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De l’humour dans la recherche scientifique

Publié en ligne le 19 juillet 2022 - Évolution et faits sociaux -

Certains articles scientifiques prêtent à sourire. Ce peuvent être des canulars, ou au contraire des études très sérieuses, mais sur des sujets qui semblent anodins ou incongrus. Citons ainsi des articles sur les problèmes de santé de Tintin et du Capitaine Haddock dans ses albums (voir encadré), ou les problèmes d’addiction à l’alcool de James Bond dans ses films [1]. L’écrivain Georges Perec, qui fut documentaliste en neurophysiologie au CNRS durant près de seize ans, publia en 1984 un article intitulé « Mise en évidence expérimentale d’une organisation tomatotopique chez la soprano (Cantatrix sopranica L.) ». Il s’agissait de l’analyse du « lancer de tomates qui provoquait une réaction yellante chez la cantatrice et démontre que plusieurs aires de la cervelle étaient impliquées dans la réponse » [2]. Il a rassemblé plusieurs articles similaires dans un ouvrage publié en 1991 [3].

Les problèmes de santé de Tintin et du Capitaine Haddock


Le spectre des problèmes de santé que Tintin et le Capitaine Haddock ont présenté au cours de leurs aventures (23 pour Tintin et 15 pour le capitaine) a été analysé et classé en distinguant les événements intentionnels et non intentionnels. Les problèmes de santé de Haddock ont été comparés à ceux de Tintin. Nous avons repris ici les données principales de ces articles.

Tintin
Nous avons trouvé 236 événements conduisant à 244 problèmes de santé, treize kidnappings, six hospitalisations et deux actes chirurgicaux. Le nombre médian de problèmes de santé est de huit par aventure […]. Le nombre moyen d’événements par aventure était significativement plus élevé avant 1945 […]. Parmi les 244 problèmes de santé, 191 étaient traumatiques (78,3 %) et 53 non traumatiques (21,7 %). Les plus fréquents des traumatismes étaient les traumatismes crâniens (62 %), et les plus fréquents des problèmes de santé non traumatiques étaient les problèmes de sommeil (15,1 %), les manifestations anxieuses (13 %), et les intoxications au gaz ou au chloroforme (13 %). Nous avons trouvé 46 pertes de connaissance : 29 d’origine traumatique et 17 non traumatiques. Parmi les 236 événements, 69 (29 %) sont intentionnels, perpétrés par des tiers contre Tintin (dont 55 tentatives d’homicides), et 167 (71 %) non intentionnels (dont 69 sont la conséquence des actions de Tintin).

Les qualités presque surhumaines de Tintin font de lui un personnage de fiction très résistant aux traumatismes. Tintin n’a pas de problèmes de santé liés aux voyages. Mais il semble être très vulnérable aux problèmes affectant ses compagnons de voyage et notamment Milou, son fidèle compagnon.

Source  : Caumes E et al, « Les problèmes de santé de Tintin : plus de traumatismes que de pathologies du voyageur », La Presse Médicale, 2015, 44 :e203-e210.

Capitaine Haddock
Nous avons trouvé 225 événements conduisant à 249 problèmes de santé, deux hospitalisations et trois consultations médicales. Le nombre médian de problèmes de santé est de 19 par aventure […]. Parmi les 249 problèmes de santé, 193 étaient traumatiques (77,5 %) et 56 non traumatiques (22,5 %). Les plus fréquents des traumatismes étaient les traumatismes crâniens (56 %), et les plus fréquents des problèmes de santé non traumatiques étaient les problèmes liés à son alcoolisme (56 %), plus particulièrement ceux engendrée par une ivresse aiguë (37 %). Haddock a une probable cirrhose alcoolique. Il a diminué significativement sa consommation d’alcool après sa rencontre avec Tintin, la part des problèmes de santé liés à l’alcool baissant de 58,3 % à 10,7 % […]. Nous avons trouvé 109 traumatismes crâniens (43 % des problèmes de santé), 12 brûlures (dont 10 liées au tabagisme d’Haddock), et des problèmes de santé du voyageur (piqûres de moustiques, otalgie barotraumatique, expositions à des animaux exotiques, et troubles du sommeil, évocateurs de décalage horaire). Haddock présente autant de problèmes de santé (249 vs 244) et de traumatismes (190 vs 193) que Tintin. Le nombre médian de problèmes de santé par aventure est significativement plus élevé pour Haddock […] mais les traumatismes sont significativement moins sévères, les pertes de connaissances d’origine traumatique représentant 23 % des problèmes de santé traumatiques chez Tintin vs 2,5 % chez Haddock […].

Source  : Caumes E et al, « Les problèmes de santé du capitaine Haddock au cours des aventures de Tintin. Comparaison avec ceux de Tintin », La Presse Médicale, 2016, 45 :e225-e232.

Note : les problèmes de santé de Tintin sont abordés dans près de dix articles, pour la plupart cités par Amarenco G, « Les algies périnéo-glutéales traumatiques dans les aventures de Tintin. Ou Tintin au pays des algies périnéales », Progrès en Urologie, 2021, 31 :414-21.

Les prix Ig Nobel seront en présentiel en 2022
Nous avons déjà évoqué la remise chaque année des prix Ig Nobel (prononcer ignoble) au sein de la prestigieuse université de Harvard [4]. En 2021, la cérémonie était encore virtuelle, mais le retour en amphithéâtre – avec lancer d’avions en papier – est prévu pour 2022. Les organisateurs de cette cérémonie publient six fois par an une revue électronique, les « Annales de la recherche improbable », avec de vraies recherches présentées sous un angle humoristique. Dans le dernier numéro consacré aux canards, on peut trouver des articles sur les organes génitaux de ces palmipèdes, avec des détails que je ne saurais exposer ici [5].

Découvertes étonnantes dans le domaine médical
Chaque année, le numéro de Noël du British Medical Journal est consacré à la publication de recherches humoristiques. Ces manuscrits, soumis à la rédaction, sont sélectionnés après évaluation par des pairs. Ce peuvent être de vraies recherches ou des idées farfelues, mais toutes les contributions sont toujours originales.

Fin 2020, une étude américaine a évalué la corrélation entre accidents chirurgicaux et l’anniversaire du praticien [6]. Elle a analysé 981 000 opérations faites en urgence, dont 2064 le jour de l’anniversaire du chirurgien. La conclusion devrait peut-être nous inciter à demander au chirurgien sa date d’anniversaire avant une intervention. Bien sûr, il convient de rester prudent avant de généraliser ces résultats, non répliqués par d’autres chercheurs.

Démocrite, Johannes Moreelse (c.1602-1634)

Une analyse de la littérature scientifique a évalué l’intérêt d’avoir des clowns à l’hôpital [7].
La présence de clowns hospitaliers pendant les procédures médicales, l’induction de l’anesthésie dans la salle préopératoire, et dans le cadre des soins de routine pour les maladies chroniques, pourrait être une stratégie bénéfique pour gérer certains groupes de symptômes. En outre, les clowns hospitaliers pourraient contribuer à améliorer le bien-être psychologique des enfants et des adolescents admis pour des troubles aigus et chroniques, par rapport à ceux qui ont reçu uniquement des soins standards.

Fin 2019, un article proposé par une équipe canadienne apparaît aujourd’hui comme prémonitoire [8]. L’article expliquait comment se laver les mains en chantant « Frère Jacques » (la chanson permet de respecter un certain rythme et une certaine durée). Destinée aux chirurgiens anglais, la chanson s’appelle « Lave tes mains, Frère John ». Les paroles et l’air sont semblables à la version française de la chanson. Une vidéo accompagne l’article avec un chœur composé d’enfants se lavant leurs mains.

S’amuser pendant les pauses des congrès
Avec la pandémie, la pratique de congrès virtuels s’est beaucoup développée. Mais que font les participants pendant les pauses et les déjeuners ? Eh bien, ils discutent, voire blaguent, avec leurs amis et pairs, comme ils le faisaient dans les manifestations en « présentiel ». Plusieurs sites ont été développés sur le modèle des jeux électroniques (voir par exemple [9, 10, 11]). Le congressiste y crée son propre avatar et se promène dans un monde virtuel pour y rencontrer des collègues. J’ai pu expérimenter, avec satisfaction, deux de ces systèmes. Quand des protagonistes se croisent dans l’espace virtuel, leurs caméras respectives s’allument : ils se voient ainsi « en vrai » et peuvent discuter. On peut aussi automatiquement localiser un collègue et demander au système de nous approcher de lui pour entamer une discussion.

Références


1 | Wilson N et al., “Licence to swill : James Bond’s drinking over six decades”, Med J Aust 2018, 209 :495-500.
2 | Pérec G, « Mise en évidence expérimentale d’une organisation tomatotopique chez la soprano (Cantatrix sopranica L.) ».
3 | Pérec G, Cantatrix sopranica L et autres écrits scientifiques, Éditions du Seuil, 1991, 171p. 
4 | Maisonneuve H, « Le prix IgNobel », Regards sur la science, SPS n° 332, avril 2020, 4-5. Sur afis.org
5 | "Annals of Improbable Research", le site du magazine Improbable Research. Sur improbable.com
6 | Kato H et al., Patient mortality after surgery on the surgeon’s birthday : observational study, BMJ, 2020, 371 :m4381.
7 | Lopes-Júnior LC et al., “Effectiveness of hospital clowns for symptom management in paediatrics : systematic review of randomised and non-randomised controlled trials”, BMJ, 2020, 371 :m4290.
8 | Thampi N et al., “Wash your hands, Brother John” BMJ, 2019, 367 :l6050.
9 | Logiciel Gather (gather.town)
10 | Logiciel Rem(remo.co)
11 | Logiciel Wonder(wonder.me)

Publié dans le n° 339 de la revue


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L' auteur

Hervé Maisonneuve

Médecin de santé publique, il est consultant en rédaction scientifique et anime le blog Rédaction Médicale et (…)

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