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DuPont et 3M ont caché des informations en leur possession sur les risques sanitaires de leurs produits

Publié en ligne le 22 janvier 2024 - Santé et médicament -

Les substances perfluoroalkylées (PFA) forment une grande famille de plusieurs milliers de composés chimiques synthétiques couramment utilisés depuis les années 1950 pour leurs propriétés antiadhésives, imperméabilisantes et de résistance aux fortes températures. On les retrouve dans divers domaines industriels et produits de consommation courante : textiles, emballages alimentaires, mousses anti-incendie, revêtements antiadhésifs utilisés notamment dans certaines poêles, cosmétiques, produits phytosanitaires, etc. Les PFA sont extrêmement stables et ne se dégradent pas après utilisation. Ils s’accumulent donc dans l’environnement et dans les aliments.

Des chercheurs de l’université de Californie à San Francisco viennent de publier les résultats d’une étude [1] montrant que les entreprises DuPont et 3M ont caché des informations en leur possession sur les risques sanitaires posés par les PFA. Ils mettent en évidence un retard dans la communication au public et aux autorités réglementaires de la toxicité des PFA et des dommages causés par l’exposition à ces molécules.

Les chercheurs ont analysé des documents présents dans la Chemical Industry Documents Library (CIDL). Cette archive numérique est hébergée par l’université de Californie à San Francisco. Créée à l’origine en 2002 pour archiver les millions de documents divulgués publiquement dans le cadre de procès contre l’industrie du tabac dans les années 1990, la bibliothèque s’est agrandie pour inclure des documents des industries pharmaceutique, chimique, alimentaire et des combustibles fossiles. Son but est de préserver le libre accès à ces informations et soutenir la recherche sur les activités du secteur privé qui affectent la santé des populations.

L’étude a été réalisée à partir de 39 documents datant de 1961 à 2006, qui ont été identifiés, lus en totalité et analysés. Ces documents proviennent du litige qui a opposé à partir de 2001 DuPont et Robert Bilott, l’avocat qui a le premier poursuivi avec succès l’entreprise au sujet des PFA [2] (le film Dark Waters, réalisé par Todd Haines et sorti en 2019, retrace également cette affaire).

Cette collection de documents montre que DuPont et 3M ont partagé des études toxicologiques et savaient dès 1970 que le C8 (acide perfluorooctanoïque, un des PFA les plus largement utilisés par l’industrie) était « très toxique » par inhalation et « modérément toxique » par ingestion. Ces informations n’ont pas été partagées avec les agences de santé publique qui n’ont découvert qu’à partir de 1991 l’impact des PFA sur la santé humaine.

Modélisation 3D d’une molécule d’acide perfluorooctanoïque

Les documents analysés fournissent également un aperçu sur la manière dont l’entreprise a géré les inquiétudes de ses employés avant de rendre publiques ses préoccupations en matière de toxicité. En 1981, DuPont avait décidé d’éviter toute exposition potentielle au C8 à ses employées en âge de procréer. Cette même année, l’entreprise a appris que certaines employées enceintes avaient fait des fausses couches, tandis que d’autres avaient donné naissance à des enfants nés avec les mêmes malformations congénitales que celles trouvées auparavant chez les animaux. Les malformations congénitales attribuables aux PFA ont été signalées pour la première fois dans la littérature médicale plus de trente ans après que l’industrie les a découvertes [3]. Dès 1994, les rapports internes de DuPont indiquent que l’entreprise devrait « évaluer le remplacement du C8 par d’autres matériaux moins toxiques ».

Les chercheurs ont montré que l’attitude de DuPont et 3M a été plus orientée par la production de silence que par la fabrication du doute. La principale stratégie utilisée était la suppression des recherches défavorables, une catégorie dans laquelle les auteurs rangent la non-publication des preuves de la dangerosité des PFA.

Il convient de noter que la portée de cette étude est limitée par le petit nombre de documents disponibles pour l’analyse. Cependant, comme elle porte sur des tactiques et stratégies industrielles plutôt que sur des données quantitatives, les auteurs postulent que leurs résultats resteront valables à mesure que de nouveaux documents émergeront. Ils concluent que dans l’intérêt de la santé publique, les entreprises devraient être tenues aux mêmes normes de partage de données et de science ouverte que celles qui sont de plus en plus adoptées par les scientifiques employés par des instituts de recherche publique.

Références


1 | Gaber N et al., “The Devil they Knew : Chemical Documents Analysis of Industry Influence on PFAS Science”, Annals of Global Health, 2023, 89 :1-17.
2 | Bilott R, Exposure : Poisoned water, corporate greed, and one lawyer’s twenty-year battle against DuPont, Atria Books, 2020.
3 | Lau C et al., “Exposure to perfluorooctane sulfonate during pregnancy in rat and mouse. II : postnatal evaluation”, Toxicological Sciences, 2003, 74 :382-92.


Publié dans le n° 346 de la revue


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L' auteur

Laurent B. Fay

Laurent B. Fay est biochimiste et ancien responsable R&D d’une entreprise de l’industrie agroalimentaire.

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