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Changement climatique : « Nous ne sommes pas assez préparés au pire » alertent des scientifiques

Publié en ligne le 4 mars 2023 - Climat -

Le changement climatique anthropique (lié aux activités humaines) pourrait-il entraîner un effondrement de la société mondiale ou même une éventuelle extinction de l’humanité ? Dans un article récent (2 août 2022 [1]), une équipe pluridisciplinaire de chercheurs spécialistes du climat et de la gestion des risques alerte sur le manque de travaux de recherche consacrés à l’exploration des conséquences potentiellement catastrophiques du changement climatique. Il existe en effet de nombreuses raisons de craindre que le changement climatique puisse conduire à une catastrophe apocalyptique. L’analyse de ce scénario du pire permettrait de mieux s’y préparer.

En effet, malgré trente ans d’efforts et quelques progrès sous l’égide de la CNUCC, Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, les émissions anthropiques de gaz à effet de serre continuent à augmenter. La trajectoire actuelle des températures s’oriente sur une hausse comprise entre 2,1 et 3,9 °C en 2100. La présente étude suggère qu’on ne prête pas suffisamment attention aux impacts potentiels d’un réchauffement de 3 °C ou plus. Ses auteurs ont calculé que les zones de chaleur extrême – avec une température moyenne annuelle supérieure à 29 °C – pourraient concerner deux milliards de personnes d’ici à 2070. Or la recherche s’est focalisée sur les conséquences d’une augmentation des températures de 1,5 °C et 2,0 °C, et les études sur la répercussion ou le déclenchement de crises importantes liées au changement climatique sont rares. Ainsi, selon les auteurs, une évaluation approfondie des risques devrait tenir compte de la manière dont ils se propagent, interagissent, s’amplifient et sont aggravés par les réponses humaines. Comme le souligne le Giec, les risques climatiques deviennent de plus en plus complexes et difficiles à gérer, et se répercutent en cascade [2].

Les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse, Viktor Vasnetsov (1848-1926)

L’étude des points de basculement potentiels et des changements irréversibles des systèmes écologiques et climatiques est essentielle. L’avancement des recherches sur ces points de basculement – comme la fonte irréversible des calottes glaciaires ou la perte de la forêt amazonienne liée à sa surexploitation – rendent nécessaire la prise en compte des scénarios à haut risque dans la modélisation du climat. De plus, il existe des scénarios encore plus incertains qui, dans le pire des cas, pourraient s’amplifier jusqu’à une transition irréversible. Par exemple, certaines simulations récentes suggèrent que les couches nuageuses de stratocumulus pourraient disparaître à des concentrations de dioxyde de carbone (CO2) qui pourraient être atteintes d’ici la fin du siècle, provoquant alors un réchauffement supplémentaire d’environ 8 °C. Avec une augmentation de 6 °C à 9 °C de la température mondiale, une perte lente mais irréversible de la calotte glaciaire de l’Antarctique de l’Est et une élévation consécutive de plus de 40 m du niveau de la mer pourraient se produire. Par ailleurs, certains phénomènes sont absents des études de modélisation comme la disparition du pergélisol 1.

Enfin, les chercheurs insistent sur le fait qu’il existe de nombreux contributeurs potentiels à la morbidité et à la mortalité induites par le climat. Parmi ceux-ci, les « quatre cavaliers de l’apocalypse climatique » que sont la famine, les événements météorologiques extrêmes, les conflits et les maladies à transmission vectorielle. Ceux-ci seront de plus aggravés par les risques dus à la pollution de l’air et à l’élévation du niveau de la mer. Tous ces facteurs nécessitent des études plus approfondies. Les chercheurs recommandent donc un programme de recherche centré sur quatre volets clés :

  • comprendre la dynamique et les impacts des changements climatiques extrêmes à long terme,
  • explorer les voies déclenchées par le climat vers la morbidité de masse et la mortalité,
  • enquêter sur la fragilité sociale : vulnérabilités, risques, et réponses aux risques,
  • synthétiser les résultats de ces recherches dans des évaluations des risques intégrant toutes ces catastrophes.

Les auteurs de l’étude concluent sur l’importance de la compréhension des risques extrêmes qui nécessite d’explorer non seulement des scénarios de température plus élevée, mais aussi la possibilité que le changement climatique, par des réactions en chaîne, conduise à des catastrophes menant à un effondrement sociétal mondial, voire à une éventuelle extinction de l’espèce humaine (“worldwide societal collapse or even eventual human extinction”). D’après les auteurs, « faire face à l’accélération du changement climatique tout en étant aveugle aux pires scénarios est au mieux une gestion des risques naïve et au pire une folie fatale ».

Rubrique coordonnée par Kévin Moris
Références


1 | Kemp L et al., “Climate endgame : Exploring catastrophic climate change scenarios”, PNAS, 2022, 119 :e2108146119.
2 | Intergovernmental Panel on Climate Change “Climate change 2022 : Impacts, adaptation, and vulnerability”, Working group II of the 6th assessment report, 2022. Sur ipcc.ch

1 Le pergélisol est un sous-sol gelé en permanence dont la température n’excède pas 0 °C. Le pergélisol est présent sur un cinquième de la surface du globe, notamment au Groenland, en Alaska, au Canada et en Russie.