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« Booster » le système immunitaire ? Pas si simple…

Publié en ligne le 11 juillet 2021 - Vaccination -

« Avons-nous vraiment besoin d’un vaccin anti-Covid pour en finir avec cette pandémie ? La plupart d’entre nous ne sommes pas malades lorsque nous sommes infectés par le SARS-CoV-2. Le système immunitaire se débrouille donc très bien sans vaccin, surtout celui des sujets jeunes. Il suffirait de “booster” le système immunitaire des sujets âgés pour qu’ils soient asymptomatiques comme le sont les sujets jeunes, et donc qu’ils ne meurent pas », entend-on dire parfois. Parole d’irréductibles « antivax » arc-boutés sur leurs certitudes ? Sans doute, mais pas seulement, et ils ne sont pas si nombreux. Beaucoup d’autres, cependant, s’interrogent de bonne foi. À ceux-ci, que pouvons-nous répondre ?

Pouvons-nous seulement répondre ? Peut-être pas, devons-nous reconnaître, parce que nous en savons encore trop peu sur l’immunité anti-Covid. Peut-être aussi parce que la question est mal posée. Elle repose en effet sur une conception d’une réaction immunitaire trompeuse parce que trop simplificatrice. Comme si l’immunité était toujours ce privilège 1, inné ou acquis, de ne pas être malade quand les autres le sont et en meurent parfois. Depuis que Louis Pasteur a fait de ce privilège la chose du monde la mieux partagée, puisqu’il suffit à tout un chacun de s’immuniser contre un germe atténué pour être protégé contre le même germe virulent, nous avons beaucoup appris sur la réaction immunitaire qui nous protège des maladies infectieuses.

La Vaccination, Demetrio Cosola (1851-1895)
L’artiste est originaire de Chivasso, première commune du Piémont italien à rendre obligatoire la vaccination antivariolique pour les enfants en 1894.

Nous avons appris qu’elle ne se réduit pas à un mécanisme qu’il suffirait de mettre en route en appuyant sur un bouton « marche/arrêt », je veux dire en injectant un vaccin, et d’en augmenter la puissance en agissant sur un autre bouton « volume » dont j’ignore ce qu’il pourrait être, en « boostant » le système immunitaire diraient certains. Une réaction immunitaire est en effet un ensemble de réponses coordonnées, dont certaines sont synergiques et d’autres antagonistes, qui se développent progressivement selon une cinétique qui dépend de l’agent infectieux et du sujet infecté, et dont le résultat est incertain. Une réponse immunitaire est avant tout un processus dynamique, comme tous les processus biologiques.

Aider à mieux comprendre cette dynamique est la seule « bonne » réponse que nous pouvons apporter. Peut-être celle-ci permettra-t-elle de reformuler la question, ou d’en faire l’économie. Trois équilibres se cherchent au cours d’une infection microbienne : entre réponse et non-réponse, entre hôte et pathogènes, entre immunité protectrice et immunité pathogène.

Entre réponse et non-réponse

Le système immunitaire est constitué de nombreuses cellules. Certaines circulent dans les vaisseaux sanguins, d’autres résident dans des tissus. Les cellules du système immunitaire ont la capacité d’être stimulées par des macromolécules biologiques parce qu’elles possèdent des récepteurs pour ces molécules. Elles répondent à cette stimulation en mettant en œuvre les activités biologiques que leur permet la différenciation 2 qu’elles ont subie. Ainsi, lorsqu’elles en reçoivent le signal, les cellules phagocytaires phagocytent, les cellules sécrétrices sécrètent, etc. C’est l’ensemble des activités biologiques de toutes les cellules immunitaires engagées dans une même réponse qui constitue une réaction immunitaire. Celle-ci est soumise à un double contrôle : des mécanismes qui contrôlent les réponses de chacune des cellules engagées et des mécanismes qui contrôlent les réponses de l’ensemble des populations cellulaires engagées.

Même au repos, les cellules immunitaires sont, comme les autres cellules, le lieu d’une intense activité basale qui leur est nécessaire pour vivre. L’activation des cellules immunitaires par leurs récepteurs conduit à la mise en route de voies métaboliques inactives dans les cellules au repos. Elle induit, par exemple, l’entrée des cellules dans le cycle cellulaire et leur division ou l’expression de gènes non exprimés auparavant. L’activation de ces cellules est étroitement contrôlée. Les cellules immunitaires coexpriment en effet deux grandes catégories de récepteurs : des récepteurs activateurs et des récepteurs inhibiteurs. Les récepteurs activateurs possèdent des « motifs d’activation » [1] qui engendrent des signaux d’activation. Les récepteurs inhibiteurs possèdent des « motifs d’inhibition » [2] qui engendrent des signaux d’inhibition. L’engagement simultané des deux types de récepteurs sur une même cellule engendre un mélange de signaux d’activation et de signaux d’inhibition qui déterminent l’intensité de la réponse cellulaire. Celle-ci résulte du déplacement d’un équilibre préexistant entre des signaux antagonistes. Le déséquilibre ainsi produit en faveur des signaux d’activation est transitoire : il est rapidement corrigé par une augmentation des signaux d’inhibition qui ramènent la cellule à un état de repos.

Un équilibre comparable entre activation et inhibition dépend non pas de récepteurs, mais de cellules. On distingue en effet des cellules « effectrices » 3 et des cellules « régulatrices » qui exercent des effets antagonistes. Les cellules T effectrices qui produisent des cytokines pro-inflammatoires 4 sont contrôlées par des cellules T régulatrices (Treg) qui produisent des cytokines anti-inflammatoires [3]. De même, les innate lymphoid cells (ILC) effectrices sont contrôlées par des ILC régulatrices (ILCreg) [4], les cellules B par des cellules B régulatrices (Breg) [5], et d’autres cellules myéloïdes effectrices par des cellules régulatrices du même type. 5

Ainsi, la réaction immunitaire oscille entre réponse et non-réponse. Réponse et non-réponse de chaque cellule impliquée dans la réaction, déterminées par les récepteurs activateurs et les récepteurs inhibiteurs engagés par leurs ligands, mais également réponse et non-réponse des populations de cellules mises en jeu dans la réaction, déterminées par les cellules effectrices et les cellules régulatrices engagées dans la réaction. Le résultat est un ajustement constant de la réponse immunitaire. Un tel ajustement, qu’une multiplicité de systèmes de régulation rend possible, est une nécessité pour maintenir sous contrôle un système aussi puissant que le système immunitaire, capable de détruire toutes sortes de microorganismes pathogènes ou de cellules cancéreuses, mais également des cellules normales comme, chez les patients diabétiques, les cellules qui produisent l’insuline dans le pancréas, quand il ne tue pas des patients allergiques exposés à des allergènes inoffensifs comme du pollen de graminée ou des aliments.

Entre hôte et pathogènes

Classiquement, l’immunité est un état. C’est un état constitutif, dont bénéficie tout un chacun parce qu’il possède un « système immunitaire inné » qui le protège de la plupart des pathogènes qu’il rencontre, et de ceux qu’il héberge sans s’en porter plus mal. Ainsi, les médecins n’attrapent pas toutes les maladies infectieuses de leurs patients. C’est un état qui peut aussi être acquis à la suite d’une maladie infectieuse, et dont peut bénéficier tout un chacun parce qu’il possède un « système immunitaire adaptatif » capable de mettre en place une solide immunité protectrice à la carte, une immunité spécifique, et qui plus est durable parce que ce système immunitaire est doté d’une mémoire. Cette mémoire, plus ou moins longue, peut durer toute une vie : ainsi n’attrape-t-on pas deux fois la rougeole qu’on a eue lorsqu’on était enfant. L’immunité est enfin un état induit par une vaccination qui mime une infection sans la provoquer, en induisant l’expansion des clones de lymphocytes qui expriment des récepteurs spécifiques de l’agent infectieux responsable de cette infection, et leur différenciation.

La Vaccine de la rage(détail),
Lucien Laurent-Gsell (1860-1944) PD, crédit cnap.fr

Innée ou acquise, l’immunité concerne un individu. Peut-être cette façon de voir vient-elle de cette immunité acquise artificiellement par une manœuvre vaccinale : dans la seringue du vaccinateur, l’immunisant est soit atténué soit réduit à des protéines immunogènes, voire à un acide nucléique codant une ou quelques-unes de ses protéines. Il est passif. Dans « la vraie vie », l’immunisant est actif et bien vivant. C’est en étant confronté à d’autres organismes potentiellement dangereux, avec lesquels il vit plus ou moins étroitement, qu’un individu s’immunise « naturellement ». L’immunité naturelle n’est pas seulement l’affaire de l’immunisé, c’est aussi celle de l’immunisant ou plutôt de nombreux immunisants, et ceux-ci sont loin d’être inertes comme l’est une préparation vaccinale : chaque immunisant répond aux effecteurs de la réponse immunitaire qu’il a induite. De même que le système immunitaire s’est « adapté » au pathogène en développant une réponse immunitaire spécifique, celui-ci s’adapte à celui-là.

Il réagit, il mute. L’immunisant et l’immunisé s’adaptent l’un à l’autre. L’immunité qui en résulte n’est pas un état stable, c’est un processus dynamique. Jamais atteint parce que toujours remis en cause, c’est au mieux un équilibre instable, c’est un ajustement entre les vivants qui vivent ensemble, c’est un compromis constamment renégocié entre immunisant et immunisé. Son résultat est incertain.

L’immunité ainsi conçue peut tendre vers un déséquilibre en faveur de l’immunisé qui met l’immunisant dans un état tel que sa vie est impossible et qu’il disparaît rapidement. L’infection est restée asymptomatique. L’immunité peut permettre la survie de l’immunisant mais le contraindre à un état tel que l’infection s’exprime cliniquement, plus ou moins sévèrement, sans toutefois mettre l’immunisant en péril. L’infection est manifeste, elle dure plus ou moins longtemps. D’équilibre rompu en équilibre instable, elle finit soit par disparaître soit par devenir chronique, avec des séquelles plus ou moins importantes, et une solide immunité s’établit, plus ou moins durable. L’immunité peut également tendre vers un déséquilibre en faveur de l’immunisant si le système immunitaire est incapable de le contrôler. Avec toutes les conséquences possibles. C’est le cas de Clostridium tetani, par exemple, dont la toxine tue les sujets non vaccinés contre le tétanos avant qu’une réponse immunitaire adaptative ait eu le temps de se mettre en place, ou est produite en trop faible concentration pour induire une réponse immunitaire.

La vaccination apparaît alors comme un moyen de déplacer l’équilibre en faveur de l’immunisé en lui offrant un leurre, germe tué ou atténué, fragment non pathogène de pathogène ou acide nucléique codant un tel fragment, avant même qu’il n’ait rencontré le pathogène, de sorte que celui-ci n’a aucune chance de survivre lorsqu’il survient dans un immunisé préparé à l’affronter. Il est d’emblée confronté à des anticorps qui le reconnaissent spécifiquement et qui l’empêchent d’infecter les cellules d’un individu vacciné, alors qu’il a tout le loisir de le faire avant que de tels anticorps soient synthétisés chez un individu non vacciné. Le déséquilibre ainsi institué est, au moins pour un moment, incompatible avec l’infection et donc avec la survie de l’agent infectieux. Le vacciné est protégé. Au moins pour un moment, parce que le pathogène ne demande qu’à s’adapter à la situation.

Entre immunité protectrice et immunité pathogène

En 1888, huit ans après la mise au point par Pasteur du vaccin contre le choléra des poules – le premier vaccin fabriqué par l’Homme –, Charles Richet montre qu’une immunité protectrice peut être transférée à un animal neuf par le sérum d’un animal vacciné.

La Compassion,
Briton Rivière (1840-1920)

En 1901, Richet et son élève Paul Portier observent qu’au lieu de le protéger, l’immunisation d’un chien par des doses infinitésimales de toxines de physalie induit un état tel que celui-ci meurt en quelques minutes s’il reçoit à nouveau une dose de la même toxine inoffensive pour un chien non immunisé. Parce que l’effet observé est incompréhensible, ils le nomment « anaphylaxie », le contraire de la prophylaxie pasteurienne. Six ans plus tard, Richet montre que le sérum d’un chien ainsi immunisé transmet à un chien non immunisé la capacité d’être tué en quelques minutes par une injection d’une quantité inoffensive de toxine. C’est donc le même Richet qui montre que le sérum d’un animal immunisé peut aussi bien protéger contre une infection mortelle par un pathogène que rendre mortelle une dose inoffensive de toxine. Nous savons aujourd’hui que les substances responsables de ces effets du sérum sont les anticorps qu’il contient, et que l’anaphylaxie est une forme extrême, généralisée, d’allergie. Les anticorps peuvent aussi bien protéger que tuer.

C’est donc dès les toutes premières vaccinations qu’apparaît la notion que l’immunité n’est pas toujours protectrice, qu’elle peut être pathogène et même létale. Les exemples sont nombreux qui sont venus s’ajouter à l’anaphylaxie et l’allergie, d’une immunité pathogène : les hypersensibilités de contact, la maladie du sérum, la maladie hémolytique du nouveau-né, les maladies autoimmunitaires, la facilitation des tumeurs cancéreuses, l’augmentation du pouvoir infectieux de virus comme le flavivirus responsable de la dengue, etc. Et l’on sait bien que les premiers symptômes d’une infection grippale sont avant tout les effets de la réaction immunitaire contre le virus influenza qui se met en place. On a tendance à l’oublier, l’immunité est fondamentalement ambivalente, et le plus souvent, ses effets protecteurs s’accompagnent de dommages collatéraux. En réalité, les effets pathogènes sont intimement associés aux effets protecteurs d’une réaction immunitaire.

Les effets pathogènes d’un microorganisme pathogène ne sont donc pas dus au seul microorganisme. Certains, à l’évidence, le sont : lorsqu’il détourne à son profit la synthèse protéique d’une cellule qu’il transforme en une fabrique de particules virales, un virus rend la vie difficile pour la cellule infectée. D’autres sont la conséquence directe de la destruction des cellules infectées de l’hôte par les cellules NK et les cellules T cytotoxiques. Beaucoup sont des effets collatéraux de la réaction inflammatoire que le système immunitaire met en place, par laquelle se rassemblent toutes sortes de cellules effectrices. Celles-ci sécrètent alors des chimiokines qui attirent d’autres cellules, des cytokines qui les activent, des facteurs de croissance qui les font proliférer, des substances vasoactives qui leur permettent de sortir des vaisseaux en augmentant la perméabilité capillaire. Des processus de réparation se mettent en route, mais le tissu cicatriciel n’a plus les propriétés du tissu sain. Il en résulte des séquelles.

Ainsi, de même que l’immunité n’est pas seulement l’affaire de l’organisme infecté qui répond aux pathogènes, mais aussi celle des pathogènes qui l’infectent, la pathogénicité́ n’est pas seulement l’affaire des pathogènes, c’est aussi celle de l’organisme qu’ils infectent. C’est un autre compromis. Ce compromis n’est pas entre le pathogène et l’hôte qu’il infecte comme pour l’immunité, mais entre le bénéfice pour l’hôte de limiter les effets pathogènes du pathogène et les effets pathogènes de la réponse immunitaire qui contrôle le pathogène. De ce compromis, ni le pathogène ni l’hôte ne sortent indemnes. L’un comme l’autre peut même ne pas s’en sortir.

« Booster » l’immunité ?

Nous avons donc vu qu’une infection est un processus dynamique, et que cette dynamique dépend d’équilibres et de déséquilibres instables qui se cherchent et qui se fuient, entre réponse et non-réponse, entre hôte et agent pathogène, entre protection et pathogénicité. Retournons à la question qui nous était posée et à la pandémie. L’infection par les SARS-CoV-2 est en effet un bon exemple.

Les différences de gravité, chez l’enfant et chez le sujet âgé, chez les patients avec et sans pathologies concomitantes, chez les femmes et chez les hommes, chez les fumeurs et chez les non-fumeurs, montrent que différents compromis peuvent s’établir entre le virus et l’hôte [7]. La variabilité des signes cliniques de la Covid-19 montre que les manifestations pathologiques ne sont pas uniquement celles du pathogène, que l’hôte y contribue [8]. Le plus souvent, le virus est rapidement contenu par le système immunitaire et disparaît. Chez les adultes symptomatiques, les signes d’infection prédominent dans un tableau de pneumopathie plus ou moins sévère. Chez les patients plus âgés, ce sont les conséquences de la réponse immunitaire qui prédominent. L’évolution de la maladie chez un même patient illustre l’instabilité de l’équilibre instauré entre virus et système immunitaire, entre effets protecteurs et effets pathogènes. Dans les formes graves qui évoluent favorablement, la réaction immunitaire finit par l’emporter, au prix d’une longue convalescence. Dans « la tempête cytokinique » qui s’ajoute aux effets pathogènes du virus, ce sont les effets vasculaires et les effets neurologiques d’un choc systémique produit par la sécrétion massive de cytokines pro-inflammatoires qui emportent les patients âgés [9].

Autoportrait à la grippe espagnole, Edvard Munch (1863-1944)
Licence CC-BY-4.0 (Nasjonalmuseet/Høstland, Børre)

Dans un tableau d’une telle complexité, que signifierait « booster » l’immunité ? Imaginons qu’on puisse le faire (le moyen de s’y prendre est tout sauf clair, même si les publicités rivalisent pour promouvoir des produits de toute nature qui « renforcent les défenses immunitaires »), quelles réactions seraient renforcées ? Quels équilibres seraient modifiés ? Avec quelles conséquences ? Comment renforcer les réponses protectrices sans renforcer les réponses pathogènes ? Car qui voudrait stimuler le système immunitaire des sujets âgés si c’est la réponse immunitaire qui les tue ?

Reste la vaccination. Les vaccins ont sauvé, sauvent toujours et sauveront encore des millions et des millions d’individus, des enfants surtout, d’une mort certaine et de complications effroyables. La vaccination permet au vacciné de mettre en place tout l’arsenal des effecteurs de l’immunité adaptative avant que les effecteurs de l’immunité innée se mobilisent face au virus et coopèrent avec les cellules du système immunitaire adaptatif. Parce que les récepteurs pour l’antigène d’un lymphocyte donné sont tous les mêmes et qu’ils reconnaissent donc la même chose, et parce que le nombre de lymphocytes est limité, un petit nombre de nos lymphocytes peuvent reconnaître le SARS-CoV-2. Ils doivent donc commencer par se multiplier pour être assez nombreux. Ils sont aussi immatures : ils ne savent pas encore faire grand-chose. Pour agir, il leur faut se différencier, les lymphocytes T en cellules effectrices, les lymphocytes B en cellules productrices d’anticorps. Tout cela prend du temps. En court-circuitant les premières étapes de la réponse immunitaire antivirale, la vaccination permet d’agir puissamment et spécifiquement sur le virus dès son entrée dans l’organisme.

Le coronavirus, cependant, n’en reste pas là. Il mute. Si, comme nous l’avons vu, l’immunité est davantage un mécanisme de coadaptation qu’un mécanisme de protection, les mutations qui ont le plus de chances d’être sélectionnées sont non seulement celles qui augmentent le pouvoir infectieux du virus comme celles du « variant anglais » [10], mais également celles qui diminuent l’efficacité de l’immunité antivirale, y compris celle de l’immunité vaccinale comme celles du « variant sud-africain » [11]. De même que le système immunitaire au cours d’une infection naturelle, les vaccins devront sans doute s’adapter aux variations du virus.

Alors que répondre à ceux qui continuent à s’interroger sur la vaccination ? Que la vaccination permettra d’éradiquer le SARS-CoV-2 et d’en finir avec la pandémie ? Personne ne peut le dire avec certitude aujourd’hui [12]. Qu’ils n’ont pas besoin de se faire vacciner et qu’ils laissent faire la nature ? Selon l’OMS [13], le coronavirus a déjà tué plus de deux millions de personnes, et pas seulement des personnes âgées. Si nous la laissons faire, la nature continuera son travail avec efficacité et sans état d’âme. Or, si l’on en juge par l’épidémiologie et l’expérience acquise avec les plus de 150 millions d’injections déjà pratiquées [14], nous disposons de plusieurs vaccins efficaces, jusqu’ici sans effets indésirables sérieux. Le choix est donc entre un risque élevé de mort certaine pour un grand nombre d’entre nous, et pour tout le monde, un risque minime d’effets secondaires improbables.

Références


1 | Reth M, “Antigen receptor tail clue”, Nature, 1989, 338 :383-4.
2 | Daëron M et al., “The same tyrosine-based inhibition motif, in the intracytoplasmic domain of Fc gamma RIIB, regulates negatively BCR-, TCR-, and FcR-dependent cell activation”, Immunity, 1995, 3 :635-46.
3 | Wing JB et al., “Human FOXP3+ Regulatory T Cell Heterogeneity and Function in Autoimmunity and Cancer”, Immunity, 2019, 50 :302-16.
4 | Wang S et al., “Regulatory Innate Lymphoid Cells Control Innate Intestinal Inflammation”, Cell, 2017, 171 :201-216.e18.
5 | Rosser EC, Mauri C, “Regulatory B cells : origin, phenotype, and function”, Immunity, 2015, 42 :607-12.
6 | Romagnani S, “Regulation of the T cell response”, Clin Exp Allergy J, 2006, 36 :1357-66.
7 | Lucas C et al., “Longitudinal analyses reveal immunological misfiring in severe COVID-19”, Nature, 2020, 584 :463-9.
8 | Tay MZ et al., “The trinity of COVID-19 : immunity, inflammation and intervention”, Nat Rev Immunol., 2020, 20 :363-74.
9 | Blanco-Melo D et al., “Imbalanced Host Response to SARSCoV-2 Drives Development of COVID-19”, Cell, 2020, 181 :10361045.e9.
10 | Galloway SE et al., “Emergence of SARS-CoV-2 B.1.1.7 Lineage – United States, December 29, 2020 – January 12, 2021”, MMWR Morb Mortal Wkly Rep, 2021, 70 :95-9.
11 | Cohen J, “South Africa suspends use of AstraZeneca’s COVID-19 vaccine after it fails to clearly stop virus variant”, Science, 8 février 2021, sur sciencemag.org
12 | Fontanet A et al., “SARS-CoV-2 variants and ending the COVID-19 pandemic”, The Lancet, 2021, doi :10.1016/S01406736(21)00370-6.
13 | OMS, “Coronavirus Disease (COVID-19) Dashboard”, Organisation mondiale de la santé, sur covid19.who.int
14 | “More Than 209 Million Shots Given : Covid-19 Tracker”, 23 février 2021, sur blommberg.com

1 « Immunité » signifie « exemption de charge » (munusen latin). C’est à l’origine un terme juridique. Avant de protéger contre la maladie infectieuse, l’immunité a longtemps été un privilège accordé à certains de ne pas être assujettis à l’impôt ou de ne pas devoir porter les armes.

2 La différenciation cellulaire est un processus par lequel une cellule, d’une part, acquiert des propriétés nouvelles que ne possédait pas la cellule qui l’a engendrée et, d’autre part, perd des propriétés que possédait cette cellule. Elle devient plus adaptée mais moins adaptable. Un exemple de différenciation extrême est celle des cellules souches hématopoïétiques en globules rouges. Ces cellules ont acquis la capacité de synthétiser l’hémoglobine, ce qu’elles sont les seules à savoir faire, mais elles ont perdu leur noyau et donc la capacité de se diviser.

3 On appelle « cellules effectrices » les cellules capables d’agir sur l’antigène qui a induit la réponse immunitaire. La phase effectrice d’une réponse immunitaire se distingue de la phase d’induction au cours de laquelle sont élaborés les effecteurs immunitaires.

4 L’inflammation permet le recrutement de cellules et de molécules effectrices à proximité de l’antigène qui a induit la réponse immunitaire et leur permet ainsi d’agir sur lui. C’est une réponse normale. Elle est habituellement transitoire parce qu’elle est étroitement contrôlée. Si elle ne l’est pas, elle devient chronique et pathogène.

5 Parfois même, les cellules effectrices de différents types se contrôlent les unes les autres : des cytokines de type 1 produites par les cellules Th1, comme l’IFNᵧ, inhibent l’activation des cellules Th2, tandis que les cytokines de type 2 produites par les cellules Th2, comme l’IL-4 ou l’IL-13, inhibent l’activation des cellules Th1. Les cellules Th1 se comportent comme des cellules régulatrices pour les cellules Th2 et, inversement, les cellules Th2 se comportent comme des cellules régulatrices pour les cellules Th1 [6].