Entretien avec Jean-Louis Heudier

Hélène Quenin pour Book-e-Book. Voici donc votre sixième ouvrage dans la collection « Une chandelle dans les ténèbres », cette fois sur les éclipses… Un vieux projet qui voit enfin le jour ?
Jean-Louis Heudier. Ça oui ! J’avais commencé mon travail de rédaction en préparation à l’éclipse solaire de 1999, la dernière éclipse to tale visible en France métropolitaine. J’ai ensuite enrichi mon expérience en formant des enseignants à l’exploitation pédagogique des éclipses.

Vos descriptions des éclipses sont enthousiastes et passionnées. C’est clairement un spectacle qui vous fascine. En tant qu’astronome, sans doute avez-vous eu plusieurs occasions d’en observer ?
Ma première éclipse fut celle de 1961, observée depuis la terrasse de mon lycée à Cachan ! Elle n’était pas totale, mais a conforté mon penchant vers l’astronomie… Ensuite, j’ai pu « vivre » quelques éclipses, en particulier celle de 1999 pour laquelle nous avions organisé un vol spécial qui a permis à quelques 200 privilégiés de s’affranchir des nuages en observant depuis l’avion… Et ensuite quelques autres que nous avons pu observer depuis la Guyane, ou la Turquie.

Quelle est votre plus beau souvenir d’éclipse de Soleil ? Quel est votre moment préféré ?
Certainement l’éclipse du 29 mars 2006, depuis les bords de la mer Noire. Le site que nous avions choisi se trouvant sous les nuages, nous avons dû nous déplacer, in extremis, de quelques centaines de mètres en altitude pour profiter du spectacle. Les régions montagneuses offrent souvent ces changements de conditions atmosphériques. Lors d’une éclipse, le début de la période où le soleil est complètement occulté est certainement le moment le plus impressionnant, provoquant de nombreuses réactions chez les animaux, très perturbés par cette nuit soudaine et inattendue.

De la même façon, pouvez-vous partager avec nous votre plus beau souvenir d’éclipse de Lune ?
Plusieurs beaux souvenirs… Mais le plus beau est certainement vers 1971, la première fois où nous avons mesuré, avec des enfants d’une dizaine d’années, la distance Terre-Lune selon la méthode antique d’Aristarque de Samos que je détaille dans le livre. Grâce à ses observations de la Lune et des éclipses, l’astronome avait estimé la distance Terre-Lune d’une façon vraiment très ingénieuse. Il avait d’ailleurs poursuivi son raisonnement pour connaître la distance Terre-Soleil. Certes son estimation était fausse, puisque selon lui le soleil devait se trouver au moins 19 fois plus loin que la Lune… au lieu de 400 fois en réalité ! Néanmoins, pour Aristarque, le Soleil devenait l’astre le plus important, c’est une toute première notion de l’héliocentrisme… près de 1 800 ans avant Copernic !

Le livre suscite la curiosité, l’envie d’en voir plus, peut-être d’en savoir plus. Que conseillez-vous à nos lecteurs ?
Observer les éclipses de Lune et redécouvrir que la Terre est ronde, voire mesurer soi-même la distance à la Lune… Visible depuis la France métropolitaine, il ne faudra pas rater l’éclipse partielle de Lune du 28 octobre 2023. À observer également l’éclipse partielle de Soleil du 29 mars 2025. Le spectacle en vaut la peine ! Mais il faudra attendre le 3 septembre 2081 pour voir une éclipse totale de Soleil traverser notre pays.

À force d’observation, les hommes ont fini par comprendre les éclipses, laissant de côté leurs vieilles peurs… ou pas ?
Les phénomènes célestes, astronomiques et atmosphériques, continuent d’être exploités pour entretenir croyances et endoctrinements en tous genre. Dans ce domaine, rien n’a changé depuis 3 000 ans ! Mais les éclipses continuent aussi à nous renseigner sur le système Terre-Lune : éloignement de la Lune, ralentissement de la rotation terrestre, déformations de la Terre et de la Lune. Il faut faire flèche de tout bois pour compléter la connaissance !

Pourra-t-on vous retrouver prochainement quelque part ?
J’avoue, quoique retraité et maintenant âgé de 79 ans, que je suis toujours passionné et ravi de partager mon expérience ! La vulgarisation de la science astronomique est depuis longtemps mon « dada » et je donne régulièrement des conférences tous publics, le plus souvent dans les Alpes-Maritimes où je réside. Je vous invite à découvrir tout cela sur mon site ¹. J’ai aussi la chance de retourner au Québec pour l’éclipse de Soleil du 8 avril 2024. Elle devrait être très belle. La « bande de totalité » (zone où il est possible d’observer l’éclipse totale), étroite, passera sur l’Amérique du Nord et se terminera dans l’océan Atlantique. Je donnerai là-bas plusieurs conférences.