Accueil / Notes de lecture / Les illusions de la psychogénéalogie

Les illusions de la psychogénéalogie

Publié en ligne le 28 mars 2023
Les illusions de la psychogénéalogie
Nicolas Gaillard
Mardaga, 2022, 224 pages, 19,90 €

À en juger par le nombre de livres et d’émissions qui lui sont consacrés, la psychogénéalogie se porte bien. Avec un best-seller Aïe, mes aïeux ! d’Anne Ancelin Schutzenberger, un ouvrage « […] passionnant et truffé d’exemples [qui] s’inscrit parmi les toutes récentes recherches en psychothérapie intégrative » (selon la présentation de l’éditeur). Cette abondance de publications, vantant de façon unanime les bases théoriques et l’efficacité thérapeutique de la psychogénéalogie, pourrait suffire à valider cette pratique aux yeux du grand public. L’ouvrage de Nicolas Gaillard, qui analyse la psychogénéalogie d’un point de vue critique, n’en est que plus salutaire.

Selon les psychogénéalogistes, les causes de nos maux seraient liées aux traumatismes de nos aïeux qui nous hanteraient inconsciemment, et en prendre conscience au travers d’une approche dite transgénérationnelle permettrait de nous soulager de nos pathologies. Diplômé en travail social et en sciences politiques, Nicolas Gaillard est l’un des cofondateurs du Cortecs (Collectif de recherche transdisciplinaire esprit critique et sciences) qui promeut l’enseignement et la diffusion de la pensée critique et de l’autodéfense intellectuelle. Grâce à un minutieux travail d’investigation, qui emprunte à la rigueur de la démarche scientifique, Nicolas Gaillard questionne la valeur de cette pratique.

L’ouvrage est composé de six chapitres, dont la démarche et la méthode sont explicitées en introduction de chacun d’eux. Les concepts clés de la psychogénéalogie sont passés en revue dans le premier chapitre, certains relativement faciles à appréhender (transmission transgénérationnelle, loyauté inconsciente, malédiction familiale), d’autres plus énigmatiques (cryptes et fantômes, syndrome du gisant). La pierre angulaire en est le « syndrome d’anniversaire », selon lequel il y aurait coïncidence entre les dates ou années des événements vécus par les générations antérieures et celles où leurs effets ressurgiraient, de façon inconsciente, chez les descendants. Le second chapitre est consacré aux différentes techniques de base de la pratique psychogénéalogique. L’outil incontournable est le « génosociogramme », sorte d’arbre généalogique du patient sur lequel sont indiqués nombre d’aspects de l’histoire familiale. L’objectif est d’identifier les répétitions qui révéleraient les liens entre certains événements, en général dramatiques, ayant affecté les ancêtres et les difficultés de celui qui vient consulter (incluant l’autisme, les cancers ou les maladies auto-immunes), dans un schéma interprétatif mêlant « psychosomatique » et « inconscient familial ». Le décryptage de ces liens « transgénérationnels » repose également sur l’interprétation métaphorique des prénoms ou des métiers exercés. Un rituel thérapeutique, usant de divers actes symboliques, permet ensuite de « rompre la chaîne de la représentation de la malédiction » et de « soigner l’arbre ». L’exposé de « l’agrégat théorique » et du contexte à l’origine de la psychogénéalogie occupe le chapitre suivant. La part belle revient à la fondatrice de la pratique, Anne Ancelin Schützenberger, qui a subi des influences variées, tout spécialement dans le champ de la psychanalyse (Freud, Jung, Lacan et Dolto notamment). Les pratiques apparentées telles que la « périphérie douteuse » ou le « rebirthing », sont également évoquées. Le quatrième chapitre éprouve, à l’aune des probabilités statistiques et des biais cognitifs, la véritable nature des coïncidences révélées par l’approche psychogénéalogique, selon laquelle « rien ne serait dû au hasard ». La conclusion est sans appel : le « syndrome d’anniversaire » est sans fondement puisque le hasard suffit à expliquer les similitudes de dates et d’années relevées dans le « génosociogramme ». Le cinquième chapitre rend compte des publications auxquelles se réfèrent les psychogénéalogistes et sur la base desquelles ils prétendent prouver le bien-fondé de leur pratique. Au terme d’une analyse précise, seule une étude parue en 1961, non répliquée depuis, respecte une démarche scientifique. Nicolas Gaillard démontre néanmoins certaines faiblesses méthodologiques majeures de cette étude. Voilà qui fait trop peu et suffit à ranger la psychogénéalogie au rayon des pseudo-sciences. Ceci participe de l’attrait récent qu’exerce l’épigénétique, le « principal espoir d’une validation du concept transgénérationnel » 1. Finalement, le dernier chapitre interroge la place de la psychogénéalogie parmi les psychothérapies. Si le patient en quête de sens peut avoir « l’impression que ça marche », ce n’est qu’une illusion nourrie par des prophéties autoréalisatrices s’appuyant sur un postulat en apparence irréfutable : « Tout le monde a des secrets, il faut donc les trouver. » Plus grave, des problèmes éthiques (faux souvenirs induits, dérives sectaires) sont signalés, qui font de la psychogénéalogie une pratique « dangereusement séduisante ».

D’une lecture aisée et fort bien documenté, Les Illusions de la psychogénéalogie permet au lecteur de trouver de bons repères pour se forger un avis sur une pratique qui, bien que très en vogue et médiatisée, n’est pas validée par la psychologie scientifique. Derrière un jargon propre à impressionner le néophyte, les méthodes et les affirmations de la psychogénéalogie se révèlent non fondées. Au-delà du cadre de la psychogénéalogie, la démarche rigoureuse qui sous-tend l’enquête déployée par Nicolas Gaillard a une valeur pédagogique qui est transposable à tout questionnement relatif à nombre de pseudo-sciences. Ce livre documente ainsi la nécessité de se méfier de pratiques usant de concepts non scientifiques, sans définition objective, telle la notion d’inconscient – au sens freudien du terme – qui permet les dérives interprétatives de la psychogénéalogie. Comme le souligne Jacques Van Rillaer, dans la préface de l’ouvrage : « […] on peut tirer du chapeau de l’Inconscient tous les lapins qu’on veut. »

1 Voir l’article dans le numéro 344 de Science et pseudo-sciences « La psychogénéalogie peut-elle sortir de son statut de pseudo-science grâce à l’épigénétique ? »