Accueil / Regards sur la science / L’ère post OGM : le projet Genius de l’INRA

L’ère post OGM : le projet Genius de l’INRA

Publié en ligne le 26 janvier 2016 - OGM et biotechnologies -

Dans l’esprit de beaucoup d’Européens, l’aventure OGM est un échec alors que des méta-analyses indiquent que les OGM ont permis globalement de diminuer l’utilisation des pesticides, d’augmenter et d’améliorer les productions d’aliments ainsi que d’accroître les revenus des agriculteurs, y compris des plus pauvres [1].

Des techniques nouvelles, les NBT, (New Breeding Techniques) ouvrent des perspectives particulièrement prometteuses. Ces techniques permettent des mutations ponctuelles parfaitement ciblées. Le principe repose sur des coupures des deux brins de l’ADN génomique à des sites choisis à l’aide de nucléases ingéniérisées à cet effet. Ces coupures sont spontanément suivies par une réparation aléatoire locale de l’ADN. Elles permettent également une insertion ciblée de fragments d’ADN de la même espèce ou de gènes étrangers. Dans le premier cas, l’opération n’est rien d’autre qu’une réparation très performante de l’ADN permettant l’inactivation ciblée d’un gène. Dans le deuxième cas, l’opération est une insertion d’ADN de la même espèce qui permet le remplacement d’une version d’un gène (allèle) par une autre version. Dans le troisième cas, il s’agit d’une insertion classique de gènes étrangers mais, contrairement à ce qui se pratique pour les OGM depuis trois décennies, l’insertion est alors parfaitement ciblée. Ces opérations sont regroupées sous l’expression « édition de gènes » (gene editing) et les OGM produits par les NBT sont considérés comme appartenant à une deuxième génération. L’appartenance à la seconde génération d’OGM présuppose également que les projets aient pour objectif de prendre en compte plus particulièrement les souhaits des consommateurs et le respect de l’environnement.

Ces techniques sont à la fois très performantes et relativement simples à mettre en œuvre. L’INRA, qui est très active dans le domaine des biotechnologies végétales, n’a pas participé à l’aventure OGM qui est devenue une réalité mondiale à partir de 1996. L’INRA considère que la situation a fondamentalement changé et que l’ère des OGM classiques est entrée dans une phase de déclin pour céder la place aux NBT citées ci-dessus. L’INRA s’apprête à lancer un nouveau projet, Genius, qui associe des acteurs d’instituts publics de recherche et d’entreprises privées. Genius est un acronyme anglais qui se traduit par « Ingénierie cellulaire : amélioration et innovation technologiques pour les plantes d’une agriculture durable ». Le projet se propose d’étudier les propriétés biologiques de plantes dont les caractéristiques dépendent essentiellement d’un gène majeur. Ceci implique l’identification des gènes en question et l’étude de leurs effets en mettant en œuvre les NBT. Ces études ont pour but de définir si la sélection de ces gènes est souhaitable par les techniques classiques de croisement basées en particulier sur l’utilisation de marqueurs génétiques (génétique d’association) ou via les NBT. Les neuf espèces concernées sont les suivantes : maïs, blé, riz, colza, tomate, pomme de terre, pommier, peuplier, rosier. Cette initiative vise à maintenir la science et le savoir-faire national en matière de biotechnologies végétales. Plus largement, il s’agit de garder une bonne place dans le marché international des semences. La France a en effet une excellente position dans ce domaine qui est très convoitée par ses compétiteurs et qui s’est fragilisée avec le refus d’exploiter des OGM.

Le projet Genius s’inscrit dans un consortium labellisé par un GIS (Groupement d’Intérêt Scientifique), Biotechnologies vertes, qui comprend 30 partenaires et 300 personnels de recherche. La protection juridique des résultats repose sur la réglementation COV (Certificat d’Obtention Végétale), traditionnellement appliquée dans l’UE, plutôt que sur le brevetage qui offre aux agriculteurs moins de liberté dans la gestion de leurs semences. Il est prévu de délivrer des licences en priorité pendant les trois premières années aux acteurs directs du projet, aux membres du GIS pendant les trois années suivantes et après six ans à tous les demandeurs. Une préférence sera donnée, selon la politique en vigueur à l’INRA, aux PME et les licences seront gratuites pour les pays en développement. La publication des résultats se fera sans contrainte dès que les protections juridiques seront effectives.

Un point réglementaire reste à éclaircir : les produits issus des NBT sont-ils des OGM ? En termes de risques, la position des USA est claire. La FDA (l’agence étasunienne de biosécurité alimentaire) conserve comme l’UE le principe de l’évaluation au cas par cas. La FDA continue à évaluer les risques d’une plante indépendamment de la méthode utilisée pour la produire. L’agence européenne, l’EFSA qui prépare les réglementations en la matière, persiste à prendre en compte pour chaque cas les méthodes mises en œuvre pour obtenir les produits issus des NBT. L’EFSA ne reconnaît pas comme OGM des variétés qui pourraient être obtenues spontanément et sans l’utilisation d’ADN isolé.

Les variétés résultant de mutagénèse chimique ou d’irradiations ne sont donc pas juridiquement des OGM. Il doit logiquement en être de même pour les plantes du premier cas défini plus haut et donc obtenues sans intervention d’ADN étranger. Dans le deuxième cas, le remplacement d’allèle ne laisse pas plus d’ADN étranger que le croisement par la reproduction sexuée. Il ne s’agit donc pas d’OGM. Dans le troisième cas, il y a addition d’un gène étranger. Les plantes sont alors des OGM avec toutefois un ciblage de l’intégration du gène qui théoriquement diminue la part d’inconnu qui peut accompagner ce type de modification génétique. C’est ce qui les fait appartenir aux OGM de deuxième génération. Certaines opérations ont pour but d’intégrer des petits fragments d’ADN étranger trop courts pour contenir une information génétique. Des discussions sont en cours pour définir à partir de quelle longueur d’ADN intégré la plante est juridiquement un OGM. Cette question n’a pas de véritable sens du point de vue sécuritaire.

Sur les 26 demandes d’approbation de nouvelles variétés obtenues par des NBT faites en Amérique du Nord, 24 ont été classées comme n’étant pas des OGM et 2 sont considérées comme des OGM. Il peut être intéressant de consulter sur ces sujets le rapport 1 de l’USDA (United States Department of Agriculture) sur les biotechnologies en France.

Le but du projet Genius est clairement de produire plus et mieux. Il est plus ambitieux que l’obtention d’OGM pratiquée depuis trois décennies. Les Français sont en majorité hostiles à l’utilisation des OGM. Ils sont aussi demandeurs d’innovations. Gageons que le projet Genius contribuera à mieux traiter les contradictions dans lesquelles le débat français sur les OGM s’est embourbé.

Références


1 | Klümper W, Qaim M. (2014) “A meta-analysis of the impacts of genetically modified crops.” PLoS One : 9(11):e111629.

1 http://gain.fas.usda.gov/Recent%20GAIN%20Publications/Agricultural%20Biotechnology%20Annual_Paris_France_7-17-2015.pdf (indisponible—6 juin 2020)