autres » [7]. Pour Michèle Rivasi, députée européenne, « il n’existe aujourd’hui aucune étude testant les effets biologiques de véritables rayonnements 5G » [8].

Les fréquences de la 5G et les effets des radiofréquences

La 5G est une technologie semblable à la 4G. Elle pourra utiliser les mêmes bandes de fréquences que les générations de téléphonie 2G, 3G, 4G, situées entre 0,7 et 2,6 gigahertz (GHz) 1. Mais elle se développera surtout dans deux nouvelles bandes : 3,5 GHz (3,4–3,8 GHz) et 26 GHz (24,2–27,5 GHz, dites ondes millimétriques). À ces fréquences en particulier, la 5G utilisera des antennes actives, émettant seulement en direction des appareils quand ils en ont besoin au lieu de diffuser en permanence dans tout l’espace couvert par le faisceau [9]. C’est aux fréquences millimétriques que les ultra-hauts débits les plus performants pourront être atteints [10]. En revanche, ces ondes se propagent moins facilement que celles utilisées jusqu’à présent pour la téléphonie mobile. L’implantation d’antennes de proximité de faible puissance pour relayer les signaux (petites cellules, comme il en existe pour les réseaux actuels dans les zones de forte densité d’utilisateurs), et d’antennes actives, permet notamment de pallier cet inconvénient. Les fréquences privilégiées pour la 5G peuvent être différentes selon les pays. En France, la bande de fréquence 26 GHz est à l’étude tandis que les premiers déploiements auront lieu dans la bande 3,5 GHz. Depuis 2018, des essais sont menés à cette fréquence dans plusieurs grandes villes, en vue d’une ouverture commerciale annoncée pour fin 2020 [11]. Ils comprennent des mesures d’exposition aux ondes sur le terrain [12].

Ces champs électromagnétiques font partie de la catégorie des radiofréquences dont les effets démontrés sur la santé sont dus à l’échauffement des tissus biologiques provoqué par l’agitation des molécules d’eau (essentiellement) à partir d’un certain niveau d’exposition, c’est-à-dire d’une certaine quantité d’énergie absorbée.

Envoi de baisers par télégraphe, carte postale du début du XXesiècle

Notons que le Wifi fonctionne depuis longtemps à 2,4 GHz et à 5 GHz, et peut-être bientôt vers 6 GHz [13] ; l’utilisation de fréquences supérieures à 3,5 GHz pour des communications sans fil n’est donc pas vraiment une nouveauté. De manière générale, fréquence plus élevée ne signifie pas exposition plus forte ou plus intense du public aux ondes radio ; tout dépend de la puissance de l’émetteur, de la distance à laquelle il se trouve, et aussi de la façon dont le faisceau est focalisé. De même, le niveau de champ électromagnétique ambiant n’augmente pas proportionnellement au nombre d’antennes-relais dans notre environnement. L’ajout d’antennes sur un territoire a pour conséquence d’améliorer les connections, mais aussi de réduire les puissances émises du côté du téléphone mobile comme du côté des antennes car les distances à couvrir sont moindres. Et n’oublions pas que dans tous les cas, la principale source d’exposition des personnes aux ondes radiofréquences reste le téléphone mobile lui-même lorsqu’il est en communication ; cette exposition est essentiellement localisée dans les zones du corps les plus proches de l’appareil [14].

En ce qui concerne les effets sur le vivant aux fréquences de la 5G, il convient de distinguer les bandes de 3,5 GHz et 26 GHz. Dans la première, proche des fréquences exploitées par la téléphonie mobile existante et du Wifi actuel, les ondes pénètrent de quelques centimètres dans les tissus biologiques. Dans la seconde, la pénétration des ondes est limitée aux couches superficielles de la peau. Dans les deux cas, un effet nocif dû à l’échauffement des tissus biologiques ne peut se produire que si le niveau d’exposition est tel que la chaleur ne peut pas être dissipée par les processus physiologiques de thermorégulation (liés notamment à la circulation sanguine) et qu’elle dépasse les capacités d’adaptation du corps. Pour autant, la sensation de chaleur que l’on peut percevoir au contact d’un téléphone mobile en communication n’est pas due aux ondes : elle vient de l’échauffement de la batterie du téléphone et du fait que, plaqué à l’oreille, ce dernier gêne l’évacuation normale de chaleur par le corps.

La réglementation actuelle et les nouvelles lignes directrices de l’Icnirp

Photo datant de 1875

La réglementation pour la protection contre les effets des champs électromagnétiques sur la santé est fondée sur les connaissances scientifiques. Elle fixe des seuils, ou valeurs limites d’exposition, à ne pas dépasser pour prévenir des effets sur la santé et garantir la sécurité du public et des travailleurs. C’est-à-dire des valeurs bien inférieures aux niveaux d’exposition où des effets délétères sur la santé peuvent se produire. Comme le rappelle l’Anses, « l’établissement des valeurs limites d’exposition réglementaires s’appuie, dans beaucoup de pays, sur les travaux de la Commission internationale pour la protection contre les rayonnements non ionisants (Icnirp) » [15]. Cette commission effectue une veille bibliographique permanente des données scientifiques relatives aux effets de ces rayonnements. Elle a élaboré des lignes directrices couvrant l’exposition du public aux champs électromagnétiques de 0 Hz à 300 GHz en 1998, incluant donc toutes les fréquences de la téléphonie mobile, dont la 5G [16]. Celles-ci ont été reprises au niveau européen en 1999 [17] et appliquées en France en 2002 [18]. Plus la fréquence augmente, moins les ondes pénètrent dans le corps : leur absorption est limitée à la peau à partir de 6 GHz environ. Ceci se traduit par l’emploi de différents indicateurs d’exposition pour établir les limites réglementaires. Le débit d’absorption spécifique (DAS) est la grandeur qui permet de quantifier l’absorption en profondeur, en watt par kilogramme. La densité de puissance absorbée (Sab) quantifie l’absorption superficielle localement, en watt par mètre carré.

En mars 2020, l’Icnirp a actualisé ses recommandations pour les champs électromagnétiques dans le domaine des radiofréquences (100 kHz à 300 GHz) [19]. Elles concernent les effets aigus ou chroniques des radiofréquences. Le document publié fournit des explications détaillées sur la façon dont les seuils sont définis ; il a été mis en consultation publique avant finalisation. Ces nouvelles directives visent à renforcer la sécurité sanitaire, notamment aux fréquences au-delà de 6 GHz dans la perspective de technologies futures comme la 5G.

L’Icnirp confirme aussi que les valeurs d’exposition proposées en 1998 « [fournissent] toujours une protection adéquate pour les technologies actuelles » et souligne que « les lignes directrices de l’Icnirp (1998) assureront également la protection vis-à-vis des technologies 5G si elles produisent les niveaux d’exposition prévus à ce jour ; ceux-ci devraient être approximativement similaires aux expositions issues des technologies de télécommunications mobiles précédentes (par exemple 4G) » [20]. Pour Eric Van Rongen, membre du Conseil de la santé des Pays-Bas, alors président de l’Icnirp, « la chose la plus importante à retenir est que les technologies 5G ne pourront pas nuire lorsque ces nouvelles directives seront respectées » [21].

Le rapport préliminaire de l’Anses sur la 5G

Début janvier 2019, l’Anses a été saisie par les ministères de la Santé, de l’Environnement et de l’Économie pour conduire une « expertise relative à l’exposition de la population aux champs électromagnétiques liée au déploiement de la technologie de communication “5G” et aux effets sanitaires associés ». Ces travaux, menés conjointement avec l’Agence nationale des fréquences (ANFR), devraient se terminer en 2021. Le 26 janvier 2020, l’agence a rendu public un rapport préliminaire [22]. Elle précise  : « Afin d’accompagner le déploiement de la 5G, l’Anses a lancé des travaux d’expertise visant à évaluer les risques sanitaires liés à l’exposition des populations. L’Agence a identifié les grands axes de travail sur lesquels vont se pencher les experts scientifiques d’ici la fin 2021 » [23].

En effet, ce pré-rapport ne constitue qu’un état d’avancement des travaux, ciblé sur les modalités et le contexte de réalisation de l’expertise, les spécificités des bandes de fréquences prévues pour être déployées en France et les questionnements associés. Mais surtout, il analyse « les résultats de la recherche bibliographique menée afin d’identifier les études disponibles portant sur les effets sanitaires » en termes de nombre de publications disponibles concernant les fréquences utilisées par la 5G. Il ne s’agit donc pas de l’évaluation du risque proprement dite qui sera l’objet du rapport final.

Dans ce recensement de la littérature scientifique à partir des rapports antérieurs de l’agence et de publications plus récentes, les auteurs constatent que seulement « quatre études concernant la bande 3–4 GHz ont été identifiées » alors que 174 ont été recensées sur la bande 24–60 GHz. Ils en donnent l’explication : « En l’absence d’exploitation importante jusqu’à présent de cette bande, aucune recherche spécifique sur les effets potentiels de l’exposition n’a jusqu’alors été menée. »

American Progress, John Gast (1842-1896)

Cela signifie-t-il que l’on ne sait rien des potentiels effets sanitaires des champs électromagnétiques à ces fréquences ? La réponse est non, et la lecture du pré-rapport apporte des éléments de réponses. Les fréquences utilisées par la téléphonie actuelle ainsi que par le Wifi sont très proches de la bande de 3,5 GHz prévue pour la 5G. Les mécanismes d’interactions biophysiques connus sont similaires sur l’ensemble de cette plage de fréquences. L’extrapolation des connaissances acquises aux fréquences déjà utilisées paraît légitime, d’autant que les précédents rapports de l’Anses sur les radiofréquences en lien avec la téléphonie mobile (2009 et 2013) couvraient une plage de 0,8 à 6 GHz. Comme indiqué dans le document : « Il est possible de considérer, dans un premier temps que, dans le domaine des interactions biophysiques entre les champs électromagnétiques et le corps humain, l’exposition à des fréquences de l’ordre de 3,5 GHz est proche de l’exposition à des fréquences légèrement plus basses, par exemple 2,45 GHz, telles que celles utilisées pour les communications Wi-Fi. » Le pré-rapport précise que cette extrapolation devra être évaluée dans le rapport final et qu’il est nécessaire « de mener en parallèle des études dans la bande de fréquences autour de 3,5 GHz ».

Positionnements des instances officielles dans le monde


À ce jour, plus d’une vingtaine d’instances sanitaires et de gouvernements ont pris position sur les questions sanitaires relatives à la 5G. Leurs conclusions sont rassurantes même si, dans l’ensemble, l’importance de poursuivre des recherches pour enrichir le corpus de connaissances est soulignée, en particulier dans la gamme des ondes millimétriques où les données sont peu nombreuses. Sans en faire une revue exhaustive, en voici quelques exemples.

Aux États-Unis, la Food and Drug Administration (2020) note que si « beaucoup des spécificités de la 5G restent mal définies, il est connu que les téléphones portables 5G utiliseront des fréquences couvertes par les directives d’exposition actuelles de la FCC [Commission de régulation des télécommunications] (300 kHz–100 GHz) et les conclusions tirées sur la base des preuves scientifiques actuelles couvrent ces fréquences. La FDA continuera de surveiller les informations scientifiques à mesure qu’elles seront disponibles concernant les impacts potentiels de la 5G » [1].

En Australie, le Département de la santé (2019) souhaite « assurer le public que la technologie 5G est sûre » et que cette position « est soutenue par les autorités sanitaires en Australie – telles que l’Agence australienne de radioprotection et de sûreté nucléaire – et dans le monde, telles que l’Organisation mondiale de la santé » [2].

En Allemagne (2019), le ministère fédéral de l’Environnement explique qu’« il n’y a pas de différence fondamentale entre les champs électromagnétiques des réseaux radioélectriques mobiles précédents et ceux des émetteurs 5G. Selon les connaissances scientifiques actuelles, quelle que soit la technologie utilisée, les champs électromagnétiques ne présentent aucun risque pour la santé si les valeurs limites sont respectées. ». L’office fédéral de protection contre les rayonnements juge comme la majorité de ses homologues que « les résultats des études dans lesquelles les effets possibles sur la santé des champs électromagnétiques de la radio mobile ont été étudiés peuvent être largement transférés à la 5G » [3].

Au Danemark, l’Autorité de santé nationale (2019) est d’avis que « dans l’ensemble […] il n’y a aucune raison de s’inquiéter d’un risque pour la santé associé à la 5G. Les mesures montrent que le rayonnement total des téléphones portables, du wifi et d’autres équipements qui émettent aujourd’hui des rayonnements non ionisants est faible et bien en deçà des limites de ce qui est nocif pour la santé. Sur la base des connaissances disponibles, nous n’avons aucune raison de croire que la 5G changera cela » [4].

En France, un récent rapport commandé par le gouvernement (2020) comprend une analyse des évaluations parues dans le monde et constate que « les autorités sanitaires et de contrôle concluent [également] de manière concordante à une absence d’effets sanitaires spécifiques de la 5G en dessous des valeurs limites d’exposition » et que « la plupart des agences assortissent leurs conclusions de recommandations en termes de recherche et d’information » [5].

Références
1 | US Food and Drug Administration, “Scientific Evidence for Cell Phone Safety / No New implications for 5G”, consulté le 2 septembre 2010. Sur fda.gov
2 | Département de la santé du gouvernement Australien, “Safety of 5G technology”, 20 janvier 2020. Sur health.gov.au
3 | Office fédéral de radioprotection (Bundesamt für strahlenschutz), « Radioprotection dans les communications sans fil / 5G », consulté en août 2020. Sur bfs.de
4 | Conseil national de la santé, « Le rayonnement dans la vie quotidienne / Réseau 5G », consulté le 10 septembre 2010. Sur sst.dk
5 | Conseil général de l’environnement et du développement durable, Conseil général de l’économie, Inspection générale des affaires sociales, Inspection générale des finances, « Déploiement de la 5G en France et dans le monde : aspects techniques et sanitaires », 15 septembre 2020. Sur ecologie.gouv.fr

Pour la bande de fréquence 26 GHz également prévue pour la 5G, l’Anses se réfère à ses expertises de 2010 et 2012 portant sur les scanners corporels d’aéroports, dont certains utilisent la bande 24–30 GHz. Aucun risque sanitaire n’avait été identifié. Là encore, l’Anses recommande que le rapport final confirme la pertinence de cette transposition et que soient aussi menées des études dans la bande 26 GHz.

Fin janvier, Olivier Merckel, responsable de l’unité d’évaluation des risques liés aux agents physiques à l’Anses, interrogé sur les particularités de la 5G par rapport aux générations précédentes, précisait : « Certes, par nature, elles diffèrent car chacune a son propre langage et son propre protocole. Mais, pour le reste, les différentes technologies de communication se ressemblent. Entre la 2G et la 3G, il y avait par exemple des niveaux de puissance et une répartition électromagnétique différents. Mais les effets constatés étaient relativement les mêmes. Je ne vois donc pas en quoi les signaux de la 5G seraient fondamentalement différents et plus dangereux que ceux de la 4G. Même si la transmission des signaux s’effectue avec un autre codage, cela ne change pas grand-chose à l’interaction entre les champs électromagnétiques et le vivant. Ce qui interagit avec le corps humain, c’est l’onde électromagnétique, l’énergie transportée et la manière dont elle est déposée dans le corps : répétée, en continu, hachée… Sur ce point, la 5G ne sera pas différente de la 3G ou de la 4G » [24].

Il ne s’agit donc pas d’utiliser les populations comme cobayes et la réglementation existante couvre bien l’ensemble des fréquences où se déploiera la 5G.

Une polémique sans fin

La Rixe,- Jean-Louis-Ernest Meissonier (1815-1891)

Globalement, la principale information retenue de la communication de l’Anses est un manque de données pour évaluer le risque sanitaire [25]. Dans les médias, les commentateurs rapportent régulièrement que « l’Anses ne s’est pas encore prononcée faute de données suffisantes » [26]. Or, depuis plusieurs années, la mobilisation contre la 5G s’appuie sur des alertes annonçant une catastrophe sanitaire et environnementale, relayées sous forme de pétitions par des collectifs ou des ONG. L’argumentation utilisée repose sur quelques études présentées de façon biaisée [27], et le rapport préliminaire de l’Anses a été invoqué pour demander l’arrêt du déploiement de la 5G en France, au nom du principe de précaution.

La mission principale de l’Anses, à l’instar des autres autorités sanitaires dans le monde, est d’évaluer les risques et non de porter un jugement sur l’intérêt ou non d’une technologie pour la société. Bien entendu, sur des sujets aussi sensibles, les pressions associatives, médiatiques et politiques sont grandes, en particulier en France. L’absence de preuves définitives d’innocuité est souvent perçue comme une preuve d’absence de sécurité malgré les nombreuses expertises reposant sur des milliers d’études relatives aux effets biologiques et sanitaires des radiofréquences. Ceci peut générer une incompréhension et des interprétations diverses, notamment pour laisser entendre que la 5G est déployée sans considération quant à ses conséquences sanitaires, sous prétexte que l’on ne sait encore rien des risques encourus par la population. Des arguments similaires étaient d’ailleurs mis en avant à l’arrivée des technologies précédentes 3G et 4G.

Extrapoler les résultats d’une fréquence donnée à une fréquence proche ?


Les études portant stricto sensu sur les bandes exactes de fréquences qui vont être utilisées par la 5G sont rares. Ce n’est pas surprenant, s’agissant de bandes encore peu exploitées. Cette situation s’est présentée lors du déploiement des technologies précédentes où les chercheurs se sont focalisés sur les fréquences utilisées par les différentes générations de téléphonie mobile avec souvent un temps de retard sur leur déploiement (2G, 3G, 4G ou Wifi). Il y a maintenant des milliers d’études relatives aux effets biologiques et sanitaires des technologies sans fil dans la base de données dédiée aux champs électromagnétiques emf.portal (dont
1 330 études expérimentales et 308 études épidémiologiques en juillet 2020). Cependant, il n’y a pas eu de rapport dédié 3G, 4G ou Wifi. Toutes les expertises ont jugé concevable et légitime d’estimer que les effets biologiques à des fréquences voisines ayant des interactions similaires sont transposables et que les effets sur la santé sont similaires. Ces analyses de l’ensemble des données scientifiques permettent aussi de dégager les axes de recherches pertinents pour consolider l’état des connaissances.

Se focaliser précisément sur les fréquences qui vont être utilisées ou bien considérer des plages de fréquences élargies où les modalités d’exposition sont comparables en termes d’interaction avec le corps (profondeur versus surface) conduit ainsi à un nombre différent d’études recensées. L’approche adoptée dans les avis déjà produits sur la 5G privilégie les modalités d’exposition en invitant généralement à mener des études complémentaires ou à maintenir une veille scientifique active. Ainsi, par exemple, l’Office fédéral allemand précise : « Dans une nouvelle étape d’expansion, des bandes de fréquences plus élevées dans la gamme des ondes millimétriques ou centimétriques sont également prévues pour la 5G (par exemple dans la bande 26 GHz, 40 GHz ou jusqu’à 86 GHz). On peut supposer qu’aucun effet sur la santé n’est à prévoir dans ces zones inférieures aux valeurs limites existantes. Cependant, comme seuls quelques résultats sont disponibles dans ce domaine, l’Office fédéral de radioprotection voit toujours un besoin de recherche dans ce domaine » [1].

Dans sa recherche bibliographique préliminaire, un choix de plages de fréquences non fondé sur les modalités d’interaction des radiofréquences avec le corps conduit l‘Anses à mentionner qu’elle « a mis en évidence un manque de données scientifiques sur les effets biologiques et sanitaires potentiels liés à l’exposition aux fréquences autour de 3,5 GHz » (plage 3–4 GHz), tandis que « entre 20 et 60 GHz, les données disponibles dans la littérature sont plus nombreuses » [2]. Pris au pied de la lettre, et sans prendre garde aux remarques sur les possibilités d’extrapolation envisagées, ceci conduit paradoxalement à penser qu’il y a un manque de données particulièrement important aux fréquences de la 5G en cours de déploiement (3,5 GHz), alors que la bande 26 GHz « semble moins poser de problèmes » [3, 4].

Références
1 | Office fédéral de radioprotection (Bundesamt für strahlenschutz), « Radioprotection dans les communications sans fil / 5G ». Sur bfs.de
2 | Anses, « Déploiement de la 5G en France : l’Anses se mobilise pour évaluer les risques pour la santé »,27 janvier 2020. Sur anses.fr
3 | Phonandroid, « 5G : on manque d’études pour affirmer que ce n’est pas dangereux pour la santé selon l’Anses », 27 janvier 2020. Sur phonandroid.com
4 | Numérama, « 5G : les autorités manquent d’études pour déterminer les risques sur la santé », 27 janvier 2020. Sur numerama.com

Dans ce contexte, il est plus que jamais important de garder en tête que l’incertitude est inhérente à la science et qu’il est impossible de prouver scientifiquement que quelque chose n’existe pas. C’est un fait qu’Olivier Merckel a justement rappelé lors de la table ronde organisée au Sénat début juillet, expliquant qu’« on ne pourra jamais démontrer qu’il n’y pas de risque lié à une technologie ou un agent » et qu’il ne faut pas attendre de réponse tranchée de la science ([28] vers 1h55’).

Références


1 | Ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance, « 5G : Une feuille de route ambitieuse pour la France »,16 juillet 2018. Sur economie.fr
2 | Jancovici JM, « Faut-il faire la 5G ? », 10 janvier 2020. Sur jancovici.com
3 | « Energie et 5G : attention aux fausses idées ! », Le Temps, 25 février 2020. Sur letemps.ch
4 | Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep), « L’empreinte carbone du numérique », Réseaux du futur, note n° 5, 21 octobre 2019.Sur arcep.fr
5 | Gomard T, « 5G : la confrontation sino-américaine », Institut français des relations internationales, juin 2020. Sur ifri.org
6 | Anses, « Radiofréquences, téléphonie mobile et technologies sans fil », mise à jour du 6 août 2020. Sur anses.fr
7 | « Marche pour le climat à Bordeaux : Intervention de Loïc Prud’homme », 13 décembre 2019. Sur pressenza.com
8 | Rivasi M, « Pas d’études d’impact sur le vivant et l’environnement ? Pas de 5G ! », 3 octobre 2019. Sur michele-rivasi.eu
9 | ANFR, « Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les antennes 5G », 24 juillet 2020. Sur anfr.fr
10 | ANFR, « Les changements technologiques de la 5G », dossiers thématiques. Sur anfr.fr
11 | Arcep, « Tableau de bord des expérimentations 5G en France ». Sur arcep.fr.
12 | ANFR, « L’ANFR publie un rapport de mesures sur l’exposition aux ondes des expérimentations 5G et présente un nouvel indicateur de mesure de l’exposition », 10 avril 2020. Sur anfr.fr
13 | ANFR, « Une nouvelle bande pour le Wifi à 6 GHz ? », ANFR actualités, 2 juin 2020. Sur anfr.fr
14 | « Ondes électromagnétiques : Portable, antennes-relais, WiFi, quelles sont leurs puissances ? », Huffingtonpost, 2013, actualisé en 2016.
15 | Anses, « Effets sanitaires liés à l’exposition aux champs électromagnétiques basses fréquences », rapport d’expertise collective, avril 2019. Sur anses.fr
16|Icnirp, « ICNIRP Guidelines for limiting exposure to electromagnetic fields (100 kHz to 300 GHz) », Health Phys, 1998, 74 :494-522.
17 | Conseil de l’Union européenne, « 1999/519/CE : Recommandation du Conseil du 12 juillet 1999, relative à la limitation de l’exposition du public aux champs électromagnétiques (de 0 Hz à 300 GHz) », Journal officiel, 1999, L 199 du 30/07, 59.
18 | « Décret n° 2002-775 du 3 mai 2002 pris en application du 12° de l’article L. 32 du code des postes et télécommunications et relatif aux valeurs limites d’exposition du public aux champs électromagnétiques émis par les équipements utilisés dans les réseaux de télécommunication ou par les installations radioélectriques », Journal officiel, 2002. Sur legifrance.gouv.fr
19 | Icnirp, “ICNIRP Guidelines for limiting exposure to electromagnetic fields (100 kHz to 300 GHz)”, Health Phys, 2020, 118 :483-524.
20 | “Frequently Asked Questions related to the ICNIRP RF EMF Guidelines 2020”. Sur icnirp.org
21 | ICNIRP, “New Guidelines Released by the International Commission on Non-Ionizing Radiation Protection”, communiqué de presse du 11 mars 2020. Sir icnrip.org
22 | Anses, « Exposition de la population aux champs électromagnétiques liée au déploiement de la technologie de communication « 5G » et effets sanitaires associés », rapport préliminaire, Octobre 2019.
23 | Anses, « La technologie 5G », sur le site de l’Anses (mise à jour du 23 juin 2020).
24 | [« La 5G “ne devrait pas être fondamentalement différente et plus dangereuse que la 4G” », LCI, 29 janvier 2020. Sir lci.fr
25 | « Ondes électromagnétiques : l’Anses dénonce le manque de données relatives à la 5G », L’Express, 27 janvier 2020. Sur lexpress.fr
26 | « La 5G dans le viseur des maires écologistes », France 2, 16 juillet 2020. Sur francetvinfo.fr
27 | « 5G appeal : pourquoi cette pétition sur les ondes et la santé est exagérément alarmiste », Les décodeurs du Monde, 24 septembre 2019. Sur lemonde.fr
28 | « Impacts sanitaires et environnementaux de la 5G », Sénat, table ronde du 1er juillet 2020. Sur senat.fr

1 Pour mémoire, 1 Hz correspond à une oscillation par seconde ; kilohertz (kHz) : 103Hz ; méga : 106 ; giga : 109 ; téra : 1012 ;

Publié dans le n° 334 de la revue


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L' auteur

Anne Perrin

Titulaire d’un doctorat en biologie et d’un master en philosophie, expert-conseil scientifique sur le thème « (...)

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