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La psychogénéalogie peut-elle sortir de son statut de pseudo-science grâce à l’épigénétique ?

Publié en ligne le 22 août 2023 - Pseudo-sciences -

La psychogénéalogie, aussi appelée « analyse transgénérationnelle », est une pseudo-science d’inspiration psychanalytique très en vogue et qui postule que certains problèmes de santé seraient dus à des traumas de ses ancêtres qui se seraient transmis « d’inconscient à inconscient » [1]. La thérapie proposée vise alors à « apaiser le mal-être de la personne qui consulte en lui proposant d’analyser la généalogie dont elle est issue pour mieux comprendre la place et les missions qui lui ont été léguées par les générations de femmes et d’hommes qui l’ont précédée » [1].

En recherche de validation scientifique, les promoteurs de ces pratiques ont voulu trouver dans l’épigénétique un mécanisme à l’appui de leurs allégations. Ainsi, Natacha Calestrémé, journaliste et auteure d’ouvrages qui font partie des meilleures ventes au rayon du développement personnel [2] déclarait sur CNews en octobre 2021 [3] : « En fait, l’épigénétique […] montre combien on peut hériter d’une épreuve de nos parents, de nos grands-parents, que ça s’inscrit dans nos gènes. Nos gènes sont transformés, et donc, on va hériter […] On porte une épreuve qui n’avait pas été réglée par nos parents ou nos grands-parents, qui nous a été transmise malgré nous. L’épigénétique le montre, c’est scientifique. Sur le plan psychologique, on parle de transgénérationnel. »

En mai 2022, elle illustrait son propos par le cas d’une patiente atteinte d’endométriose 1 dans une émission qui devait être diffusée sur France 2 : « Il y a une culpabilité dont vous avez hérité […] c’est le transgénérationnel. Vous avez hérité de cette grand-mère ou arrière-grand-mère qui ont fait des enfants, qui ont perdu des enfants. Et l’endométriose, pour tous ceux qui nous écoutent, c’est un message de notre corps qui nous dit qu’avant il y a eu une souffrance énorme d’une personne qui a associé le mot enfance et mort… » La publication en avant-première de l’extrait vidéo d’où sont tirés ces propos a suscité de nombreuses réactions, notamment d’associations en faveur d’une meilleure prise en charge médicale de l’endométriose, qui ont conduit à la déprogrammation de l’émission [4].

La psychogénéalogie, une pratique très répandue

Les thèses de cette pratique à visée thérapeutique se sont fait connaître en France au travers de plusieurs ouvrages, en particulier Aïe, mes aïeux ! d’Anne Ancelin Schützenberger, de nombreuses fois réédité et qui s’est vendu à ce jour à plus de 400 000 exemplaires selon son éditeur [5]. Il y est question d’une « thérapie transgénérationnelle psychogénéalogique contextuelle » qui présuppose que « nous sommes un maillon dans la chaîne des générations et que nous avons parfois, curieusement, à “payer les dettes” du passé de nos aïeux » (4e de couverture).

Dans une série récemment rediffusée sur France Culture, il est précisé que « cela peut signifier qu’un événement vécu par un ancêtre, 50, 100 ans auparavant, des exemples remontent à 1 000 ans en arrière, peut orienter le choix d’une vie, déterminer des vocations, déclencher des maladies, et même provoquer des accidents » [6].

« L’épigénétique le montre, c’est scientifique »

D’inspiration psychanalytique (selon Anne Ancelin Schützenberger, « la psychanalyse est à la fois indispensable et insuffisante » [7]), et sans aucune validité scientifique, la psychogénéalogie s’appuie sur une rhétorique qui s’apparente plus à la numérologie qu’à une approche psychologique rationnelle [8] (et note de lecture à la suite de l’article). La recherche d’une caution scientifique a conduit les promoteurs de cette pratique à se saisir des récents résultats d’une discipline en plein développement : l’épigénétique.

Ainsi, une psychopraticienne « spécialiste de Gestalt-thérapie et de psychogénéalogie », affirme que « les découvertes récentes des sciences (transmission épigénétique, […]) décrivent des processus physiologiques qui permettent de comprendre comment l’histoire d’un aïeul peut nous atteindre et nous marquer de son empreinte avant même notre conception » 2 [9]. Le sous-titre d’un article sur la psychogénéalogie paru en 2021 dans l’hebdomadaire La Vie [10] évoque une « enquête sur ces processus étonnants, entre épigénétique et neurosciences ».

Pour l’auteur d’un blog consacré à la généalogie, et sous le titre « Épigénétique : la psychogénéalogie vient-elle de gagner ses lettres de noblesse ? » [11], il n’y a pas de doute : « La psychogénéalogie a été controversée pendant des décennies jusqu’à ce qu’elle trouve ses premières preuves solides dans l’épigénétique. » Enfin, le parrain de la Fédération française de psychogénéalogie, chimiste de formation, explique qu’« on sait aujourd’hui, grâce à de nombreuses publications scientifiques, qu’une modification génétique (due à un traumatisme, par exemple) peut laisser une “cicatrice” visible sur les gènes qui peut se traduire in fine sur une modification du comportement ou de la personnalité des individus des générations successives » [12].

Scène familiale à Saint-Tropez, Jules-Émile Zingg (1882-1942)

Cette liste, non exhaustive, témoigne de l’importance que le mot épigénétique a pris dans le vocabulaire de ceux qui veulent donner une légitimité scientifique à la psychogénéalogie. La popularité sans cesse croissante du terme « épigénétique », grâce notamment à des titres ou jaquettes accrocheurs d’ouvrages grand public traitant d’épigénétique et prétendant que « Votre mode de vie compte plus que votre hérédité » [13] ou « Comment l’épigénétique va changer votre vie » [14] est probablement une des raisons de l’engouement des promoteurs de la psychogénéalogie.

Hérédité et épigénétique : rien n’est simple

Génétique et hérédité
L’hérédité est la transmission au sein d’une espèce vivante de caractéristiques biologiques (caractères) d’une génération à l’autre. Les caractères dépendent de protéines, molécules qui jouent un rôle clé dans la structure et le fonctionnement de nos cellules. L’information nécessaire à la fabrication des protéines est stockée dans des segments d’ADN, les gènes. La transmission héréditaire des caractères dépend donc de celle des gènes, le domaine d’étude de la génétique. La variabilité d’un caractère dans une espèce est, selon la génétique, le reflet de variations dans les gènes, appelées mutations, qui conduisent à générer des protéines différentes.

L’épigénétique
L’épigénétique est définie par rapport à la génétique. Littéralement ce terme signifie « au-dessus de la génétique » (du grec ἐπί : sur). Parmi les mécanismes qui contrôlent l’expression d’un gène, c’est-à-dire la production en plus ou moins grande quantité de la protéine qui lui correspond, certains relèvent du domaine de l’épigénétique. Bien que les mêmes gènes soient présents dans toutes les cellules d’un organisme, les protéines produites ne sont pas les mêmes, ce qui rend compte de la variété des fonctions assurées par tel ou tel type de cellule.

Les mécanismes épigénétiques reposent sur certaines modifications chimiques qui contrôlent l’activité des gènes, sans toucher à l’information génétique. Ces modifications sont essentielles pour définir quels sont les gènes actifs ou inactifs dans une cellule en fonction de son identité et en réponse à son environnement. Ainsi, par exemple, le gène de l’insuline ne peut être activé, suite à l’augmentation de la concentration sanguine du glucose, que dans certaines cellules du pancréas. Le maintien de l’identité des cellules, y compris lorsqu’elles se divisent, repose sur la persistance de l’état (actif ou inactif) des gènes (voir encadré « La barrière épigénétique »). Au sens strict, parmi toutes les modifications chimiques qui déterminent l’état d’un gène, ne sont considérées comme épigénétiques que celles qui sont stables dans le temps, une fois disparu le facteur déclenchant, et au travers des divisions cellulaires. Ce n’est pas le cas des modifications qui accompagnent les fluctuations régulières de l’activité des gènes comme celles dues à l’alternance jour/nuit.

La barrière épigénétique


L’ensemble des cellules de notre organisme dérive d’une seule cellule originelle, la cellule-œuf, résultant de la fusion d’un ovocyte avec un spermatozoïde. Au cours du développement de l’embryon, les cellules prolifèrent et se spécialisent, exprimant graduellement des gènes différents qui leur permettent de remplir des rôles spécifiques. Des mécanismes épigénétiques se mettent en place pour maintenir l’expression des gènes « utiles » et réduire au silence les gènes « inutiles ».

Le niveau d’expression d’un gène peut fluctuer de façon réversible au cours des premiers temps de l’embryogenèse, pour ensuite, en réponse à des signaux spécifiques, se stabiliser sur un mode actif ou silencieux. Une fois son identité acquise, une cellule de peau reste une cellule de peau durant toute la vie de l’organisme.

La notion de « barrière épigénétique » qui sépare les différents types cellulaires fait allusion à la stabilité des marques épigénétiques responsables de l’identité des cellules. La robustesse de cette barrière n’est toutefois pas sans limites et celle-ci peut être franchie dans certaines conditions particulières.

Source
La Roche Saint-André de C, Quand l’épigénétique s’en mêle : une hérédité au-dessus des gènes... vraiment ?, Book-e-Book, collection « À la lumière de la science », 2022.

Il est nécessaire de préciser que les mécanismes en charge de l’état épigénétique des gènes (ce qui fait que ceux-ci sont actifs ou non) sont assurés par des protéines et dépendent donc d’autres gènes. En conséquence, la génétique conditionne l’épigénétique et des mutations qui touchent cette famille de gènes particuliers vont affecter les capacités de contrôle épigénétique dont dispose la cellule.

Effet intergénérationnel, transgénérationnel et hérédité épigénétique
La capacité qu’ont les organismes vivants d’adapter le niveau d’expression de leurs gènes aux conditions environnementales repose sur la sensibilité à celles-ci des protéines responsables des modifications épigénétiques. Des perturbations de l’environnement peuvent affecter durablement l’activité de certains gènes au-delà de la génération concernée. Cette transmission à la génération suivante (effet intergénérationnel) peut se poursuivre sur plusieurs générations (effet transgénérationnel). On peut alors évoquer l’existence d’une hérédité épigénétique se superposant à l’hérédité génétique (soit la transmission des gènes proprement dite). Des modes de transmission épigénétique ont été mis en évidence puis caractérisés chez les plantes ou certains animaux modèles (tel un petit ver de taille millimétrique).

Chez les mammifères, la plupart des marques épigénétiques sont effacées lors de la formation des cellules reproductrices (spermatozoïdes et ovocytes) puis lors des premières étapes du développement de l’embryon. Ce processus d’effacement est essentiel pour que puissent être réinstallées les marques épigénétiques propres à chaque type de cellule qui constitue l’organisme. Cette « remise à zéro » – on parle de « reprogrammation épigénétique » – s’oppose ainsi à la transmission à la descendance des modifications épigénétiques éventuellement acquises lors de la vie d’un individu. Une étude très récente chez la souris [15] décrit la mémorisation à travers les générations d’un changement épigénétique induit expérimentalement de manière artificielle. On ignore pour l’instant si ce résultat s’applique à un changement épigénétique équivalent obtenu dans des conditions naturelles.

Chez l’Homme, même si les résultats de quelques études, essentiellement de nature épidémiologique, peuvent être interprétés en faveur d’une transmission transgénérationnelle de certains effets, l’existence d’une véritable hérédité épigénétique n’est pas communément admise [16, 17]. Quant aux effets simplement intergénérationnels, ils font généralement référence aux impacts des conditions vécues lors de la grossesse sur la santé de la progéniture. Il suffit de considérer que certaines modifications épigénétiques acquises durant la vie fœtale puissent persister jusqu’au stade adulte. Il n’y a donc pas lieu d’invoquer une transmission héréditaire dans ce cas [18, 19].

Portrait des parents de l’artiste, Salomon de Bray (1597-1664)

Les promoteurs de la psychogénéalogie qui invoquent l’épigénétique n’ont sûrement pas idée de la complexité des concepts en jeu lorsqu’il est question d’hérédité et de la subtilité sémantique que les mots (comme transgénérationnel) ont dans ce cadre. Une compréhension superficielle leur suffit pour se convaincre de la légitimation scientifique que l’épigénétique apporterait à leur pratique et ce, d’autant plus facilement que certaines données de la littérature scientifique pourraient sembler, à première vue, leur donner raison.

Transmission des traumas : une part pour l’épigénétique ?

Les enfants de survivants de la Shoah

Deux études publiées en 2014 et en 2016 par une psychiatre et neuroscientifique, spécialiste du syndrome de stress post-traumatique, ont porté sur des enfants de survivants de la Shoah [20, 21]. Ces études montrent que l’augmentation du risque de développer anxiété et dépression chez ces enfants est corrélée à des variations du niveau de la méthylation 3 de l’ADN de gènes impliqués dans la réponse au stress, similaires à celles retrouvées chez leurs parents. Pour les auteurs, il « s’agit de la première démonstration d’une association entre un traumatisme parental avant la conception et des altérations épigénétiques qui sont évidentes à la fois chez le parent exposé et chez sa progéniture, ce qui permet de comprendre comment un traumatisme psychophysiologique grave peut avoir des effets intergénérationnels » [21].

Ces travaux ont reçu un fort éclairage médiatique mettant en avant l’idée que le drame vécu par les victimes du génocide affecte la santé psychologique de leurs descendants au travers d’une hérédité épigénétique. Ainsi, le journal Le Monde [22] rendait compte de ces travaux en titrant « La Shoah, un traumatisme héréditaire » et The Guardian [23] « L’étude des survivants de l’Holocauste révèle que le traumatisme se transmet aux gènes des enfants ». Si The Guardian met bien en garde contre la surinterprétation des résultats en faveur d’un mécanisme épigénétique [24], certains autres médias (par exemple [25, 26]) vont en revanche plus loin en affirmant que le traumatisme « se transmet génétiquement », témoignant que la différence entre épigénétique et génétique n’est pas toujours bien facile à comprendre.

Des réserves sur l’interprétation épigénétique
Cependant, la communauté scientifique est loin d’être unanime derrière l’interprétation proposée et, comme le soulignent des chercheurs dans un article publié en 2016, les études de ce type « souffrent de multiples problèmes de conception et d’exécution qui limitent fortement leur interprétabilité » [27]. Tout d’abord, il est possible que les variations de méthylation de l’ADN observées soient dues à des différences génétiques qui affectent la méthylation des gènes. La transmission de ces différences expliquerait alors la similitude de méthylation observée entre parents et enfants.

Ensuite, les niveaux de méthylation des gènes ayant été analysés dans des cellules du sang, rien ne dit qu’ils soient équivalents à ceux des cellules du cerveau qui sont le siège des troubles psychologiques mesurés.

Par ailleurs, le rôle de la transmission culturelle, même s’il n’est pas formellement ignoré, pourrait en réalité être essentiel, ne serait-ce qu’au travers de l’émotion générée chez les enfants par les histoires terrifiantes que les parents ont pu leur raconter [28] ou par le poids de cette histoire qui aura hanté leur vie familiale.

Enfin, une relation causale opposée est tout à fait concevable. Le stress des enfants pourrait en effet être responsable des changements de méthylation des gènes étudiés et non l’inverse.

Une partie de la presse a rendu compte de ces réserves. Le quotidien israélien Haaretz [29] fait ainsi état « des doutes sur la prétendue transmission épigénétique des traumatismes liés à l’Holocauste » et le Chicago Tribune évoque le fait que « des experts discréditent l’étude qui a révélé que le traumatisme de l’Holocauste est hérité » [30].

Des faits aux interprétations

La prise en compte de l’ensemble des critiques permet de distinguer deux façons d’interpréter les mêmes faits, à savoir qu’une expérience traumatique chez les parents (génération n) est associée à une modification épigénétique (méthylation de l’ADN) qui touche certains gènes (impliqués dans la réponse au stress) et que chez les enfants (génération n+1, non directement concernée par le trauma), affectés par des troubles pathologiques (anxiété et dépression), sont retrouvées des modifications épigénétiques similaires 4.

Interprétation épigénétique : beaucoup de questionnements
Selon cette première interprétation qui fait la part belle à l’épigénétique, le fait de retrouver des modifications épigénétiques comparables chez les deux générations indique que les enfants ont hérité de celles-ci et qu’elles sont responsables de leurs problèmes psychologiques.

Si l’on prend le temps de considérer ce qu’implique cette vision des choses, on constate que sa simplicité n’est qu’apparente. La transmission du stress entre les deux générations selon un mécanisme épigénétique impliquerait une succession d’étapes qui constituent autant de questionnements (flèches rouges en pointillés dans la figure). Il faut tout d’abord supposer que soit produit dans les cellules à l’origine des cellules reproductrices un changement épigénétique en rapport avec le stress subi par l’organisme, et donc a priori analogue à celui généré dans les cellules du cerveau. Celui-ci doit ensuite résister à la reprogrammation épigénétique qui accompagne la formation des cellules reproductrices (sur la figure, des spermatozoïdes) puis le développement précoce de l’embryon, et ensuite être reproduit dans les cellules cérébrales du fœtus d’une façon qui soit assez stable pour persister dans celles de l’individu qui en dérive. Selon les connaissances actuelles, il n’existe aucun mécanisme moléculaire ayant la robustesse et la spécificité requises pour relayer un tel message épigénétique d’un individu humain à l’autre.

Deux schémas explicatifs possibles

Interprétation culturelle : plus simple et parcimonieuse
Sans doute moins attrayante médiatiquement, une interprétation existe où l’apparente transmission du stress entre deux générations est essentiellement d’ordre culturel (flèche verte dans la figure). Ce sont les interactions sociales entre parents et enfants (ou l’environnement social et médiatique qui a largement rendu compte de ces événements dramatiques) qui ont impacté leur famille et qui induisent anxiété et dépression dans la descendance. L’altération de l’état psychologique pouvant être la source de changements épigénétiques [31], la similitude des modifications épigénétiques retrouvées chez les deux générations est simplement le reflet d’une réponse au stress dans les deux cas.

En l’absence d’arguments scientifiques qui cadrent avec les données actuelles de l’épigénétique, cette interprétation s’avère la moins coûteuse en hypothèses.

Loin de l’épigénétique et loin de la transmission entre générations

Cet exemple a le mérite de poser les questions non encore résolues et auxquelles il faudrait répondre pour envisager la participation d’une hérédité épigénétique dans ce qui s’apparente à la transmission de traumas chez l’humain.

Et encore n’est-il question dans ce cas que de transmission intergénérationnelle (entre deux générations successives), loin de la transmission transgénérationnelle (sur plusieurs générations) chère aux psychogénéalogistes. Lorsque ces derniers affirment l’existence d’une hérédité épigénétique, ceux-ci font de toute façon preuve d’une certaine incohérence. En effet, en reliant spécifiquement le trauma d’un aïeul avec le mal-être d’un arrière-petit enfant, ils omettent les générations intermédiaires. Or, d’un point de vue épigénétique, il faudrait considérer l’ensemble. Au bout de trois générations, chacun de nous possède pas moins de quatorze ascendants. Comment expliquer que les marques épigénétiques d’un seul individu puissent l’emporter sur celles de tous ceux et celles qui ont contribué à notre constitution génétique ?

Ainsi, la psychogénéalogie cherche dans l’épigénétique des justifications scientifiques qui sont finalement assez peu compatibles avec ses présupposés. Si, malgré tout, cette légitimité est mise en avant, c’est que l’idée d’une transmission héréditaire des traumatismes exerce un pouvoir d’attraction indéniable sur le grand public. Avec l’épigénétique, l’opportunité d’une caution scientifique est trop séduisante pour ne pas en faire usage pour promouvoir ces « héritages émotionnels » auxquels tient tant Natacha Calestrémé : « Une épreuve vécue par notre famille, nos parents, nos grands-parents, va impacter l’expression de leur ADN. La génération suivante voire celle d’après encore, va hériter de cette transformation de l’expression des gènes. L’épigénétique permet d’expliquer les héritages transgénérationnels. Dès qu’on se dit : “Je fais tout pour être en bonne santé, trouver l’amour, gagner de l’argent et je n’y arrive pas”, il y a 90 % de chances que ce soit dû à un héritage émotionnel de notre famille » [32].

Transmission, Vassily Kandinsky (1866-1944)

Notons que les choses ont bien évolué depuis l’époque où, à propos de psychogénéalogie, on pouvait entendre : « Rien d’héréditaire dans cette approche. C’est par l’esprit et non par les gènes que la transmission se fait » [7]. À cette époque, c’était l’interprétation psychanalytique qui dominait et toute référence à la génétique était proscrite.

Un pouvoir d’attraction contagieux ?

Invoquer la science de l’épigénétique, en rapport avec l’héritage de traumas, n’est pas le propre des psychogénéalogistes. Ainsi, le président du Mouvement international pour les réparations (MIR), dans le cadre d’une requête en réparation et indemnisation des crimes de traite négrière et d’esclavage par l’État français [33] déclarait : « Nous allons leur faire la démonstration que du point de vue scientifique, en nous appuyant sur des rapports épigénétiques, dans notre population, dans les populations noires, eh bien il y a un degré de causalité entre l’esclavage et l’hypertension par exemple, le diabète… » Attentats, viols, génocides  : l’existence de traumas est évidente et leurs conséquences peuvent concerner dans certains cas les générations suivantes. Mais invoquer l’épigénétique comme facteur explicatif ne repose pas sur les données les plus solides de la science.

En attendant, l’exploitation des pouvoirs supposés de l’épigénétique sur notre santé a encore de beaux jours devant elle. Ils fournissent déjà un argument de vente, comme l’illustre la promotion des bienfaits d’une « cure épigénétique », afin d’« exprimer au mieux votre héritage génétique », sur le site d’une société de thalassothérapie [34].

Références


1 | Rollin M, « La psychogénéalogie ou thérapie familiale : qu’est-ce que c’est ? », Passeport Santé, avril 2017. Sur passeportsante.net
2 | Benz S, Malher T, « Natacha Calestrémé, reine du bien-être », L’Express, 28 juillet 2022. Sur lexpress.fr
3 | « Natacha Calestrémé “bluffée par les questions de Jean Marc Morandini” », CNews, 18 octobre 2021. Sur facebook.com
4 | Zoltodobra M, « Face à la polémique, France 2 déprogramme un “Ça commence aujourd’hui” consacré à l’endométriose », Le Parisien, 3 mai 2022. Sur le parisien.fr
5 | Ancelin Schützenberger A, Aïe, mes aïeux !, Desclée de Brouwer, 2015.
6 | « La psychogénéalogie ou l’analyse transgénérationnelle », podcast France Culture, 2022. Sur radiofrance.fr
7 | Marmion JF, « Anne Ancelin Schützenberger : pas de famille sans secrets », Sciences Humaines. Sur scienceshumaines.com
8 | Gauvrit N, « Psychogénéalogie dans l’étrange lucarne », SPS n° 282, mai 2008.
9 | Couvert B, Hériter de l’histoire familiale ? Ce que la science nous dévoile sur la psychogénéalogie, Éditions du Rocher, 2021.
10 | Guion A, « Psychogénéalogie, quand l’histoire familiale éclaire les traumatismes », La Vie, 16 juin 2021. Sur lavie.fr
11 | « Épigénétique : la psychogénéalogie vient-elle de gagner ses lettres de noblesse », blog Généastuces, 2021. Sur geneastuces.fr (site devenu privé).
12 | Vita N, « Le parrain ». Sur federation-psychogenealogie.com
13 | Urman V, La Révolution épigénétique, Albin Michel, 2018.
14 | De Rosnay J, La Symphonie du vivant, Les Liens qui Libèrent, 2018.
15 | Takahashi Y et al., “Transgenerational inheritance of acquired epigenetic signatures at CpG islands in mice”, Cell, 2023, 186 :715-31.
16 | Walker VR et al., “Human and animal evidence of potential transgenerational inheritance of health effects : an evidence map and state-of-the-science evaluation”, Environ Int, 2018, 115 :48-69.
17 | Ghai M, Kader F, “A review on epigenetic inheritance of experiences in humans”, Biochem Genet, 2022, 60 :1107-40.
18 | Jawaid A et al., “Impact of parental exposure on offspring health in humans”, Trends Genet, 2021, 37 :373-88.
19 | de La Roche Saint-André C, Quand l’épigénétique s’en mêle : une hérédité au-dessus des gènes… vraiment ?, Book-eBook, collection « À la lumière de la science », 2022.
20 | Yehuda R et al., “Influences of maternal and paternal PTSD on epigenetic regulation of the gucocorticoid receptor gene in holocaust survivor offspring”, Am J Psychiatry, 2014, 171 :872-80.
21 | Yehuda R et al., “Holocaust exposure induced intergenerational effects on FKBP5 methylation”, Biol Psychiatry, 2016, 80 :372-80.
22 | Thivent V, “La Shoah, un traumatisme héréditaire”, Le Monde, 23 juin 2014. Sur lemonde.fr
23 | Thomson H, “Study of Holocaust survivors finds trauma passed on to children’s genes”, The Guardian, 21 août 2015. Sur theguardian.com
24 | Birney E, “Why I’m sceptical about the idea of genetically inherited trauma”, The Guardian, 11 septembre 2015. Sur theguardian.com
25 | Thevenot J, « Le traumatisme de la Shoah se transmet génétiquement, selon une étude scientifique », HuffPost, 26 août 2015. Sur huffingtonpost.fr
26 | Daam N, « Le traumatisme de l’Holocauste se transmet génétiquement », Slate, 23 août 2015. Sur slate.fr
27 | Birney E et al., “Epigenome-wide Association Studies and the Interpretation of Disease -Omics”, Plos Genetics, 2016, 12 :e1006105.
28 | Glausiusz J, “Searching chromosome for the legacy of trauma”, Nature, 2014.
29 | Glausiusz J, “Doubts arising about claimed epigenetics of holocaust trauma”, Haaretz, 30 avril 2017. Sur haaretz.com
30 | Yasmin S,“Experts debunk study that found Holocaust trauma is inherited”, Chicago Tribune, 9 juin 2017. Sur chicagotribune.com
31 | Rahman M, McGowan P, “Cell-type specific epigenetic effects of early life stress on the brain”, Transl Psychiatry, 2022, 12 :236.
32 | Calestrémé N, « Se libérer des héritages émotionnels », La Nouvelle République des Pyrénées, 27 septembre 2021. Sur nrpyrenees.fr
33 | Octavia S, « Procès sur les réparations : “Nous allons continuer jusqu’en Cassation” », France Info, 20 janvier 2022. Sur francetvinfo.fr
34 | « Cure 6 jours et + : pour un bien être durable ». Sur thalazur.fr

1 Maladie gynécologique inflammatoire et chronique qui touche près de 10 % des femmes, liée à la présence, hors de la cavité utérine, de tissu semblable à celui de la muqueuse de l’utérus (source : Ameli, le site de l’Assurance maladie).

2 Cet ouvrage a fait l’objet d’une note de lecture favorable dans la rubrique « À lire » de Pour la science, en octobre 2021.

3 La méthylation de l’ADN, l’une des modifications épigénétiques les plus étudiées, modifie l’activité des gènes sans changer les gènes eux-mêmes.

4 Rappelons qu’à chaque fois, la modification épigénétique a été analysée dans les cellules sanguines et non dans les cellules du cerveau.