Vers l’infini à petit pas

Michel Crézé, après une longue carrière à la tête des observatoires de Besançon et de Strasbourg et à la présidence de la section d’astronomie du comité national du CNRS, dresse un panorama lucide de la science. D’après lui, il ne faut pas lui demander de soulager nos anxiétés, de résoudre nos quêtes spirituelles : la science doit seulement traduire la réalité, rendre les phénomènes naturels intelligibles, rechercher des explications à « l’immensité qui reste à découvrir » ; pour ce faire ses outils sont l’observation, la mesure, l’expérimentation, la théorisation, etc.

Dans son introduction, l’auteur révèle qu’il avait d’abord envisagé d’exposer ses idées comme un roman. Bien que ses amis l’aient « convaincu que ce n’était pas une bonne idée », il décide de laisser « au hasard des pages » quelques personnages fictifs prendre en charge l’exposé : son avatar, Louis, un astrophysicien nonagénaire qui explique la science à Émilie, son arrière-petite-fille, « qui tient le rôle de Candide » et à Hayana, « une copine d’Émilie initiée à la physique mathématique » qui joue le rôle de truchement. Ce procédé peut dérouter le lecteur. J’avoue cependant que j’ai fini par être séduit par cette démarche qui simplifie l’explication de certains passages ardus.

C’est probablement l’existence de ces personnages qui a permis à l’éditeur de parler d’une histoire « construite comme un roman ». Mais qu’on ne s’y trompe pas : elle ne se lit pas « comme un roman », elle exige au contraire une attention soutenue. En effet, l’érudition de l’auteur navigue souvent – simultanément – dans les méandres de la science, de la philosophie, de la littérature, de la musique, etc.

M. Crézé s’impose d’emblée la plus compliquée des tâches : restituer, suivant la recommandation de Ludwig Wittgenstein, la signification de chaque mot « dans le langage de la tribu des physiciens ». En voici des exemples : le temps, l’infini, l’horizon, l’instant, la durée, la particule, le point dans l’espace, la distance, la nature, la réalité, le hasard, etc. Rien que pour examiner la notion de temps, il faut à l’auteur presque la moitié du livre. Il est vrai qu’il inclut dans l’étude le Big Bang, l’expansion de l’Univers, la flèche du temps et d’autres thèmes complexes.

Inévitablement, quand il s’agit d’aborder philosophiquement la notion du temps, on est obligé de se référer à saint Augustin (IV^e siècle après J.-C.) qui a réfléchi à la contradiction entre l’existence du temps et Dieu, cet être éternel pour qui le temps n’a pas de sens. Ce Père de l’Église affirme que c’est Dieu qui a créé le temps, que celui-ci n’existait pas avant la Création.

Un chapitre remarquable concerne la mission spatiale Hipparcos que M. Crézé a contribué à élaborer.

Vers l’infini à petit pas n’est pas un livre où l’on peut chercher une chronologie des découvertes et des avancées scientifiques. Elles y sont, certes, mais enchevêtrées avec des considérations scientifiques et culturelles de haute volée.

Il en résulte un ouvrage riche en notions philosophiques et métaphysiques. Bien écrit, il devrait intéresser les chercheurs du CNRS, le public universitaire et les amateurs de concepts philosophiques en science.