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La science des balivernes

Publié en ligne le 29 août 2021
La science des balivernes
Thomas C. Durand

Humen sciences, 2021, 288 pages, 19 €

Quel titre évocateur pour ce nouvel ouvrage de Thomas C. Durand, cofondateur de la chaîne YouTube La Tronche en biais ! Car des balivernes, il en circule beaucoup autour de nous, dans les médias, les réseaux sociaux, parfois même dans notre entourage proche. Mais l’auteur ne se livre pas uniquement à un simple constat, il entend procurer à ses lecteurs les armes pour lui permettre d’identifier et combattre toutes ces fariboles. L’identification, il l’exprime par un simple acronyme : NARA ou les quatre principes de la baliverne, titre de son premier chapitre, qui pose ainsi les fondements de sa démonstration. NARA : principe narratif, principe d’attraction, principe de résilience, principe d’asymétrie ; quatre principes que l’auteur explicite par la suite.

T. C. Durand revient également sur quelques exemples fameux dont le récent épisode du professeur Raoult n’est pas le moindre. À ce propos, le lecteur est d’ailleurs amené à une réflexion salutairement inquiétante. Puisque, statistiquement, tous les devins et autres astrologues ne se trompent pas tout le temps, imaginez que le docteur Raoult ait eu raison, quelle magnifique tribune pour les gourous auto-proclamés de toute sorte !

Puis l’auteur attire notre attention sur la faillibilité de nos perceptions. « Nous aimons comprendre », c’est pourquoi nous cherchons à donner une signification à tout, même là où il n’y a aucun sens particulier à chercher. Nous sommes également victimes d’hallucinations : « Songez aux illusions d’optique… » Ceci est dû au fonctionnement de notre cerveau qui construit une part de la réalité à partir de ce qu’il en perçoit. Ainsi, vous « voyez » ce qui est derrière vous car vous savez que cela existe : « Une tête de sanglier dans les fourrés indique à coup sûr que le reste du corps s’y trouve également. » Cette rapidité de réaction de compréhension de l’environnement immédiat fut une aide indispensable à la survie de notre espèce.

Le chapitre 4 nous rappelle que tout se passe comme si le monde qui nous entoure n’existait qu’à travers nos perceptions. Dans ce contexte, nous cherchons souvent à voir des liens qui n’existent pas nécessairement, comme « l’idée répandue que les personnes souffrant d’arthrite rhumatoïde peuvent sentir les changements de temps car les conditions atmosphériques affecteraient leurs douleurs », hypothèse qui a été réfutée 1.

L’auteur nous explique également ce qu’est une preuve. Ainsi : « On ne peut prouver un énoncé qu’à condition qu’il soit réfutable. C’est précisément le rôle d’une preuve, non pas de prouver, mais de réfuter. » Un très long chapitre permettra de recenser les différents biais cognitifs (comme le biais d’exposition, les faux souvenirs, le biais de soutien de choix). Mais surtout n’allez pas croire que les connaître suffirait à s’en affranchir. Au contraire, ainsi avertis, nous devrions redoubler de vigilance pour nous éviter les pièges de « l’aisance cognitive » : « Une proposition nous semble d’autant plus crédible que nous pouvons la penser, la concevoir et l’énoncer facilement. » Et nous entretenons bien d’autres illusions comme celle « d’être uniques et plus singuliers que les autres », ce qui explique le succès des astrologues, voyants et autres devins.

Le chapitre « Balivernes chez les scientifiques » nous rappelle l’incroyable histoire des rayons N au début du siècle dernier, de leur soi-disant découverte par le physicien René Blondlot (1849-1930), jusqu’à leur mise au rebut. Cette histoire est instructive en ce sens qu’elle nous rappelle que même des scientifiques de renom peuvent être abusés lorsqu’ils oublient de mettre en pratique la méthode scientifique, seule à même d’identifier et de corriger ces erreurs.

T. C. Durand nous donne également quelques conseils pour mener à bien un « débat d’idées » car nous oublions trop souvent que certaines affirmations parfaitement rationnelles peuvent être perçues comme violentes de la part de personnes qui ont souvent beaucoup investi dans leurs croyances, ne serait-ce qu’en terme de temps, ils ne seront donc pas facilement prêts à lâcher prise. Mais selon l’auteur, si nous appliquions un certain nombre de préceptes (comme ne pas confondre l’idée avec la personne, ne pas hésiter à se mettre à la place de son interlocuteur pour comprendre ses raisons, ou encore ne pas verser inutilement dans l’exagération), nous pourrions éviter beaucoup d’écueils.

Un livre particulièrement intéressant : au-delà de la simple dénonciation des balivernes de toute sorte, il appelle les défenseurs de la raison à une certaine modestie, qualité indispensable pour faire progresser la rationalité.

1 Redelmeier DA, Tversky A, “On the belief that arthritis pain is related to the weather”, PNAS, 1996, 93:2895-6.

Publié dans le n° 338 de la revue


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Auteur de la note

Thierry Charpentier

Ancien ingénieur système en informatique, spécialisé (…)

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