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Hydroxychloroquine : prescrire un médicament hors AMM en temps de crise ?

Publié en ligne le 9 février 2024 - Santé et médicament -

Dès le début de l’épidémie de Covid-19, l’hydroxychloroquine a été au centre d’un débat sur les pistes thérapeutiques à explorer pour traiter cette maladie. Son indication thérapeutique a évolué de semaine en semaine, voire de jour en jour, au fil des différents arrêtés, études, ou recours soumis. Après presque trois ans, pas facile de se souvenir comment tout a commencé, alors remettons un peu de contexte…

L’hydroxychloroquine est une molécule commercialisée sous la dénomination de Plaquenil par le laboratoire Sanofi. Son autorisation de mise sur le marché (AMM) qui date de 2004 mentionne les indications thérapeutiques suivantes [1] : le traitement symptomatique d’action lente de la polyarthrite rhumatoïde, le lupus érythémateux discoïde, le lupus érythémateux subaigu, le traitement d’appoint ou prévention des rechutes des lupus systémiques et la prévention des lucites.

L’hydroxychloroquine est donc indiquée principalement pour son activité anti-inflammatoire et immunomodulatrice. Inscrite depuis le 13 janvier 2020 sur la liste II des substances vénéneuses [2], sa délivrance est soumise à la prescription d’un médecin. Cette inscription a été dénoncée plus tard par les promoteurs de l’hydroxychloroquine dans la lutte contre la Covid-19 comme une preuve de la volonté du gouvernement d’interdire l’usage de cette molécule. En réalité, elle fait suite à une demande de Sanofi faite en 2018 [3] suite à l’identification d’effets indésirables, notamment de risques cardiaques. Cette cardiotoxicité jouera un grand rôle dans l’évaluation de la balance bénéfice/risque de l’hydroxychloroquine comme traitement potentiel de la Covid-19.

Un traitement prometteur

Revenons maintenant sur la chronologie de l’utilisation de l’hydroxychloroquine dans ce contexte. Fin décembre 2019, les médias rapportent des cas d’une maladie respiratoire apparue en Chine. Le rythme des nouvelles s’accélère début 2020 : premier cas hors Chine, premier cas en Europe, gros cluster en Italie, premier cas en France, puis premier mort en France, à Crépy-en-Valois, le 24 février 2020. À cette période, la panique n’a pas encore gagné l’opinion publique (la décision du premier confinement se fera le 16 mars 2020).

Alors que la préoccupation monte, le 25 février 2020, le Pr Didier Raoult, responsable de l’IHU (Institut hospitalo-universitaire – Méditerranée Infection) annonce dans une vidéo YouTube intitulée « Coronavirus, fin de partie » (plus tard renommée « Coronavirus, vers une sortie de crise ? ») que la Covid-19 est « l’infection respiratoire la plus facile à traiter de tous les temps ». Il appuie ses affirmations sur une courte lettre d’une page publiée une semaine auparavant par trois chercheurs chinois [4]. Cette lettre indique que la chloroquine (et non l’hydroxychloroquine) est un traitement potentiel pour la Covid-19 en s’appuyant principalement sur deux éléments :

  1. la transcription d’une conférence de presse tenue en Chine le 15 février 2020 rapportant les résultats préliminaires d’essais cliniques en cours et
  2. un article montrant l’efficacité in vitro de la chloroquine et du remdesivir [5], un antiviral commercialisé par la société Gilead.

Nous sommes alors loin d’une preuve d’efficacité. Notamment, l’étude in vitro a été menée sur des cellules de rein de singe qui ne présentent pas le récepteur par lequel le virus responsable de la Covid-19 rentre dans les cellules humaines. D. Raoult va cependant définir un protocole afin de tester l’efficacité du traitement : l’hydroxychloroquine visant à diminuer la charge virale est associée à un antibiotique (l’azithromycine) afin de limiter le risque de surinfection pulmonaire. Un essai clinique est mis en place à la demande du ministre de la Santé, Olivier Véran [6].

Le 11 mars 2020, l’OMS déclare que la Covid-19 est une pandémie. Le 16 mars 2020, D. Raoult présente dans une vidéo YouTube [7] les résultats, positifs selon lui, de son essai clinique conduit sur 36 patients. Le 17 mars 2020, c’est le confinement. La population est donc prise dans une tension avec, d’un côté, une pandémie anxiogène ayant un impact fort sur la santé et la vie sociale, et de l’autre, un médicament pas cher et efficace présenté comme permettant la guérison. Le dilemme est le suivant : si ce médicament fonctionne de façon aussi spectaculaire, alors il n’y a pas lieu de s’inquiéter. La Covid-19 n’est qu’une « grippette » (expression utilisée par D. Raoult) et il n’y a pas besoin de confiner. Il suffit de prescrire la bithérapie hydroxychloroquine + azithromycine à grande échelle et la vie peut reprendre son cours.

L’étude de D. Raoult est prépubliée le 20 mars 2020 puis paraît, deux jours plus tard, dans une revue à comité de lecture [8]. Pour la communauté scientifique, c’est la consternation : l’article est méthodologiquement catastrophique [9] et ses conditions de publication laissent à penser que le processus de relecture par les pairs n’a pas été rigoureux. Et rien dans l’article ne permet de conclure à l’efficacité de la bithérapie [10]. Mais pour D. Raoult, cet article est la preuve que son traitement fonctionne et qu’il convient de le généraliser à l’ensemble de la population.

L’Alchimiste (détail), David Teniers le Jeune (1610-1690)

À partir de ce moment, et bien que l’étude en question ait été commandée par le ministre de la Santé, les tenants de l’hydroxychloroquine, et par extension, les soutiens de D. Raoult, commencent à se fédérer plus ou moins franchement et plus ou moins consciemment dans une opposition au gouvernement. Il y aurait d’un côté un grand scientifique marseillais concepteur d’un traitement efficace et, de l’autre, un gouvernement qui imposerait des mesures coercitives à sa population en ignorant la solution proposée. Concomitamment, le 21 mars 2020, le président des États-Unis Donald Trump commence à promouvoir l’hydroxychloroquine dans une série de tweets et de conférences de presse [11].

La construction d’un récit complotiste

Fin mars 2020, la situation autour de l’hydroxychloroquine est particulière. Les médecins ont, comme pour tout médicament, toute latitude pour prescrire hors AMM le Plaquenil. Une telle prescription doit cependant, pour être valide, répondre à plusieurs critères, en particulier être jugée indispensable au regard des données acquises de la science (voir l’article « Les prescriptions hors autorisation de mise sur le marché » dans ce dossier de Science et pseudo-sciences).

À ce moment-là, la littérature est trop pauvre pour qu’une agence sanitaire ou une société savante n’émette une recommandation en faveur de l’usage de l’hydroxychloroquine. Néanmoins, le gouvernement décide d’autoriser ce produit contre la Covid-19 par un décret daté du 23 mars 2020 [12]. Cette autorisation est réservée aux établissements de santé qui prennent en charge les patients atteints de Covid-19, interdisant de fait aux pharmaciens de ville de délivrer l’hydroxychloroquine si l’ordonnance n’émane pas exclusivement de spécialistes en rhumatologie, médecine interne, dermatologie, néphrologie, neurologie ou pédiatrie dans le cadre d’une primo-prescription pour l’indication de l’AMM, ou de tout médecin dans le cadre d’un renouvellement d’ordonnance pour l’indication de l’AMM également. Concrètement, les médecins généralistes peuvent prescrire de l’hydroxychloroquine pour les patients atteints de Covid-19, mais les pharmaciens ne peuvent pas honorer ces ordonnances. La volonté du gouvernement ici est clairement de garder la maîtrise de ses stocks de Plaquenil et d’éviter les prescriptions massives pour la Covid-19 [13].

D. Raoult et ses supporters clament que la littérature scientifique prouve l’efficacité de la bithérapie hydroxychloroquine + azithromycine. Ce n’est pas le cas, mais pour une partie de la population, il est incompréhensible que les autorités ne recommandent pas l’utilisation à grande échelle de cette bithérapie marseillaise (ils l’autorisent seulement, sous certaines conditions assez strictes).

L’Alchimiste a des ennuis, anonyme, école hollandaise du XVIIes.

La controverse s’envenime. La rhétorique de « médecine de guerre » est invoquée [14] et plusieurs scientifiques deviennent la cible d’attaques sur les réseaux sociaux. Karine Lacombe, infectiologue à l’hôpital Saint-Antoine à Paris va cristalliser une grande part des attaques suite à cette déclaration sur France 2 (23 mars 2020) : « Sur la base d’un essai qui est absolument contestable sur le plan scientifique et qui ne montre absolument rien quand on regarde exactement les chiffres et la façon dont il a été mené, on expose les gens à un faux espoir de guérison. Utiliser un médicament comme ça, hors AMM, c’est-à-dire hors autorisation de mise sur le marché, en exposant les personnes qui le prennent à des complications, sans avoir vérifié les conditions de base de la chloroquine, je pense que c’est en dehors de toute démarche éthique. Même si ce médicament peut potentiellement avoir une activité, ce qui a été montré sur des données in vitro. On ne peut pas comme ça maintenant le donner à n’importe qui dans n’importe quelles conditions. Je pense que c’est extrêmement dangereux » [15]. K. Lacombe ayant reçu des fonds de Gilead, fabricant du remdesivir, pour des recherches sur le VIH ou l’hépatite C, elle est immédiatement accusée de dénigrer l’hydroxychloroquine pour promouvoir le remdesivir. Ces fonds sont en réalité des bourses de recherche et des indemnisations pour des réunions d’experts à propos de médicaments entrant en phase 2 et 3 d’essais cliniques pour les pathologies précitées [16].

Le discours populiste est établi : nous serions en présence d’un éminent professeur, prêt à sauver l’humanité avec une molécule sûre, peu chère et efficace, entravé par un gouvernement coercitif et des médecins vendus à « Big Pharma ».

Le 28 mars 2020, cette opposition pseudoscientifique, mais en réalité politique, accouche du collectif « Laissons les médecins prescrire », mené par la députée Martine Wonner. Ce collectif demande à l’État de permettre aux médecins de s’auto-prescrire de l’hydroxychloroquine pour « proposer une étude de la seule association thérapeutique porteuse, à ce jour, d’un espoir à court terme » [17]. Cette formulation est intrigante car il est tout à fait possible, à ce stade, de prescrire de l’hydroxychloroquine dans un essai clinique. Encore faut-il que l’essai soit autorisé et légal. On voit ici une méconnaissance des mécanismes d’évaluation de l’efficacité d’un médicament.

Trouver un traitement

Parallèlement à cette opposition, la communauté scientifique cherche des options thérapeutiques pour la Covid-19 et les gouvernements mettent en place des essais cliniques pour tester le repositionnement ou la réutilisation de certaines molécules. Le repositionnement consiste à utiliser une molécule existante ayant échoué à obtenir une AMM pour l’emploi primaire envisagé, alors que la réutilisation consiste à trouver une indication pour une molécule en plus de son indication primaire. Et il arrive que cette méthode produise de bons résultats, comme dans le cas du Viagra, originellement utilisé pour traiter l’hypertension artérielle pulmonaire et qui a été réutilisé avec succès pour traiter les troubles de l’érection. L’enjeu pour les pouvoirs publics est de limiter le nombre de cas graves qui engorgent les services hospitaliers afin d’éviter un risque majeur pour la santé publique si l’accès aux soins devenait insuffisant pour la population générale.

Le 22 mars 2020 débute l’essai clinique mondial Solidarity, avec son bras européen Discovery. Il vise à tester quatre traitements : le remdesivir, un antiviral qui ne dispose encore d’aucune AMM pour aucune indication, la combinaison lopinavir/ritonavir (Kaletra), la combinaison lopinavir/ritonavir et interféron bêta et, enfin, l’hydroxychloroquine. Ces essais cliniques sont confrontés à des obstacles dans leur réalisation, notamment du fait de la difficulté à recruter des patients pour les traitements autres que l’hydroxychloroquine [18]. En effet, désormais, les patients veulent le traitement de D. Raoult. À peu près au même moment débute l’essai britannique Recovery qui, lui, teste lopinavir/ritonavir, dexaméthasone (un anti-inflammatoire stéroïdien), tocilizumab, plasma de convalescents, hydroxychloroquine et azithromycine.

Figure de paon extraite d’un herbier de la période Ming tardive (1644), illustré par Zhou Hu et Zhou Xi.

Le 27 mars 2020, D. Raoult présente les résultats d’une seconde étude menée sur 80 patients [19]. Une nouvelle controverse se développe. D. Raoult affirme qu’il ne s’agit pas d’un essai clinique, mais d’une étude rétrospective (observationnelle) sur des patients en soins courants. Avec une simple étude observationnelle, il n’est pas besoin d’obtenir les autorisations associées à un essai clinique (étude interventionnelle). Mais dans une étude observationnelle rétrospective, il n’est pas possible d’utiliser un médicament hors AMM, alors que dans le cadre d’un essai clinique, cette utilisation devient possible. Or, dans l’étude de D.Raoult, la prescription de la bithérapie est systématique après examens médicaux [20]. Il ne s’agit alors plus d’une étude observationnelle, mais d’un essai clinique qui devient non déclaré. Cela soulève un grave problème d’éthique. En outre, des problèmes d’ordre méthodologiques et scientifiques sont soulevés (pas de groupe contrôle par exemple [21, 22]).

Ce dévoiement de la prescription hors AMM va continuer, en jouant du caractère « observationnel rétrospectif », jusqu’à au moins fin 2022, avec plus de 30 000 patients recrutés dans ce que le Pr Molimard et seize sociétés savantes décrivent comme « le plus grand essai thérapeutique sauvage connu à ce jour » [23]. D. Raoult publiera ainsi régulièrement des mises à jour avec de plus en plus de patients (1 061 le 11 avril 2020 [24]) et avec, à chaque fois, des biais méthodologiques tels qu’ils devient impossible de conclure sur l’efficacité ou non de la bithérapie. Notamment, l’absence de groupe contrôle est un énorme problème et bien que D. Raoult clame qu’il soit non éthique d’inclure un groupe contrôle, c’est pourtant un requis méthodologique et même éthique indispensable dans la conduite d’un essai thérapeutique [25].

Une impasse thérapeutique

Dès mars 2020, les chemins politiques et scientifiques de l’hydroxychloroquine se sont séparés, pour ne se rencontrer qu’à l’occasion de scandales ou d’alertes sur les dérives de l’IHU.

Le 23 mars 2020, le gouvernement autorise par décret l’utilisation de l’hydroxychloroquine et l’association lopinavir/ritonavir pour le traitement de la Covid-19 en milieu hospitalier [12].

Le 11 avril 2020, la maison d’édition Elsevier qui détient l’International Journal of AntiMicrobial Agent publie un communiqué commun avec l’International Society of Antimicrobial Chemotherapy pour faire part de ses préoccupations quant à la qualité méthodologique de l’article de D. Raoult publié dans ses colonnes [26].

Un débat, Charles Louis Moeller (1855-1930)

Le 22 mai 2020, un article invalidant l’usage de l’hydroxychloroquine en montrant un surrisque associé à la prise de ce traitement est publié dans The Lancet [27]. Il va défrayer la chronique : frauduleux, il est très vite rétracté. Soulignons que ce n’est pas D. Raoult qui, seul contre tous, a dénoncé la supercherie, mais bien l’ensemble de la communauté scientifique alertée par plusieurs chercheurs [28]. Hélas, le mal était fait et les traces sont restées longtemps présentes. Entre temps, le 23 mai 2020, Olivier Véran saisit le Haut Conseil de la santé publique qui, dans son avis rendu le lendemain, recommande « de ne pas utiliser l’hydroxychloroquine […] pour le traitement du Covid-19 » et « de réévaluer le rapport bénéfice/risque de ce médicament dans les essais en cours et à venir » [29]. Cette décision est motivée par le faible niveau de preuve de l’efficacité de l’hydroxychloroquine et un risque non négligeable de troubles cardiaques pour les patients. Précisons que cette décision ne repose pas sur la seule publication du Lancet, mais sur de nombreuses et convergentes études dont les références sont données dans l’avis du HCSP. En conséquence, l’autorisation d’utilisation de l’hydroxychloroquine pour traiter les patients atteints de Covid-19 est abrogée par décret le 26 mai 2020.

Dans le même temps, le 25 mai 2020, l’OMS annonce la suspension des essais cliniques sur l’hydroxychloroquine. Ils reprendront néanmoins le 3 juin 2020 avant d’être définitivement arrêtés le 17 juin 2020, suite à l’analyse des données intermédiaires [30].

Scientifiquement, le destin de la bithérapie est scellé : au mieux, inefficace pour traiter la Covid-19. Néanmoins, les tenants de cette prise en charge n’en démordent pas et, le 15 juillet 2020, Violaine Guérin et Martine Wonner, fers de lance de l’association « Laissons les médecins prescrire », publient un article prétendant prouver l’efficacité du traitement [31]. Cette publication sera le moteur d’un des plus mémorables canulars scientifiques de la pandémie : la publication dans la même revue d’un article complètement farfelu sur l’utilisation de l’hydroxychloroquine pour prévenir les accidents de trottinette [32] confirmant ainsi le caractère de revue prédatrice du journal (journal où le paiement de frais se substitue à la revue rigoureuse par les pairs) [33].

Les chercheurs, personnalités ou entités qui émettent des réserves sur la bithérapie font l’objet d’attaques virulentes. L’auteur de cet article peut en témoigner : signataire avec plusieurs autres scientifiques d’une méta-analyse publiée le 26 août 2020 et montrant l’inefficacité de l’hydroxychloroquine seule ainsi qu’une surmortalité quand elle est associée à l’azithromycine [34], il constatera les menaces de mort proférées à l’encontre des auteurs. Cette situation, loin d’être marginale et anecdotique, a largement été commentée dans la presse et dans les revues scientifiques [35, 36].

Jeune femme lisant, Hendrick ter Brugghen (1588-1629)

Errare humanum est, perseverare autem diabolicum. D. Raoult semble ignorer la maxime. Il continue de croire en son traitement et de publier des articles [37] dont la qualité méthodologique ne permet toujours pas de statuer sur l’efficacité de celui-ci. Il demande à l’ANSM une recommandation temporaire d’utilisation pour l’hydroxychloroquine dans le traitement de la Covid-19, ce qui conférerait à la molécule une sorte d’AMM temporaire. L’ANSM lui répond négativement le 23 octobre 2020 précisant que, « à ce jour, les données disponibles, très hétérogènes et inégales, ne permettent pas de présager d’un bénéfice de l’hydroxychloroquine » et que, « au regard des données de sécurité disponibles faisant apparaître des risques majorés, notamment cardio-vasculaires, il ne peut être présumé d’un rapport bénéfice/risque favorable » [38]. Le 3 novembre 2020, D. Raoult annonce vouloir porter plainte contre le directeur de l’ANSM, considérant « qu’il joue un rôle dangereux pour la santé des Français » [39].

Le Crieur public, Adriaen van Ostade (1610-1685)

Le 30 octobre 2020, l’entreprise Sanofi, qui produit et commercialise l’hydroxychloroquine, écrit au ministre de la Santé pour lui faire part de son refus d’honorer les commandes passées par l’IHU, le volume de celles-ci suggérant une utilisation non conforme aux conditions de la prescription hors AMM. Il faut dire que depuis sa première étude, l’IHU continue de prescrire sa bithérapie quasi systématiquement aux patients atteints de Covid-19 [20].

Épilogue

Depuis cette année 2020, de l’eau a coulé sous les ponts et de nombreuses études ont confirmé l’inutilité de la bithérapie pour traiter la Covid-19. Une méta-analyse publiée en mai 2021 [40] met en évidence une surmortalité associée à la prise d’hydroxychloroquine chez les patients atteints de Covid-19.

À cela s’ajoutent les pertes de chances liées à la promotion de l’hydroxychloroquine comme remède miracle : prétexte à ne pas déployer d’interventions non pharmaceutiques (comme le confinement) dans différents pays, par exemple au Brésil, refus de tout autre soin par des patients, etc. Pire, le narratif complotiste opposant D. Raoult et ses partisans au gouvernement et autorités sanitaires prétendument corrompus par « Big Pharma » aura contribué à la défiance vaccinale dans une partie de la population, et pas qu’en France.

A ce jour, les prescriptions d’hydroxychloroquine pour la prise en charge de patients atteints de la Covid-19 n’ont pas cessé. Ainsi, le 5 avril 2023, l’ANSM, de nouveau sollicitée par des professionnels de santé qui souhaitent utiliser des médicaments contenant de l’hydroxychloroquine, de l’azithromycine ou de l’ivermectine pour prévenir ou traiter la Covid-19, a dû émettre un nouvel avis de mise en garde pour rappeler que « ces médicaments sont fortement déconseillés dans ces indications, chez l’adulte ou l’enfant » [41].

Finalement, même si l’on peut déplorer le peu de réactivité des autorités pour mettre fin aux dérives de l’IHU, voire une certaine complaisance au tout début de l’histoire, l’ANSM et le gouvernement ont rempli leurs rôles respectifs et protégé les patients en refusant de céder à la pression médiatique et populaire. On peut regretter que l’IHU n’ait pas su ou pas voulu réaliser un bel essai clinique rigoureux qui aurait pu mettre en évidence, dès 2020, l’inefficacité de la bithérapie. Cela aurait permis de réorienter les efforts de recherche vers d’autres molécules et peut-être de trouver rapidement un candidat efficace. La recherche, c’est aussi être capable de montrer de façon ferme une absence de résultat positif.

Références


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2 | Légifrance, « Arrêté du 13 janvier 2020 portant classement sur les listes des substances vénéneuses », Journal officiel, 15 janvier 2020. Sur legifrance.gouv.fr
3 | « Non, la chloroquine n’a pas été “interdite” par un arrêté en janvier 2020 », AFP Factuel, 23 mars 2020. Sur factuel.afp.com
4 | Gao J et al., “Breakthrough : chloroquine phosphate has shown apparent efficacy in treatment of COVID-19 associated pneumonia in clinical studies”, Biosci Trends, 2020, 14 :72-3.
5 | Wang M et al., “Remdesivir and chloroquine effectively inhibit the recently emerged novel coronavirus (2019-nCoV) in vitro”, Cell Res, 2020, 30 :269-71.
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9 | Rosendaal FR, “Review of ‘Hydroxychloroquine and azithromycin as a treatment of COVID-19 : results of an open-label non-randomized clinical trial’, Gautret et al., 2010”, International Journal of Antimicrobial Agents, 2020, 56 :106063.
10 | Barraud D et al., “Why the article that led to the widespread use of hydroxychloroquine in COVID-19 should be retracted”, Therapie, 2023, 78 :437-40.
11 | Niburski K, Niburski O, “Impact of Trump’s promotion of unproven COVID-19 treatments and subsequent Internet trends : observational study”, J Med Internet Res, 2020, 22 :e20044.
12 | Légifrance, « Décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de Covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire », Journal officiel, 23 mai 2020. Sur legifrance.gouv.fr
13 | Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, « L’ANSM sécurise l’accès aux traitements Plaquenil et Kaletra pour les patients atteints de maladie chronique », actualités, 15 octobre 2020. Sur ansm.sante.fr
14 | Azalbert X, « Christian Perronne : “En temps de guerre, la vision de la médecine doit s’adapter, avant qu’il ne soit trop tard” », interview, France Soir, 8 avril 2020. Sur francesoir.fr
15 | Leboucq F, « Karine Lacombe, qui critique des méthodes de Didier Raoult, est-elle en “conflit d’intérêt” avec les laboratoires concurrents ? », Libération, 26 mars 2020. Sur liberation.fr
16 | Ministère de la Santé et de la Prévention, « La base de données publique Transparence – Santé », page web Transparence Santé Public. Sur transparence.sante.gouv.fr
17 | « Groupe Covid-19 : laissons les médecins prescrire », communiqué de presse, 28 mars 2020. Sur stopcovid.today
18 | Gaitzsch S, « Des nouvelles de Discovery, l’essai clinique européen contre Covid-19 », Heidi.news, 20 avril 2020. Sur heidi.news
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23 | « Recherche clinique à l’IHU de Marseille : “En l’absence de réaction des institutions, les graves manquements constatés pourraient devenir la norme” », tribune, Le Monde, 28 mai 2023. Sur sfpt-fr.org
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25 | Ferry-Danini J, « Petite introduction à l’éthique des essais cliniques : Coronavirus, réponse au Professeur Raoult », blog, 1er avril 2020. Sur ferry-danini.medium.com
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30 | Organisation mondiale de la santé, “Coronavirus disease (COVID-19) : solidarity trial and hydroxychloroquine”, communiqué de presse, 19 juin 2020. Sur who.int
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38 | Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, « L’ANSM publie sa décision sur la demande d’une RTU pour l’hydroxychloroquine dans la prise en charge de la maladie Covid-19 », actualités, 18 janvier 2021. Sur ansm.sante.fr
39 | « Covid-19. Hydroxychloroquine : Didier Raoult saisit le Conseil d’État », Ouest-France, 4 novembre 2020. Sur ouest-France.fr
40 | Axfors C et al., “Mortality outcomes with hydroxychloroquine and chloroquine in COVID-19 from an international collaborative meta-analysis of randomized trials”, Nature Communications, 15 avril 2021. Sur nature.com
41 | Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, « L’ANSM rappelle que l’hydroxychloroquine, l’azithromycine et l’ivermectine ne constituent pas des traitements du Covid-19 », actualités, 5 avril 2023. Sur ansm.sante.fr


Publié dans le n° 346 de la revue


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L' auteur

Matthieu Mulot

Docteur en biologie. Il anime un blog spécialisé en biostatistiques : lebiostatisticien.fr

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