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La méthode Glucose Goddess pour « gérer sa glycémie »

Publié en ligne le 6 septembre 2023 - Alimentation -

Propos recueillis par Dominique Larrouy.

La publication d’articles de presse ou de livres destinés au grand public et vantant un régime miraculeux est une activité florissante et probablement très lucrative. Le livre Faites votre glucose révolution de Jessie Inchauspé (Robert Laffont, 2022), traduit en quarante langues, en est un exemple illustratif. À l’occasion de la parution de la traduction française de l’ouvrage, l’auteure a été invitée à de très nombreuses reprises dans des médias. Nous proposons ici une analyse des propos tenus au micro de Sud Radio en mai 2022. L’entretien dure seize minutes et peut être écouté sur la chaîne YouTube de la radio [1].

Jessie Inchauspé, alias « Glucose Goddess » sur le réseau social Instagram et sur son site Internet (littéralement, « la déesse du glucose ») se présente comme biochimiste. Elle décrit l’itinéraire qui l’a conduite à élaborer sa « méthode pour gérer sa glycémie », le régime alimentaire qu’elle propose, et qui aurait « aidé des millions de personnes à améliorer leur santé en rendant accessible la science de pointe ». À 19 ans, elle est victime d’un accident. Atteinte au dos, elle explique : « J’ai lutté pendant des années avec ma santé mentale. C’est ce qui m’a motivée à essayer de comprendre ce qui se passait dans mon corps et mon cerveau. » Elle dit avoir constaté que « plus [sa] glycémie était irrégulière, plus [sa] santé mentale se détériorait ». Elle s’est donc plongée dans toutes les études scientifiques qu’elle a pu trouver et a rassemblé des informations pour trouver un moyen de maintenir son taux de glucose stable « sans suivre un régime extrême ». « Cela ressemblait au début de la guérison pour moi. » Jessie Inchauspé a donc commencé à partager ses découvertes pour progressivement constituer une véritable entreprise, avec plusieurs collaborateurs et construire « une grande communauté de personnes qui changent leur santé et retrouvent le contrôle de leur corps et de leur esprit » [2]. Son compte Instagram compte 1,6 millions d’abonnés.

Sucrier, poires et tasse bleue, Paul Cézanne (1839-1906)

Dans son entretien à Sud Radio, elle affirme ceci : « J’ai découvert à travers mes recherches que 90 % d’entre nous avons un problème de glucose, 90 % de la population a une glycémie déréglée et la plupart des personnes ne le savent pas. » Un peu plus loin elle ajoute que quantité de maux comme « l’infertilité, le prédiabète, les rides, l’acné, les problèmes hormonaux, le vieillissement accéléré ou les troubles de l’humeur » auraient pour cause « les pics de glucose que la plupart d’entre nous enregistrons tous les jours sans le savoir ». Pour prévenir tous ces problèmes, il suffirait de modifier l’ordre dans lequel on mange les aliments et de boire du vinaigre avant les repas.

Sur son site, Jessie Inchauspé fait état d’un master en biochimie et d’un travail « en génétique dans la Silicon Valley » après ses études. En début d’entretien, la journaliste la présente comme chercheure en nutrition. Mais la base de données PubMed qui recense l’ensemble des publications du domaine médical ne contient aucun article d’elle.

Le Dr Émilie Montastier revient sur quelques affirmations « révolutionnaires » de Jessie Inchauspé.

Références
1 | Inchauspé J, « 90 % de la population a un problème de glucose », Sud Radio, 5 mai 2023. Sur youtube.com
2 | Le site GlucoseGoddess.

SPS. À votre connaissance, les affirmations de Jessie Inchauspé sont-elles en accord avec les connaissances scientifiques ?

Émilie Montastier. Certaines de ses assertions ont été effectivement prouvées, mais l’auteure met en rapport ces faits avec d’autres faits qui n’ont rien à voir, en tire des conclusions absurdes et formule des conseils alimentaires qui le sont tout autant. Le meilleur exemple : l’acide acétique et sa recommandation de boire du vinaigre ! Peut-être que cela aide à diminuer un peu le pic glycémique (comme elle semble l’avoir observé sur elle-même) mais l’impact sur la santé métabolique à plus ou moins long terme n’a jamais été démontré. Une méta-analyse publiée de 2022 dans l’American Journal of Clinical Nutrition [1] en suggère un possible effet hypoglycémiant du vinaigre. Mais la grande hétérogénéité des études incluses dans cette analyse conduit à un risque de biais très important (notamment le biais de publication, c’est-à-dire le fait que les études négatives – celles qui ne trouvent aucun effet – sont moins souvent publiées que celles qui montrent un effet). Les auteurs de la méta-analyse invitent d’ailleurs à la plus grande prudence dans l’interprétation de leurs résultats.

De plus, la tolérance et la sécurité de l’ingestion de vinaigre n’ont pas été décrites dans la plupart des études considérées, hormis quelques-unes relatant des nausées et des éructations.

Le point le plus discutable, c’est certainement la méthodologie revendiquée par l’auteure : faire ses propres expériences sur soi-même (un seul individu) et en tirer une conclusion générale applicable à tous. Elle affirme par exemple avoir fait ce constat : « Chips le lundi, gros pics ; chips le dimanche, pas de pic. » Elle ajoute : « Je me suis rendu compte que mes pics de glucose pouvaient entraîner ces épisodes mentaux très difficiles. » Ce n’est pas de la science, cela n’est pas une démarche expérimentale, ce ne sont pas de bonnes pratiques. Un témoignage personnel doit être objectivé et le fait doit être constaté sur d’autres personnes. L’expérience doit être répétée sur un grand nombre d’individus, afin de tenir compte de la variabilité inter-individuelle, contrôlée (par un groupe témoin)… C’est la base de la démarche scientifique !

Vous semble-t-il crédible que 90 % de la population ait une glycémie déréglée ?

Tout dépend de ce que l’on entend par déréglée. En physiologie (humaine ou animale), la glycémie est très finement régulée de façon à ce que le taux de glucose circulant dans le sang reste aux environs de 1 g/l (entre 0,6 et 1,1 g/l) à jeun. C’est à ce niveau que l’ensemble des organes fonctionne bien, le système est à l’équilibre.

Chez les patients diabétiques, on constate un excès de glucose dans le sang (soit lié à un déficit primitif d’insuline, une hormone qui permet au glucose d’entrer dans les cellules, soit en lien avec un défaut d’absorption du glucose par les cellules). Or la prévalence du diabète en France n’est pas de 90 %, heureusement, mais d’environ 5 %. Les hypoglycémies sont une autre source de dérèglement. Il en existe deux types selon leur origine organique ou fonctionnelle.

Les hypoglycémies organiques peuvent être liées à une tumeur d’origine pancréatique sécrétant de façon autonome et en excès de l’insuline. C’est une pathologie très grave, parfois avec des causes cancéreuses nécessitant une intervention chirurgicale. Il existe d’autres causes plus rares d’hypoglycémies organiques telles que des maladies génétiques innées du métabolisme.

Les hypoglycémies d’origine fonctionnelle – et c’est peut-être à cela que fait référence l’auteure – pourraient être un peu plus fréquentes en population générale, sans qu’il soit possible de déterminer la prévalence (en raison notamment de la variabilité des seuils choisis pour définir l’hypoglycémie, allant de 0,5 à 0,7 g/l) [2], mais en tout cas, selon la pratique clinique, cela n’atteint pas 90 % [3]. Elles sont en général non sévères, bien que parfois gênantes au quotidien, survenant trois ou cinq heures après un repas, avec des symptômes hypoglycémiques de type neurovégétatifs (sueurs, bouffées de chaleur, sensation de malaises, palpitations). Mais dans tous les cas, elles sont sans signes neuro-glycopéniques (agressivité, baisse de l’attention, épilepsie). Le traitement de ce type d’hypoglycémies passe par des mesures diététiques, avec notamment une diminution de l’index glycémique des repas. Cela passe par un apport de fibres aux repas (manger des légumes qui ne sont pas en purée ou en soupe, des fruits entiers plutôt que des jus), ne pas trop cuire les pâtes ou le riz (les garder al dente), consommer les produits sucrés en fin de repas. L’auteure en parle, mais affirmer que cela aide à réduire les rides ou l’acné ou améliorer la fertilité, comme Jessie Inchauspé le fait tout au long de l’entretien, ne repose sur aucune donnée scientifique !

Qu’en est-il du « vieillissement accéléré » et des « dérèglements de notre humeur » censés être causés par les pics de glycémie comme l’affirme Jessie Inchauspé à plusieurs reprises ? Les pics de glycémie sont-ils responsables de tous nos maux quotidiens ?

Non, bien sûr, la glycémie est tellement étroitement régulée que ses petites variations passent le plus souvent inaperçues. Il y a une confusion entre glucose et sucre (dans le sens commun, c’est-à-dire saccharose), dans l’interview en tout cas (peut-être est-ce mieux expliqué dans le livre). Le glucose est un « sucre élémentaire » (un « ose ») qui circule dans le sang, nous en ingérons directement finalement très peu. On en trouve par exemple dans le miel, mais les sucres que nous ingérons sont principalement des glucides complexes comme l’amidon. Et les sucres qualifiés de « rapides » car ils peuvent faire monter très rapidement la glycémie sont par exemple le saccharose (contenu dans le sucre de table), le fructose, le lactose… Lorsque l’autrice parle de « sucre », elle fait probablement référence à ces derniers. Et il est vrai qu’au fil des années, nous consommons beaucoup plus de ces « sucres rapides » (en général ajoutés en grande quantité dans les produits transformés).

Portrait d’un vieillard, Abraham Bloemaert (1564-1651)

L’impact des variations glycémiques sur les rides, la fertilité ou la santé mentale (au sens très large) n’a jamais été démontré scientifiquement. Le diabète peut induire des troubles de la fertilité mais il n’est pas prouvé que les pics glycémiques survenant chez des sujets indemnes de diabète induisent de tels troubles. L’auteure cite souvent son « étude pilote » réalisée sur 2 700 amateurs recrutés via les réseaux sociaux qui ont testé sa méthode : « 87 % avaient moins de fringales, 67 % se disaient plus heureux, et 58 % de ceux qui avaient des problèmes de santé mentale en ont eu moins. » Malheureusement, cette étude observationnelle sans groupe contrôle n’a pas fait l’objet d’une publication dans une revue scientifique à comité de lecture. Il est donc impossible de l’examiner et de l’évaluer.

Que répondriez-vous à vos patients qui vous interrogeraient sur le livre ?

Je serais embêtée car il y a des affirmations qui sont très pertinentes : manger des légumes en début de repas, bouger après un repas, ne pas manger de glucides simples (ou « rapides ») seuls : ce sont des conseils validés par la science que l’on donne aux patients atteints de diabète de type 2. Mais d’autres affirmations sont totalement fausses et basées sur des croyances, des idées reçues, comme cela arrive souvent en nutrition. C’est le cas du vinaigre, cité plus haut, et du lien allégué entre pics glycémiques et problèmes de peau, fertilité et santé mentale.

Certains conseils entendus dans l’interview semblent en effet pertinents, en particulier de ne pas faire un petit déjeuner trop sucré ou bien de manger beaucoup de légumes. Mais ils semblent banals, bien intégrés dans les recommandations alimentaires.

Oui en effet, il est vrai qu’en France, les petits déjeuners sont très souvent trop riches en sucres simples, avec notamment le saccharose contenu dans le sucre blanc ou le fructose (dans les fruits), et souvent pas assez riches en glucides complexes (céréales, pains et féculents de manière générale) et en fibres. Cela est exact, de même que les Français ne mangent pas assez de légumes 1[4].

Ce n’est pas révolutionnaire, mais c’est tout de même bien de le rappeler, comme le fait le Programme national nutrition santé (PNNS, 4e volet) depuis des années pour guider la population vers des choix alimentaires plus équilibrés : le fameux « cinq fruits et légumes par jour », limiter la consommation de sel, de produits gras, sucrés…

L’ordre préconisé d’ingestion des aliments est pertinent aussi, commencer par les légumes et finir par le sucré. Ce sont des conseils que l’on donne plutôt aux patients atteints de diabète de type 2 afin de limiter le pic de glycémie post-prandial, car cela diminue l’index glycémique du repas. Jessie Inchauspé rappelle aussi l’importance d’éviter de grignoter des produits sucrés entre les repas, c’est pertinent également, c’est ce qui est préconisé dans le cadre d’un repas équilibré comme le conseille le PNNS, mais en effet, pas de quoi faire une révolution.

Et pour finir, je dirai qu’au moins ce n’est pas un énième régime restrictif que Jessie Inschauspé propose. Elle préconise d’arrêter de compter les calories, ce qui est une bonne chose, et ce que préconise également le rapport de l’Anses sur les dangers liés à la pratique des régimes amaigrissants [5].

Références


1 | Cherta-Murillo A et al.,“The effects of SCFAs on glycemic control in humans : a systematic review and meta-analysis”, The American Journal of Clinical Nutrition, 2022, 116 :335-61.
2 | Slama G, « Hypoglycémies réactionnelles ou fonctionnelles », Médecine des maladies métaboliques, 2011, 5 :371-76.
3 | Mongraw-Chaffin M et al., “Hypoglycemic symptoms in the absence of diabetes : pilot evidence of clinical hypoglycemia in young women”, Journal of Clinical and Translational Endocrinology, 2019, 18 :100202.
4 | Santé publique France, « Adéquation aux nouvelles recommandations alimentaires des adultes âgés de 18 à 54 ans vivant en France : étude Esteban 2014-2016, volet nutrition – surveillance épidémiologique  », rapport, septembre 2019. Sur santepubliquefrance.fr
5 | Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, « Régimes amaigrissants : des pratiques à risque », actualités, novembre 2010. Sur anses.fr

1 89.7% des adultes de 18 à 54 ans n’atteignent pas les recomman-
dations fixées à 25 g de fibres par jour.

Publié dans le n° 345 de la revue


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L' auteur

Émilie Montastier

Médecin endocrinologue, maître de conférences des universités, praticien hospitalier de nutrition au CHU Rangueil de (…)

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