Accueil / Notes de lecture / L’âge sauvage

L’âge sauvage

Publié en ligne le 9 octobre 2023
L’âge sauvage
L’adolescence chez les humains et les animaux
Barbara Natterson-Horowitz et Kathryn Bowers
Éditions Markus Haller, 2023, 416 pages, 28 €

Barbara Natterson est professeur de médecine à l’université de Californie à Los Angeles (UCLA). Kathryn Bowers est éthologue. Elles avaient déjà publié un ouvrage qui a connu le succès aux États-Unis : What animals can teach us about health and the science of healing 1. Se situant dans la perspective de la biologie évolutionnaire, elles avaient présenté les mécanismes de maladies physiques et mentales enracinés dans notre phylogénèse. Elles adoptent ici la même perspective en effectuant des comparaisons entre des comportements animaux et humains, mais à une époque cruciale de la vie : l’adolescence. L’ouvrage nous en apprend beaucoup sur les animaux, mais également sur les humains, ce qui en fait un remarquable guide pour les parents et toute personne qui s’occupe d’adolescents.

Rappelons que la puberté est un phénomène biologique déclenché par des hormones, qui débouche sur la possibilité pour un animal de se reproduire. L’adolescence est le processus de maturation par l’expérience qui conduit au stade adulte. Les auteurs montrent que les humains, mais également la plupart des animaux, doivent développer quatre compétences fondamentales durant cette période : éviter les dangers ; maîtriser les hiérarchies sociales et se faire une place dans un groupe ; communiquer sexuellement et apprendre les règles de la séduction ; assurer sa survie alimentaire.

Les éthologues d’aujourd’hui disposent de jumelles, de colliers émetteurs, de caméras de surveillance à distance, de relevés par drone et de télémétrie par satellite. Ils peuvent ainsi suivre le cours de la vie d’un animal dans la nature pendant de longues périodes. Grâce à ces techniques, les auteurs présentent, de façon très détaillée, les parcours de pingouins, d’hyènes, de baleines et de loups.

Épinglons quelques exemples parmi des dizaines d’autres. Au chapitre « Sécurité », notons que les animaux adolescents sont les proies les plus faciles dans la mesure où les petits restent auprès des parents et où les adultes ont appris à éviter les prédateurs

Selon une étude américaine 2, sur près de dix mille tentatives d’enlèvement d’enfants (de nourrissons à 18 ans) les proies les plus faciles des ravisseurs sont les enfants entre 8 et 15 ans. La persuasion verbale leur suffit généralement. La plupart de ces enlèvements ont lieu quand des adolescents en pleine croissance se rendent à l’école ou rentrent chez eux. Les délinquants leur proposent de les déposer en voiture et leur offrent des bonbons ou des boissons. Il leur arrive aussi de demander à leurs victimes de les aider à retrouver une personne, leur enfant qui s’est perdu ou un animal de compagnie.

Concernant le statut social, notons que les animaux y sont très attentifs et que la « chute sociale » a des effets douloureux aboutissant parfois au dépérissement. Ainsi, même s’il s’agit d’un phénomène très récent à l’échelle de l’évolution, nos adolescents subissent à présent des évaluations incessantes par les réseaux sociaux. Les auteurs montrent que si la « copulation forcée » se trouve chez beaucoup d’animaux, le cas le plus fréquent est la « parade nuptiale », faite de « discussions » entre les partenaires. Une illustration du fait que la plupart des animaux reçoivent une éducation pour se procurer leur propre nourriture : les suricates apprennent à leurs petits à tuer et à consommer en toute sécurité le venimeux scorpion à queue épaisse Parabuthus. Les adultes retirent les dards de ces arachnides avant de les donner, encore vivants, aux jeunes. À mesure que le suricate devient plus averti en matière de scorpions, les adultes lui apportent des spécimens vivants, avec leur dard, et surveillent le petit pendant qu’il les désarme, les tue et les consomme.

Soulignons la qualité de la traduction, le soin apporté dans la rédaction d’un index, d’un glossaire et de quarante pages de notes. L’éditeur de la traduction française avait déjà publié un excellent ouvrage sur la biologie évolutionnaire : L’Origine des troubles mentaux. La psychiatrie au miroir de l’évolution de Randolph Nesse, présenté dans Science et pseudo-sciences 3. Ces deux ouvrages se complètent. Ils montrent que les humains sont une branche de l’arbre de l’évolution et qu’il y a beaucoup à apprendre de la comparaison entre différentes espèces.

1 NDLR : ce livre n’a pas été traduit en français, mais le titre pourrait être traduit ainsi : Ce que les animaux peuvent nous apprendre en matière de santé et de l’art de la guérison.

2 National Center for Missing and Exploited Children, “A 10-Year Analysis of Attempted Abductions and Related Incidents”, juin 2016, https://www.missingkids.org/content/dam/missingkids/pdfs/ncmec-analysis/attemptedabductions10yearanalysisjune2016.pdf

3 Note de lecture de Camille Williams et Loïa Lamarque, Science et pseudo-sciences n° 338, octobre 2021, https://www.afis.org/L-origine-des-troubles-mentaux