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Cohérence entre vitesses et infrastructures routières pour une meilleure sécurité

Publié en ligne le 9 août 2021 - Technologie -

La France possède près de 1,1 million de kilomètres de routes dont l’implantation (rase campagne, urbain, etc.), la fonction (transit, desserte locale, etc.), la catégorie (autoroute, route bidirectionnelle, voie structurante d’agglomération, rue, etc.) et le gestionnaire (État, collectivités locales) conduisent à une variété de caractéristiques et d’usages. Les usagers se déplacent simultanément pour des motifs variés, professionnels ou de loisir. Ils peuvent utiliser des moyens de transport très variés : automobiles, motos, poids-lourds, vélos, engins de déplacement personnel (EDP) non motorisés (skate, roller, trottinette) ou motorisés (trottinette électrique, gyropode, overboard, mono-roue), ou être de simples piétons.

Afin d’assurer une cohabitation acceptable et en sécurité, le code de la route définit les règles d’usage et d’interaction entre usagers sur les voies ouvertes à la circulation et intègre les nouveautés. Parmi ces règles, une vitesse maximale autorisée s’applique à chaque réseau routier pour tenir compte du type de routes ou de rues et de leurs risques associés. En France, le code de la route indique aussi que les autorités investies du pouvoir de police de la circulation peuvent fixer des vitesses maximales autorisées différentes des règles générales. On distingue ainsi le cas des routes nationales, métropolitaines, départementales et communales gérées respectivement par l’État, les métropoles, les conseils départementaux et les municipalités. Le choix des limitations de vitesses considère de multiples paramètres. Un automobiliste n’adoptera pas la même vitesse selon qu’il circule sur autoroute, sur une petite route bidirectionnelle de rase campagne, dans un quartier résidentiel ou dans une rue de centre-ville. Ainsi, le milieu dans lequel les usagers circulent guide pour une grande partie la vitesse qu’ils pratiquent de manière implicite.

Des conceptions et des aménagements différenciés

En rase campagne, si une majeure partie du réseau routier est issue de voies de communication historiques, c’est après guerre que l’augmentation des performances des véhicules, les besoins grandissants de mobilité et la volonté politique de se doter d’un réseau autoroutier ont fortement structuré le réseau actuel. Devant la nécessité d’assurer la sécurité et le confort des déplacements, le ministère en charge du réseau routier national s’est doté d’une doctrine technique pour la conception et l’aménagement des routes selon les catégories de routes, leur fonction et leur trafic. Les connaissances fondamentales relatives aux facteurs routiers intervenant en sécurité routière datent principalement des années 1990. Les liens de cause à effet entre caractéristiques routières et accidentalité sont difficiles à établir compte tenu de la variabilité des situations. Cependant ces dernières années, les travaux de recherche ont plus particulièrement appréhendé les facteurs humains conditionnés par les caractéristiques de l’infrastructure.

Les principes de conception et d’aménagement sont encadrés par des instructions et des guides pour, par exemple, les autoroutes [1], les routes interurbaines [2] et les voies structurantes d’agglomération [3]. Leurs principales caractéristiques sont adaptées aux vitesses pratiquées par la majorité des automobilistes. Elles vont être définies pour fournir une distance de visibilité suffisante à une vitesse de circulation inférieure ou égale à la vitesse maximale autorisée. Il s’agit de la visibilité des objets de l’environnement (virage, carrefour, signalisation…) et des autres usagers. Cette distance se combine à la vitesse pratiquée pour déterminer le temps dont dispose le conducteur pour faire face à toute difficulté en tenant compte des capacités de freinage. Ainsi, il convient que l’infrastructure offre des distances de visibilité supérieures aux distances d’arrêt. Cette exigence est particulièrement contraignante en conception routière pour les tracés en plan (lignes droites et courbes) et les profils en long (pentes et rampes). Afin ne pas « inciter » les usagers de la route à pratiquer des vitesses trop élevées, les principes de conception et d’aménagement prévoient des caractéristiques qui ne conduisent pas à des situations trop confortables qui auraient pour effet de faire accélérer les conducteurs. Outre la visibilité, d’autres principes gouvernent la conception et l’aménagement des routes pour la sécurité : la lisibilité ou la compréhension des éléments routiers, l’adéquation aux contraintes comme les décélérations possibles, les possibilités d’évitement et de récupération, la limitation de la gravité des chocs, etc. [4] Ces principes résultent d’analyses approfondies des accidents ainsi que des retours d’expériences sur les mesures correctives de l’infrastructure en faveur de la sécurité routière, en France et à l’étranger. Si ces principes sont plus simples à mettre en œuvre pour les routes neuves, ils sont naturellement plus difficiles à appliquer pour les routes anciennes car ils ne résultent pas toujours d’une démarche de conception volontariste mais plutôt de démarches d’aménagement issues d’études préalables de sécurité [5].

En milieu urbain, la conception et l’aménagement de la voirie reposent sur des principes différents de ceux de la rase campagne. Ils font appel à la notion de partage « équitable » ou « respectueux » de la voirie qui recherche un équilibre entre « vie locale » et circulation des véhicules motorisés [6, 7].

Paysage avec calèche,
Hugo Mühlig (1854-1929)

La notion de vie locale fait notamment référence à la circulation des modes actifs (c’est-à-dire non motorisés, comme les piétons et cyclistes). Ainsi une hiérarchie des rues s’est opérée selon la présence de plus en plus importante des piétons et des cyclistes : voie principale, voie de distribution et voie de desserte conduisent à des vitesses d’usage différenciées allant de 20 km/h à 70 km/h. Les voies de desserte qui supportent une vie locale prépondérante intègrent les zones de rencontre et les « zones 30 » afin de prendre en compte les usagers les plus vulnérables que sont les piétons et les cyclistes. De nombreuses études montrent que pour les usagers vulnérables, notamment les piétons, le risque d’être tué suite à un choc avec un usager motorisé augmente très significativement avec la vitesse au moment du choc [8, 9] (il est multiplié par deux entre 30 et 40 km/h et par six entre 30 et 50 km/h selon [9]).

Initiée par l’International Transport Forum (ITF, Forum international des transports), une organisation intergouvernementale qui compte 62 pays membres, la nouvelle approche du « système sûr » [10] propose un nouveau paradigme pour orienter la conception et l’aménagement des routes : la sécurité routière doit s’appuyer sur une responsabilité partagée entre toutes les parties prenantes et viser des objectifs marquants (zéro tué, zéro blessé grave) malgré la possibilité de survenue d’accident (les usagers de la route sont par nature faillibles). Ainsi, les gestionnaires routiers sont incités à prendre en compte les principaux risques d’accidents liés à l’infrastructure routière lors de la conception et l’aménagement des routes en mettant en œuvre les notions de « route qui alerte et qui pardonne » (qui prévient des dangers de sortie de route et permet également, dans une certaine mesure, de rattraper certains écarts ainsi que de limiter la gravité en cas de choc). Les usagers, pour leur part, doivent adopter un comportement adapté à l’infrastructure routière et aux conditions de circulation, en particulier en matière de vitesse. En distinguant les trois parties prenantes que sont le conducteur, le véhicule et l’environnement (infrastructure et conditions de circulation), l’analyse des facteurs d’accidents mortels [11] soutient l’intérêt de cette approche systémique (voir encadré). Ainsi, si les facteurs humains sont présents dans 92 % des accidents, les facteurs environnementaux le sont dans 39 % et ceux relatifs au véhicule dans 20 %. Parmi les facteurs humains, le plus fréquent est la vitesse excessive ou inadaptée.

La connaissance des vitesses pratiquées, pas si simple !

Si la vitesse retenue par les usagers de la route est la vitesse maximale autorisée (liée au risque de la dépasser), celle qui permet d’évaluer le bon fonctionnement du système de circulation est bien la vitesse pratiquée par les usagers motorisés au travers de divers indicateurs qu’il est nécessaire d’estimer (valeur moyenne, écart-type, etc.). Le bon fonctionnement du système concerne à la fois la fluidité du trafic et la sécurité des usagers. Selon les besoins, divers moyens peuvent être mobilisés.

Pour estimer la fluidité des déplacements, l’observation des vitesses permet le calcul et la prévision des temps de parcours sur des itinéraires susceptibles d’être perturbés. Dans ce cas, elle est réalisée à partir de stations de mesure en bord de voies qui fournissent des données en temps réel. Afin d’améliorer la qualité des informations délivrées aux usagers, elles peuvent être complétées et fusionnées avec des Floating Car Data fournies par des opérateurs (données produites par les véhicules grâce à des systèmes embarqués comme les GPS ou les téléphones cellulaires qui permettent d’obtenir des informations géolocalisées de conduite) [12].

Les facteurs d’accidents


L’étude FLAM réalisée par le Cerema présente les résultats de l’analyse des facteurs déclenchants qui ont joué un rôle dans la genèse des accidents mortels de la circulation routière survenus en 2015 en France métropolitaine et d’outre-mer, hors zone Pacifique. La détermination de ces facteurs est basée sur la lecture et le codage dans la base de données FLAM des procédures judiciaires des accidents établis par les forces de l’ordre que sont les procès-verbaux des accidents corporels de la circulation routière (PV). Le codage est réalisé par des agents du Cerema exerçant dans le domaine de la sécurité routière et formés spécifiquement pour ce travail.

Pour chaque accident, les codeurs identifient, à l’aide d’une liste prédéfinie de 137 facteurs, l’ensemble de ceux qui ont contribué à la genèse de l’accident. Ils indiquent également si ces causalités sont quasi certaines (c) ou probables (p). Chaque facteur est associé à l’une des composantes du système de circulation : humain, véhicule, environnement (infrastructure et conditions de circulation). La base FLAM est constituée de 2 878 des 3 373 accidents mortels recensés par les statistiques officielles de l’année 2015.

Dans FLAM, la notion de facteur déclenchant ou contributif est définie comme «  un élément (présence ou absence) ou un état spécifique d’un des composants du système homme / véhicule / environnement ayant joué un rôle dans la survenue de l’accident. Sans lui, la probabilité de survenue de l’accident aurait fortement diminué. »

H : facteur humain – E : facteur environnement – V : facteur véhicule

Un facteur humain peut être, par exemple, une vitesse excessive ou inadaptée par rapport à la météo ou au trafic, un non-respect des règles de priorité à l’origine de l’accident mortel, une alcoolémie excessive du conducteur. Un facteur véhicule peut être, par exemple, un véhicule puissant (voiture, véhicule à deux roues motorisé) favorisant la pratique de vitesses élevées, un état des pneus (usé, sur-gonflé, sous-gonflé, etc.). Un facteur environnement peut être, par exemple, un défaut de visibilité, un éblouissement naturel (soleil rasant, contre-jour, etc.)

Source
« Les facteurs d’accidents mortels en 2015 : exploitation de la base FLAM », Rapport d’étude, Cerema, à paraître en 2021.

En sécurité routière, l’estimation des vitesses est réalisée pour des localisations données (zones administratives, itinéraires, points d’intérêt) et des temporalités données (observatoires de longue durée, mesures avant/après, mesures ponctuelles). En France, l’Observatoire national interministériel de sécurité routière (Onisr) gère depuis de nombreuses années un observatoire national des vitesses et publie annuellement un état des vitesses pratiquées en France en distinguant à la fois les catégories d’usagers et de routes [13].

Un accident de voyage,
Alfred Wierusz-Kowalski (1849-1915)

D’autres observatoires sont utiles pour suivre plus spécifiquement l’évolution des vitesses sur des itinéraires particuliers. C’est le cas de l’observatoire de la Sanef (Société des autoroutes du Nord et de l’Est de la France) [14] qui publie annuellement des indicateurs du comportement spécifique des usagers d’autoroutes en distinguant l’occupation des différentes voies de circulation ainsi que les interactions entre véhicules. Parmi ces indicateurs, on trouve la vitesse moyenne et la proportion d’usagers qui dépassent la vitesse maximale autorisée ainsi que les « trop vite – trop près » qui caractérisent des situations à risque (usagers qui circulent à vitesse supérieure à 130 km/h avec des temps inter-véhiculaires inférieurs à deux secondes).

L’intérêt de tels observatoires est de suivre l’évolution du comportement des usagers afin d’évaluer l’impact de politiques publiques de sécurité routière (voir encadré). Un tel observatoire a montré tout son intérêt pour l’évaluation de l’impact du contrôle automatisé des vitesses dans les années 2000 [15]. Ainsi, dans les années qui ont suivi la mise en œuvre de la politique de contrôle automatisé des vitesses (2002-2009), la vitesse moyenne des véhicules de tourisme a baissé de 10 km/h, avec 80 % de cette baisse entre 2002 et 2005. De même, la part des usagers en excès de vitesse s’est réduite de 37 % à 12 %. Son intérêt est aussi de révéler l’évolution au fil du temps du comportement des usagers. L’estimation de cette évolution est d’ailleurs délicate car elle nécessite de mettre en évidence des variations de faible amplitude. Cela impose des méthodes de recueil robustes, précises et pérennes pour garantir la continuité des indicateurs et l’interprétation des variations. De plus, afin de ne pas fausser les comportements des conducteurs, les dispositifs de recueil des vitesses ne doivent pas être détectables par ces derniers.

Les vitesses constituent un indicateur pertinent en sécurité routière pour évaluer l’impact de mesures générales ou bien d’aménagements plus localisés. Elles apportent des éléments d’analyse des dysfonctionnements du système routier complémentaires et plus sensibles que les analyses d’accidents qui nécessitent de plus longues périodes d’observation, compte-tenu de leur rareté, pour pouvoir en tirer des enseignements significatifs. Dans ce cas, les mesures sont réalisées selon le principe avant/après une mesure ou un aménagement. Récemment, la mesure de l’abaissement de la vitesse maximale autorisée (VMA) de 90 à 80 km/h sur les routes bidirectionnelles de rase campagne a été évaluée à partir d’un observatoire spécifique déployé sur cinquante sites en France [16]. Cet observatoire a mesuré durant près de deux ans, avant et après la baisse de la VMA, les vitesses lors du passage de plusieurs millions de véhicules. Il a permis de mettre en évidence une baisse immédiate des vitesses moyennes pratiquées dès le premier jour de la mesure (de l’ordre d’un peu plus de 4 km/h) suivie les mois suivants d’une légère remontée puis d’une stabilisation (autour de – 3 km/h).

Pour ce qui est des aménagements, de la mise en œuvre d’un équipement ou de la modification de l’infrastructure routière, les mesures sont réalisées avant et immédiatement après le changement, puis après plusieurs mois pour vérifier l’appropriation du site par les usagers. Pour les gestionnaires, ces observatoires sont incontournables pour assurer une bonne surveillance de leur réseau.

Enfin, les vitesses sont, avec le trafic, les deux principaux paramètres d’usages des infrastructures routières auxquels sont sensibles les riverains et les élus. Ceux-ci ont besoin de confronter leur perception ou celles de leurs administrés à la réalité des faits car il s’agit de gérer deux points de vue qui se confrontent : les riverains qui veulent le moins de gêne possible et se sentir en sécurité, et les usagers de la route qui cherchent à minimiser les contraintes de déplacement. Ainsi, les mesures de vitesse effectuées ponctuellement et les indicateurs associés (vitesse moyenne, répartition des vitesses, proportion d’usagers qui dépassent la VMA, etc.) permettent de répondre à la question : les usagers circulent-ils trop vite ? De même, les études de sécurité routière commanditées ou réalisées par les gestionnaires s’appuyant sur des mesures de vitesses vont estimer leur lien avec l’accidentalité si elles sont réalisées suffisamment longtemps pour avoir des résultats significatifs. Elles peuvent alors guider le gestionnaire vers des mesures appropriées de maîtrise ou de modération de la vitesse.

Maîtrise et modération des vitesses, deux nécessités

Le lien entre vitesse et accidentalité est établi par de nombreux travaux de recherche français [17] et internationaux [18]. Ces travaux montrent que le risque individuel d’être impliqué dans un accident mortel est lié par un modèle exponentiel à la vitesse moyenne pratiquée. Ainsi, le risque est multiplié par deux quand les usagers circulent en moyenne 10 km/h plus rapidement.

De plus, les catégories de routes ont des niveaux d’insécurité différents. En 2018, les autoroutes concentraient 8 % de la mortalité routière mais représentaient 1,1 % du linéaire et 26 % du trafic [19]. Les routes hors agglomération et hors autoroutes représentaient 62 % de la mortalité routière, dont 90 % survenait sur routes bidirectionnelles. En tenant compte du trafic, le risque d’être impliqué dans un accident grave ou mortel est trois fois plus élevé sur routes bidirectionnelles que sur autoroutes.

Comme cela a été évoqué précédemment, l’insécurité routière résulte de la combinaison d’au moins trois paramètres essentiels : l’infrastructure routière, le trafic et la vitesse pratiquée par les usagers. S’il apparaît que l’autoroute offre le taux d’accident le plus faible malgré des trafics très importants et la VMA la plus élevée, cela résulte de sa conception : séparation des flux de trafic, absence d’intersections et d’obstacles, possibilités de récupération, accès contrôlé et caractéristiques adaptées en font une infrastructure plutôt sûre, même si l’on y déplore encore trop de tués. C’est d’ailleurs sur les autoroutes que les facteurs liés à l’infrastructure sont le moins fréquents. Ils sont présents dans 17 % des accidents mortels contre 32 % sur les autres routes interurbaines [11]. Il serait illusoire de croire que ces caractéristiques permettent de circuler sans risques fortement accrus au-delà de 130 km/h, car c’est pour cette vitesse que l’autoroute a été conçue [1]. La maîtrise de la vitesse y est généralement obtenue par un contrôle des vitesses instantanées et moyennes, et la modulation de la VMA en fonction des conditions de trafic (réduction de 20 voire 40 km/h sur des itinéraires souvent soumis à des perturbations).

La Barrière fleurie, Le Pouldu,
Paul Sérusier (1864-1927)

Pour les routes bidirectionnelles de rase campagne qui concentrent la plus grande part de la mortalité routière, la maîtrise des vitesses est un enjeu essentiel pour améliorer la sécurité. C’est notamment le cas du réseau qualifié de « structurant » qui écoule la plus grande part du trafic départemental [13]. En effet, bien que le trafic y soit plus faible que sur les routes à chaussées séparées, ces routes présentent des facteurs intrinsèquement plus accidentogènes – notamment l’absence de séparation des flux de trafic. D’autres facteurs sont identifiés et mobilisent des actions par les gestionnaires routiers tels que les obstacles, les virages, les intersections, l’absence de zone de récupération 1, les défauts de visibilité… [20] Si la suppression ou la réduction des facteurs de risque liés à l’infrastructure concourent à offrir une route plus sûre, des actions pour la maîtrise voire la modération des vitesses restent nécessaires pour rendre plus homogènes les vitesses pratiquées (le facteur « vitesse excessive ou inadaptée » est présent pour 37 % des accidents mortels sur ces routes). Ainsi, le contrôle automatisé des vitesses et la création de zones à 70 km/h bien identifiables par les usagers permettent de renforcer leur attention sur des zones à risque. Du point de vue des aménagements de l’infrastructure, les possibilités restent limitées, car il est difficile de contraindre les conducteurs à freiner ou à manœuvrer de façon excessive pour réduire les vitesses, sans introduire un risque supplémentaire. Cependant, des traitements globaux d’itinéraires [21] peuvent avoir un impact sensible, notamment par la mise en œuvre d’aménagements structurants modérateurs des vitesses tels que les carrefours giratoires, les carrefours en chicane, la réduction des largeurs des voies.

Le Cycliste,
Natalia Gontcharova (1881-1962)

En milieu urbain, la maîtrise de la vitesse est impérative pour assurer la sécurité des usagers vulnérables. Pour ce faire, de nombreux outils ont été développés avec le concours des collectivités [22], en s’appuyant sur des expérimentations avec évaluations et retours d’expérience avant de pouvoir être pris en compte dans la réglementation pour être généralisés. Cela passe par la création des zones de rencontre (limitées à 20 km/h) et des « zones 30 » dans lesquelles les véhicules motorisés doivent adopter une vitesse compatible avec la présence des vélos et des piétons. Ces zones définies dans la réglementation doivent être clairement identifiables par une signalétique et des aménagements qui concourent à la modération de la vitesse. En complément, les aménageurs disposent d’un large panel d’aménagements modérateurs de la vitesse sur la voirie urbaine tels que ralentisseurs, plateaux, chicanes, écluses, modalités de gestion du stationnement…

En complément d’une infrastructure conçue et aménagée pour la maîtrise et la modération des vitesses, des solutions techniques sont envisageables dans les véhicules. Si les limiteurs et régulateurs de vitesse sont largement présents dans les véhicules et utilisés à l’initiative des conducteurs, le système d’adaptation intelligent de la vitesse (Lavia) développé et évalué dès les années 2000 [23] va se déployer obligatoirement en Europe sur les véhicules neufs à partir de 2022 [24].

1823 – Première route en macadam des États-Unis,
Carl Rakeman (1878-1965).
Cette technique d’empierrement inspirée des travaux de l’Écossais John Loudon McAdam est mise en œuvre en 1823 pour la réfection d’une route dans l’État du Maryland.

Conclusion et perspectives

Les routes et les rues sont des espaces publics destinés à la mobilité des usagers pris dans leur diversité. Elles sont conçues, équipées et aménagées pour assurer la mobilité des usagers selon des comportements « respectueux » du code de la route. La vitesse est sans doute l’une des règles les plus contraignantes et son respect a une influence remarquable sur les performances et la sécurité globales du réseau. La quantité de trafic, la diversité des déplacements (véhicules et usagers plus lents et plus vulnérables), les moyens financiers dont disposent les gestionnaires routiers sont autant d’arguments pour une utilisation « raisonnée et citoyenne » des routes selon leurs capacités. Les enjeux de développement durable et l’adaptation au changement climatique sont également des engagements citoyens auxquels une vitesse modérée et régulière répond. Le système routier doit devenir un exemple de système partagé, pour lequel chaque partie prenante s’engage à faire mieux. La mise en place d’outils de maîtrise et de modération des vitesses instaure des pratiques qui vont dans le sens d’une mobilité durable respectant les enjeux sociaux, économiques et environnementaux.

Références


1 | Cerema, « Ictaal – Instructions sur les conditions techniques d’aménagement des autoroutes de liaison », 2015, 60 p.
2 | Cerema, Aménagement des routes principales (ARP) – Guide technique, 1994, 148 p.
3 | Cerema, « Voies structurantes d’agglomération (VSA), conception des voies à 90 et 110 km/h », 2015.
4 | Cerema, « Sécurité des routes et des rues, guide technique », 1992.
5 | Cerema, « Démarche SURE – Sécurité des usagers sur les routes existantes », 2006.
6 | Cerema, « Savoir-faire de base en sécurité routière : hiérarchisation des voiries urbaines », fiche n° 11, 2018.
7 | Cerema, « Voirie urbaine, Guide d’aménagement », 2016.
8 | Rosen E et al., “Literature review of pedestrian fatality risk as a function of car impact speed”, Accid Anal Prev, 2011, 43 :25-33.
9 | Martin JL, Wu D, « Projet VOIESUR, livrable 4.4, accidentologie des piétons », rapport de recherche, avril 2015.
10 | ITF, Zero Road Deaths and Serious Injuries : Leading a Paradigm Shift to a Safe System, OECD Publishing, 2016.
11 | Cerema, « Les facteurs d’accidents mortels en 2015 exploitation de la base FLAM », rapport d’étude, à paraître en 2021.
12 | Buisson C et al., « Ce que la data change à l’exploitation routière », Transports Environnement Circulation, ATEC ITS France, 2019.
13 | Onisr, « Accidentalité sur les routes bidirectionnelles hors agglomération : enjeux relatifs au réseau principal », avril 2018.
14 | Sanef, « Observatoire Sanef 2019 des comportements sur autoroute ». Sur groupe.sanef.com
15 | Carnis L, “Speed enforcement in France : a decade of changes (2000-2009)”, 15th international conference on Road safety on four continents, Abu Dhabi, United Arab Emirates, 2830 March 2010, 911-23.
16 | Cerema, « Abaissement de la vitesse maximale autorisée à 80 km/h », rapport final d’évaluation, 1er juillet 2020.
17 | Brenac T et al., “Influence of travelling speed on the risk of injury accident : a matched case-control study”, Period Polytech Transport Eng, 2015, 43 :129-37.
18 | Cameron M, Elvik R, “Nilsson’s power model connecting speed and road trauma : applicability by road type and alternative models for urban roads”, Accid Anal Prev, 2010, 42 :1908-15.
19 | Onisr, « Observatoire des vitesses (France métropolitaine), Résultats de l’année 2018 »,septembre 2019.
20 | Gallenne ML et al., « Les risques d’accident associés aux infrastructures périurbaines et interurbaines », in Carnis L et al. (eds), La sécurité en France : quand la recherche fait son bilan et trace des perspectives, L’Harmattan, 2019, 159-182.
21 | Cerema, « Route plus sûre, route sans accident – Une démarche innovante et pluridisciplinaire de sécurisation d’un itinéraire : Application de la démarche à la liaison routière Yvetot – La Mailleraye », 2017.
22 | « Voirie pour tous », documentation et informations, sur le site du Cerema.
23 | Driscoll R et al., “Lavia – an Evaluation of the Potential Safety Benefits of the French Intelligent Speed Adaptation Project”, Annu Proc Assoc Adv Automot Med, 2007, 51 :485-505.
24 | « L’UE renforce les exigences pour la sécurité des véhicules », communiqué de presse du Conseil de l’Union européenne, 29 mars 2019.

1 Bande à droite de la voie de circulation qui permet à un véhicule de rattraper une trajectoire déviante.

Publié dans le n° 336 de la revue


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Les auteurs

Marie-Line Gallenne

Directrice de recherche à l’université Gustave Eiffel.

Plus d'informations

Eric Violette

Directeur de projets sur la sécurité routière au Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la (…)

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