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L’utilisation de l’eau dans les complexes industriels et les centrales électrogènes

Publié en ligne le 8 septembre 2023 - Climat -

Avant de parler de l’utilisation de l’eau pour la réfrigération des complexes industriels et des centrales électrogènes, il est nécessaire de distinguer les deux cycles de l’eau.

Le « grand cycle » représente les flux naturels de l’eau, liés à l’évaporation des océans et des terres avec leur végétation. La vapeur d’eau monte dans l’atmosphère, forme les nuages, puis retombe sous forme de pluie, alimentant sur terre les cours d’eau et les nappes phréatiques. [1].

Le « petit cycle » correspond sur terre aux usages de l’eau liés aux activités humaines (usages domestiques, agricoles ou industriels). Il désigne « le parcours que l’eau emprunte du point de captage dans la rivière ou la nappe d’eau souterraine jusqu’à son rejet dans le milieu naturel. Il comprend le circuit de l’eau potable et celui du traitement des eaux usées » [2].

Les mots ont un sens

Consommation et prélèvement
Le terme « consommation » est souvent employé abusivement pour désigner toute utilisation de l’eau sans considération sur la manière dont celle-ci est restituée dans l’environnement. Il convient en réalité de distinguer consommation et prélèvement : « Les prélèvements désignent la quantité d’eau prélevée dans le milieu naturel puis rejetée après utilisation (donc à nouveau disponible après traitement par les stations urbaines et industrielles), tandis que la consommation correspond à une quantité d’eau prélevée, réellement consommée, absorbée. Elle n’est pas renvoyée directement dans la nature après usage » [3]. Peu d’activités sont consommatrices d’eau. Il s’agit de celles où l’eau est incorporée au produit fini : fabrication de béton, moellons, placoplâtre, céramiques, électrolyse pour la production d’hydrogène, etc.

L’Arrosage du jardin (détail), Peder Mørk Mønsted (1859-1941)

Usages domestiques
Nous utilisons de l’eau pour nos besoins domestiques, y compris celle que nous buvons ou celle dont nous avons besoin pour confectionner notre alimentation. Cette eau est prélevée et restituée dans le milieu, par nos excrétas qui retournent dans le petit cycle de l’eau, ou par notre transpiration et notre respiration qui retournent dans le grand cycle de l’eau (notre corps lui-même est une machine à prélever de l’eau et à la rejeter).

Usages industriels
Les entreprises industrielles ont souvent besoin d’eau pour refroidir les process, pour la fabrication ou pour les eaux à usages domestiques des employés. Toute cette eau est prélevée puis restituée au milieu. Il s’agit d’utilisation et non de consommation. Parfois cette eau est prélevée en nappe phréatique et restituée dans les eaux superficielles. Mais cette eau reste dans le petit cycle de l’eau.

Les installations industrielles importantes qui ne peuvent pas refroidir leur process par les cours d’eau utilisent des tours d’aéroréfrigération pour les refroidir avec l’air ambiant. Elles sont dites en circuit fermé. Le refroidissement se fait alors à la fois principalement par évaporation d’une fine pellicule d’eau à la surface des gouttes, comme le corps humain se refroidit en transpirant dans un courant d’air, puis par échange de la goutte avec l’air avant que les gouttes touchent le bassin de recueil. Puis cette eau repart dans le circuit de réfrigération, d’où le nom de circuit fermé. L’eau évaporée rejoint alors le grand cycle de l’eau. Elle est compensée par un prélèvement dans les eaux superficielles. Il y a ainsi un passage du petit cycle de l’eau vers le grand cycle, mais sans consommation.

Usages agricoles
L’irrigation agricole par aspersion est souvent perçue comme une consommation d’eau. Il n’en est rien. Les végétaux restituent l’eau, soit dans le grand cycle de l’eau par évapotranspiration du végétal ou du sol lui-même, soit dans le petit cycle de l’eau lors de l’utilisation alimentaire humaine ou animale.

Le refroidissement des centrales électrogènes thermiques

Une centrale thermique de production d’électricité, qu’elle soit au charbon, au gaz ou nucléaire, produit de la chaleur dans une chaudière. Dans le cas du nucléaire, cette chaleur est véhiculée par de l’eau sous pression et à haute température tournant en circuit fermé. Ce circuit dit primaire cède son énergie thermique à un circuit secondaire où l’eau à pression plus faible est vaporisée. Il y a alors transfert énergétique entre le circuit primaire et le circuit secondaire. La vapeur produite dans les générateurs de vapeur du circuit secondaire alimente une turbine à vapeur couplée à un alternateur électrique. Or, toute machine thermique à vapeur a besoin pour fonctionner d’une source chaude et d’une source froide en application du principe de Carnot ou second principe de la thermodynamique.

La vapeur sous pression et à température élevée qui pénètre dans la turbine voit sa pression et sa température baisser pour transformer son énergie thermique en énergie cinétique (détente), qui va produire le couple moteur d’entraînement de l’alternateur électrique. Lors de sa détente, cette vapeur va donc baisser en pression et se refroidir à une température proche de celle de la source froide.

Parvenue à une température de 25 à 35 °C, cette vapeur doit être ramenée sous forme liquide, puis renvoyée sous pression dans les générateurs de vapeur. Il faut donc lui retirer la chaleur latente de condensation. C’est le rôle du condenseur dans lequel on fait circuler de l’eau froide qui va s’échauffer. Il s’agit d’un troisième circuit, différent des deux autres.

La Ferme aux saules au bord de l’eau, Piet Mondrian (1872-1944)

C’est à ce niveau qu’il faut différencier la source froide : soit l’eau de mer ou d’un cours d’eau, soit l’air ambiant.

Les centrales en circuit ouvert sur un cours d’eau ou sur la mer
Dans les installations dites en circuit ouvert, la source froide est de l’eau. L’eau est prélevée dans la mer ou dans un cours d’eau pour ensuite être de nouveau restituée à la mer ou au cours d’eau après que la chaleur latente de condensation de la vapeur a été retirée. L’eau est donc prélevée dans le milieu et ensuite entièrement rejetée. Il s’agit bien d’une utilisation qui n’affecte pas le débit du cours d’eau, mais uniquement sa température.

Les centrales en bord de mer sont toutes en circuit ouvert avec un prélèvement d’eau froide proche et un rejet des eaux tièdes par un émissaire dont l’extrémité est éloignée des côtes (300 à 500 m, en fonction de la déclivité du fond).

Certaines centrales en bord de grand fleuve sont aujourd’hui en circuit ouvert : les quatre tranches du site du Tricastin, deux des quatre tranches du site du Bugey, les deux tranches du site de Saint-Alban et les quatre tranches du site du Blayais.

Le rendement global d’une centrale nucléaire n’est que de 35 % environ, du fait de la température peu élevée de la vapeur produite (environ 280 °C), bien inférieure à celle des centrales au gaz ou au charbon 1. Ainsi pour un réacteur qui produit 900 MW électriques, environ 1 800 MW d’énergie thermique sont dispersés dans l’environnement. Quelques rares programmes d’utilisation existent cependant pour utiliser cette chaleur perdue (chauffage de serres ou de fermes de crocodiles par exemple), mais la température trop basse de cette eau rend difficile d’autres usages.

Une centrale nucléaire en bord de fleuve nécessite un débit d’eau de refroidissement de 40 à 57 m3/s (selon la puissance de l’unité) [4] et, compte tenu de la puissance thermique à évacuer, cette eau est échauffée de l’ordre de 8 °C. Pour deux unités de la centrale du Bugey, 80 m3/s d’eau sont ainsi prélevés à la température du fleuve et rejetés juste en aval avec un échauffement de 8 °C à pleine puissance. Toute l’eau est seulement utilisée puis restituée. Ceci n’affecte en rien le débit du cours d’eau. En revanche, la température après rejet augmente en fonction du débit prélevé et de celui du cours d’eau en fonction de la puissance effective des réacteurs.

Les limites de température après restitution au cours d’eau sont extrêmement strictes pour préserver les milieux. Cela amène parfois EDF, l’exploitant des centrales, à baisser temporairement la puissance des unités. La perte de production annuelle peut atteindre 0,3 % pour l’ensemble du parc électronucléaire lors des années très chaudes. Ces limites sont fixées, centrale par centrale, par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) dans les arrêtés de rejet.

Pour fixer un ordre de grandeur des prélèvements, la centrale nucléaire de Tricastin utilise, lorsque ses quatre unités sont en fonctionnement, 160 m3/s d’eau de refroidissement prélevés sur le canal du Rhône dont le débit moyen est de 1 000 m3/s. Plus en amont, à Bugey, l’utilisation est de 80 m3/s pour un débit moyen du fleuve de 300 m3/s.

Les centrales en circuit fermé
Dans le cas d’une centrale où le condenseur est en circuit fermé, la source froide est l’air ambiant et non plus la mer ou le cours d’eau. L’eau tiède sortie du condenseur est dirigée vers une tour de forme particulière pour créer un effet de cheminée (effet Venturi). Celui-ci crée un immense courant d’air de bas en haut. Ces centrales se reconnaissent par la présence d’imposantes tours aéroréfrigérantes. À noter que l’on identifie souvent ces tours comme caractéristiques des centrales nucléaires, alors qu’elles ne témoignent que de l’existence d’un circuit fermé, circuit qui peut être présent dans une centrale à charbon ou à gaz, et plus généralement, toute installation industrielle ayant besoin d’un refroidissement important.

L’eau de refroidissement est dispersée en très fines gouttelettes au-dessus des entrées d’air. Ces gouttelettes d’eau tiède vont s’évaporer superficiellement en refroidissant le reste de la goutte d’eau, refroidissement complété par un processus d’échange de chaleur entre les gouttes et l’air. Cette eau, qui est alors à la température de l’air ambiant, retombe dans un réservoir et repart vers le condenseur. Nous avons ainsi un troisième circuit fermé.

Il n’y a donc pas d’échauffement de l’eau du cours d’eau, (sauf par les purges, voir encadré) mais une production de vapeur d’eau à la partie supérieure de la tour qui rejoint le grand cycle de l’eau.

Il faut alors compenser le débit évaporé en puisant dans le cours d’eau. Ce débit est de l’ordre de 0,6 à 0,7 m3/s pour une unité de 900 MW à sa puissance maximale et de 1,5 m3/s pour une unité de 1 500 MW.

Références


1 | Siges Bretagne, « Le cycle de l’eau », site Internet, rubrique « Hydrogéologie ».
2 | Office français de la biodiversité, « Le petit cycle de l’eau », site Internet, rubrique « Biodiversité ».
3 | Centre d’information sur l’eau, « Qui prélève et consomme l’eau en France ? », site Internet, rubrique « Le service de l’eau ». Sur cieau.com
4 | EDF, « Centrales nucléaires et environnement : prélèvements d’eau et rejets », guide, 2020.

Les purges du circuit de refroidissement dans les cycles fermés


Cette eau de condensation contient au départ la même concentration en sels minéraux que l’eau du cours d’eau. Elle les concentre progressivement si rien n’est fait. On effectue donc une purge permanente de la partie refroidie qui est rejetée vers le cours d’eau et compensée par un prélèvement en quantité égale. Le débit de purge est de l’ordre de 3 m3/s pour une unité de 900 MW mais elle ne perturbe en rien le débit du cours d’eau. En revanche cette purge est à la température de l’air et elle affecte donc modérément la température du cours d’eau (on peut si nécessaire installer un refroidisseur de purges) ; elle doit alors respecter les autorisations.

Une erreur de communication du ministère de la Transition écologique sur la consommation d’eau des centrales nucléaires


Les chiffres de la consommation d’eau des centrales nucléaires (notamment l’eau évaporée non rejetée dans les cours d’eau) ont fait l’objet en mars 2023 d’une controverse médiatique alors que le Parlement discutait d’un projet de loi visant à accélérer le développement du nucléaire en France. Ainsi, une représentante d’EELV y affirmait que « près d’un tiers de l’eau consommée sert au refroidissement des centrales nucléaires » [1] ; ce refroidissement était alors décrit comme le deuxième consommateur d’eau en France (31 %), derrière l’agriculture (45 %) et devant l’eau potable (21 %) [2]. Elle s’appuyait sur une communication du ministère de la Transition écologique de 2021 qui évaluait cette évaporation à 1,6 milliards de m3 par an [3].

Fin mars 2023, peu avant la communication du « Plan Eau » du gouvernement, le ministère est cependant revenu sur ce bilan avec de nouveaux chiffres, indiquant désormais que les centrales nucléaires ne consommaient plus que 0,5 milliards de m3 d’eau par an (trois fois moins), soit 12 % du total, à la troisième place derrière l’agriculture (57 %) et l’eau potable (26 %) [4]. Comment expliquer une telle évolution ? Certaines voix, minoritaires, ont voulu y voir une manipulation politique (voir par exemple les commentaires de certains internautes [5]). Mais comme le dit un dicton de la sphère sceptique : « Il ne faut jamais attribuer à la malveillance ce que l’incompétence suffit à expliquer... »

La consommation d’eau par les centrales nucléaires fait l’objet d’une communication transparente et complète depuis plusieurs années. Le rapport d’information du Sénat de 2022 [6] ou le rapport d’EDF de 2020 sur les prélèvements d’eau et rejets [7] expliquaient déjà de façon détaillée que seuls les réacteurs en cycle fermé consomment de l’eau, à hauteur de 2,5 L/kWh produits, soit environ 0,7 m3/s pour un réacteur de 900 MWe. Ces éléments permettent de retrouver, en considérant le facteur de charge moyen des réacteurs (75 %) et le nombre de réacteurs en cycle fermé, la valeur de 0,5 milliards de m3 d’eau par an.

Le chiffre précédent était ainsi dû à une erreur, comme l’a reconnu le ministère [4]. Béatrice Sédillot, cheffe du Service des données et études statistiques du ministère, le précise à l’AFP [5] : « Nous nous sommes réinterrogés sur les hypothèses assez fragiles » sur lesquelles reposaient les estimations précédentes. Elle ajoute : « Des pourcentages généraux avaient été appliqués aux volumes colossaux prélevés par toutes les centrales aux bords des cours d’eau afin d’estimer la partie consommée et non pas restituée. »

Tout le monde peut se tromper. Mais il faut souligner que c’est une démarche saine et vertueuse, et notamment un des éléments clefs de la démarche scientifique, que de savoir reconnaître, et surtout corriger ses erreurs.

Références
1 | Tweet de Marine Tondelier, 7 mars 2023. Sur twitter.com
2 | Mouterde P, « La consommation d’eau des centrales nucléaires françaises en débat », Le Monde, mars 2023.
3 | “Water resources and use”, fact sheet, Environmental Performance Review, 2021. Sur statistiques.developpement-durable.gouv.fr
4 | Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, « L’eau en France : ressources et utilisations », synthèse des connaissances, mars 2022. Sur statistiques.developpement-durable.gouv.fr
5 | Agence France-Presse, « La consommation d’eau des centrales nucléaires divisée par trois dans une nouvelle estimation de l’exécutif », Le monde de l’énergie, mars 2023. Sur lemondedelenergie.com
6 | « Éviter la panne sèche : huit questions sur l’avenir de l’eau », Rapport d’information du Sénat n° 142, novembre 2022.
7 | Hartmann P, Centrales nucléaires et environnement : prélèvements d’eau et rejets, coédition EDF/EDP Sciences, 2020. Sur edf.fr

1 Les centrales au charbon ont des températures de vapeur de l’ordre de 550 °C et des rendements de 50 %.