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La programmation neuro-linguistique et les mouvements oculaires

Publié en ligne le 22 mars 2024 - Pseudo-sciences -

« Là, je sais que vous mentez […]. Je lis dans votre regard, les yeux ne trompent jamais ! » s’exclame Danny, interprété par Samuel Jackson dans le film Le Négociateur, sorti en 1998. Le personnage explique ensuite recourir à la programmation neuro-linguistique (PNL) pour repérer la tromperie en observant les mouvements oculaires. Ces répliques ont sans aucun doute contribué à populariser cette technique, mais qu’en dit réellement la science ?

Yeux maquillés, Jean Jégoudez (1915-2007)

À la fin des années 1970, les créateurs de la PNL, Bandler et Grinder, se sont penchés sur la relation entre les mouvements des yeux et le contenu sémantique d’un énoncé [1]. Ils ont établi une typologie des mouvements oculaires en fonction du contenu verbal, en distinguant six principales directions dans lesquelles les yeux peuvent se déplacer. Chacune de ces directions serait associée à une clé d’accès à des représentations sensorielles spécifiques (visuelles, auditives ou kinesthésiques par exemple). Ainsi, en observant les mouvements oculaires d’une personne pendant qu’elle parle, il serait possible de déterminer à quel type de représentation elle accède.

Un mouvement oculaire ascendant vers la droite serait associé aux informations visuelles construites. Dans ce cas, la personne accèderait à une représentation imaginaire, par exemple son grand-père en train de sauter en parachute. En revanche, un mouvement oculaire ascendant vers la gauche serait associé aux informations visuelles remémorées. La personne se souviendrait d’une image déjà connue, comme son grand-père lui offrant le cadeau de son anniversaire. Un mouvement oculaire horizontal vers la droite serait en lien avec les informations auditives construites (imaginer un nouveau son), tandis qu’un mouvement oculaire vers la gauche serait associé aux informations auditives remémorées (se souvenir d’un son). Un mouvement du regard descendant vers la droite serait lié aux représentations kinesthésiques, dans lequel la personne accèderait à des sensations corporelles (comme la texture sous ses doigts). La direction en bas à gauche serait associée à l’auditif interne, c’est-à-dire au dialogue interne. C’est le cas lorsque la personne se parle à elle-même, en se demandant, par exemple, ce qu’elle souhaite faire.

Étant donné son attrait et sa popularité, cette grille d’analyse a été diffusée dans le cadre de formations professionnelles sur la PNL pour répondre à divers objectifs comme l’amélioration de la communication ou la détection du mensonge [2]. L’idée sous-jacente était qu’il y aurait tromperie lorsqu’une personne évoquerait un souvenir tout en dirigeant son regard en haut à droite (direction théoriquement associée à une information visuelle imaginaire). Il y aurait alors une contradiction entre l’information énoncée et le type de représentations à laquelle la personne accède.

Néanmoins, les résultats de plusieurs études contredisent cette relation entre mouvements oculaires et mensonge (voir par exemple [3, 4]). Plus généralement, des expériences scientifiques contradictoires remettent en cause la typologie même des mouvements oculaires évoquée précédemment (voir entre autres [5, 6]). Malgré cela, la croyance d’un lien entre orientation du regard et mensonge persiste encore dans la culture populaire.

Or la question du contrôle des mouvements oculaires est un des champs d’étude de la psychologie expérimentale et des neurosciences [7]. Celles-ci s’intéressent notamment aux éléments présents dans l’environnement qui guident l’orientation du regard. C’est ainsi que des relations entre les mouvements oculaires et la tromperie ont été mises en évidence, dans un protocole très précis, nommé le concealed information test (CIT [8]). Dans une version récente de ce test [9, 10], des photographies de visages sont présentées de manière simultanée à une personne, parmi lesquels certains lui sont familiers. Il a été observé que l’exploration oculaire des visages présentés diffère en fonction de la familiarité avec ces visages et ce, même lorsque la personne tente de dissimuler cette familiarité. Il est toutefois important de noter que ce cadre expérimental très spécifique nécessite l’utilisation d’un eye tracker pour mesurer précisément les mouvements oculaires. Ces derniers, dont la durée est de l’ordre de 50 ms, ne sont pas mesurables à l’œil nu et donc bien différents de ceux observés par les praticiens de la PNL.

En conclusion, bien que la réplique du personnage de Samuel Jackson ait sûrement contribué à populariser la grille d’analyse des mouvements oculaires de la PNL, il est important de garder à l’esprit qu’elle n’est pas soutenue par des preuves scientifiques. Il est donc préférable de ne pas s’y fier pour interpréter la direction du regard de son interlocuteur et tenter de détecter ainsi le mensonge…

Références


1 | Brandler R, Grindler J, Les Secrets de la communication : transformez votre vie et celle des autres avec la PNL, J’ai lu, 2011.
2 | Mann S et al., “The direction of deception : Neuro-Linguistic Programming as a lie detection tool”, Journal of Police and Criminal Psychology, 2012, 27 :160-6.
3 | Bhatt S, Brandon S, « Neurolinguistic Programming (NLP) in investigative interviewing : recommended alternative methods », Investigate Interviewing : Research and Practice, 2015, 4 :51-64.
4 | Wiseman R et al., “The eyes don’t have it : lie detection and Neuro-Linguistic Programming", PLoS One, 11 juillet 2012.
5 | Weiner SL, Ehrlichman W, “Ocular motility and cognitive process”, Cognition, 1976, 4 :31-43.
6 | Buckner M, « Eye movement as an indicator of sensory components in thought », Human Communication Research, 1986, 12 :495-524.
7 | Kowler E, “Eye movements : the past 25 years”, Vision Research, 51 :1457-83.
8 | Geven LM et al., “Memory detection : past, present, and future”, in The Palgrave handbook of deceptive communication, Springer, 2019, 367-83.
9 | Lancry-Dayan OC et al., “Do you know him ? Gaze dynamics toward familiar faces on a concealed information test”, Journal of Applied Research in Memory and Cognition, 2018, 7 :291-302.
10 | Ciocan C et al., “Do you know this celebrity ? Eye tracking measures on a concealed information test with famous faces”, Conference of the European Society for Cognitive Psychology, Lille, août 2022, poster.

Publié dans le n° 346 de la revue


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Les auteurs

Céline Paeye

Docteur en psychologie et maître de conférences au laboratoire Vision Action Cognition de l’université Paris Cité.

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Hugues Delmas

Docteur en psychologie, chercheur à l’Université Paris 8, membre du Laboratoire parisien de psychologie sociale et (…)

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