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Hiérarchisation des peurs et priorisation des enjeux

Publié en ligne le 17 janvier 2024 - Science et décision -
Éditorial de Science et pseudo-sciences n°347 (janvier 2024)
Hiérarchisation des peurs et priorisation des enjeux

Les politiques publiques se doivent d’effectuer des choix et l’opinion publique, en démocratie, joue un rôle déterminant dans la sélection des priorités. Mais a-t-elle une perception des risques cohérente avec l’état des connaissances scientifiques disponibles ? Une récente enquête d’opinion [1] apporte un éclairage contrasté sur ce sujet. Ainsi, si le réchauffement climatique apparaît bien comme un sujet de préoccupation majeur (en seconde position derrière le pouvoir d’achat), on constate par exemple, quand on entre dans les détails de l’enquête, que l’accident nucléaire de Fukushima en 2011 (aucun décès par radiation) apparaît à peine moins « effrayant » que l’épidémie de Covid-19 qui a pourtant provoqué la mort de près de sept millions de personnes selon l’OMS (dont 160 000 en France).

Nombreux sont les cas où les statistiques apparaissent comme des chiffres sans relief face aux ressentis et aux peurs. L’analyse s’efface derrière l’émotion : « Face à une question ardue, nous penchons souvent pour une réponse à une question facile, généralement sans prendre conscience de la substitution » [2]. Les enjeux de l’alimentation et de l’agriculture se cristallisent ainsi sur la question du glyphosate, érigé en totem sur le sujet. La question du nucléaire, pourtant source avérée d’électricité décarbonée, focalise les débats dans un monde où 80 % de l’énergie reste d’origine fossile (46 % en France). La science est souvent oubliée au profit de préjugés ou de conceptions erronées, et quiconque affirme qu’un risque est exagéré est soupçonné de collusion avec un lobby. Ces perceptions biaisées où risques et peurs ne sont pas en phase influencent les choix et les priorités de la décision publique [3].

Une autre étude (voir les détails dans ce numéro de SPS) s’est intéressée à la manière dont les citoyens s’informent sur les questions de santé et les conséquences en termes de croyance et de comportement (vaccination, pseudo-médecines, etc.) [4]. Elle conclut que les personnes qui ont davantage recours aux réseaux sociaux « présentent en moyenne un plus faible niveau de connaissances en santé que les autres ». Corrélativement, ces personnes adhèrent plus facilement à des pratiques alternatives pseudo-médicales et sont plus sensibles aux « théories du complot », et ce, quels que soient l’âge, le niveau de diplôme, le statut professionnel ou l’orientation politique. Elles sont en outre plus méfiantes envers la science et les communautés médicale et scientifique. Par ailleurs, « les personnes faisant preuve d’un style de pensée plus analytique […] possèdent globalement de meilleures connaissances en santé », confirmant ainsi des résultats connus en psychologie cognitive « montrant qu’un esprit analytique confère une certaine protection face aux infox (“fake news”) ».

Ce que la psychologie cognitive désigne par « pensée analytique » est la propension à s’engager dans un traitement contrôlé de l’information afin d’atténuer ses propres préjugés et établir une compréhension fiable des faits. L’école est un lieu privilégié pour développer ce type de pensée. Le récent classement de la France dans l’enquête Pisa de l’OCDE visant à évaluer les compétences et les connaissances des élèves de 15 ans dans les domaines de la lecture, des mathématiques et des sciences, n’est pas de nature à rassurer.

La promotion de l’esprit critique reste essentielle pour permettre une meilleure hiérarchisation des priorités dans l’espace public, ce à quoi se consacrent l’Afis et la revue Science et pseudo-sciences.

Science et pseudo-sciences
Références


1 | « La perception des risques et de la sécurité par les Français », Baromètre 2023, IRSN. Sur baromètre.irsn.fr
2 | Kahneman D, Système 1, Système 2 : les deux vitesses de la pensée, Flammarion, 2013.
3 | Kuran T, Sunstein CR, “Availability Cascades and Risk Regulation”, Stanford Law Review, 1999, 51 :683-768.
4 | Cordonier L, « Information et santé », Étude de la Fondation Descartes, 2023. Sur fondationdescartes.org