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Ressemblances troublantes

Publié en ligne le 24 août 2023
Ressemblances troublantes
Irma Bernard
L’Harmattan, 2023, 225 pages, 21 €

« Après avoir acquis une certaine expérience de la vie dans la réalité, Irma Bernard mène une vie libre au pays de la fiction » : rien d’autre pour présenter l’auteure sur la couverture du livre, qui d’ailleurs se présente comme un roman où elle-même se met en scène. Le récit suit le cours d’une sombre affaire de plagiat qui n’a rien d’un long fleuve tranquille. Elle se déroule entre l’université de Hallenburg située en Merkanie et l’université du Gai Savoir dans la capitale de la Fanfanie. Le lecteur comprend d’entrée de jeu qu’il a affaire à une forme de conte philosophique, où les noms des lieux et des personnages sont distribués avec humour et fantaisie, tout en laissant entrevoir à quoi ils correspondent dans la réalité. Cette forme de fiction littéraire, inspirée du 18e siècle et du Candide de Voltaire, a-t-elle été choisie par l’auteure – dont nous ignorerons l’identité – pour échapper à des tracasseries, voire des ennuis sérieux ? Nous ne le saurons pas, mais il est clair que le récit transcrit une histoire « vraie » dont les tortueux rebondissements mettent en cause le système universitaire de la Fanfanie, rapidement identifiable à notre cher pays, la France.

Dans ce livre écrit à la première personne Irma est enseignante en Merkanie, habituée des bibliothèques où les chercheurs en littérature se plongent dans des archives. Revenant sur des travaux anciens pour consolider ses sources, elle tombe un jour par hasard sur des formulations qui lui paraissent particulièrement réussies, puis curieusement familières ; elle est troublée, le doute s’insinue et bientôt la certitude s’impose : c’est elle qui les a écrites ! Elle repère une quarantaine de passages « copiés-collés », elle a été plagiée par Iphicrate, un éminent professeur du Gai Savoir ! Que faire alors ? Tous ses collègues sans exception lui déconseillent de porter plainte devant une commission universitaire en Fanfanie, compte tenu de l’omerta malheureusement en vigueur dans les institutions de ce pays (ce n’est pas tout à fait comme en Merkanie, où les ministres convaincus de plagiat perdent leur poste).

Irma, non sans hésitation, se lance alors dans une action en justice. Elle apprend l’art subtil de l’euphémisme pour s’éviter les accusations de diffamation : le plagiat s’appelle « ressemblances troublantes », tandis que le plagiaire n’est qu’un « collègue indélicat ». Elle comprend la véritable portée de l’adage « les idées sont de libre parcours » et doit méditer sur les subtilités de la protection du droit d’auteur. Il lui faut travailler à démêler le vrai de l’apparence du vrai et assumer sans aide les frais de justice. Les procédures judiciaires dureront près de dix ans, du procès en première instance au procès en appel, qui tous deux confirmeront Irma comme la victime d’une contrefaçon – la seule façon de qualifier un plagiat pour le droit. La Cour de cassation, saisie au final par le collègue plagiaire furieux mais pas résigné, ne reviendra pas sur les précédentes décisions du droit, les estimant parfaitement jugées et rejugées.

L’ambition narrative d’I. Bernard n’est pas usurpée, son style faussement naïf est très vivant. Le roman est habilement dosé de suspense à répétition : il enchaîne l’angoisse, le doute, l’attente, l’indignation, la panique et finalement la joie d’avoir gain de cause au bout des procès. Le lecteur ressent une forte empathie pour l’héroïne, méprisée par toute sa hiérarchie masculine à la fois en tant que collaboratrice peu gradée et aussi en tant que femme. Le livre se lit avec un amusement désenchanté devant l’état du monde – universitaire mais pas seulement –, qui rappelle celui qui imprègne La Vie mode d’emploi de Georges Pérec, « qui a déjà tout dit » comme le note Irma, se gardant bien toutefois de le plagier…

L’auteure de la présente recension ne peut que faire le rapprochement entre cette fiction littéraire et l’affaire judiciaire qu’elle avait décrite en 2018 1. Elle y avait suggéré que le plagiaire aurait pu au moins recevoir un blâme de son université. La fin de l’histoire dévoilée dans le présent roman confirme hélas que le plagiaire, s’il a perdu en justice, s’en est tiré avec tous les honneurs devant ses pairs.

1 Leduc M, « Un plagiat universitaire en littérature : Arrêt de la cour d’appel de Paris, avril 2018 », Raison présente, 2018, 207 :93-8, https://www.cairn.info/revue-raison-presente-2018-3-page-93.htm.