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La difficile mesure de l’effet thérapeutique

Publié en ligne le 4 septembre 2008 - Médecine -
Une allégation extra ordinaire nécessite une preuve plus qu’ordinaire.
Henri Broch – Les Facettes de la Zététique

Aucun individu, sain d’esprit, qu’il soit polytechnicien, employé ou instituteur, n’accepterait l’idée qu’il puisse exister une aéronautique « douce », un TGV « complémentaire » ou un ordinateur « parallèle » qui contreviennent aux paradigmes des sciences physiques. Tout simplement parce que chacun peut immédiatement vérifier, sans équivoque possible, si un avion est capable de quitter la piste, si un TGV est susceptible de prendre de la vitesse et si un ordinateur fonctionne.

Il existe par contre, dans toutes les catégories sociales et culturelles, des gens qui croient à l’astrologie, à la transmission de pensée ou à la sourcellerie. Mais aucun rationaliste, aucun zététicien, aucun scientifique, tant soit peu informé, ne croit à la réalité de ces manifestations. Tout simplement parce que ces prétentions sont « testables » par des protocoles relativement simples à mettre en œuvre.

Pendant plus de 15 ans, le laboratoire de zététique de Nice-Sophia Antipolis, sous la direction de Henri Broch, a mis en place un défi doté de 200 000 € de prix, qui seraient remis à toute personne capable de faire la preuve de pouvoirs paranormaux au cours d’un protocole de tests élaborés d’un commun accord entre le prétendant et les scientifiques. Ainsi furent examinées et parfois testées 264 candidatures concernant voyance, télépathie, perception extrasensorielle, pouvoirs psychokinésiques et bien d’autres. Sans succès. Le laboratoire ayant mis fin, pour des raisons logistiques, à ce prix défi, les 300 000 € restèrent propriété de Jacques Théodor qui les avait mis courageusement à la disposition de l’esprit critique.

Il faut bien noter que durant cette période aucun test ne fut effectué dans le domaine de la santé, alors que pullulent les guérisseurs, que prolifèrent les sectes à visée thérapeutique et que les charlatans de la santé s’emplissent les poches. Tout simplement parce que ce défi ne concernait que des prétentions « testables » et que la guérison ne l’est pas par des moyens simples et fiables. Il faut pour ce faire mettre en œuvre une logistique, une compétence et des moyens matériels auxquels seuls peuvent prétendre — et encore — les grands laboratoires ou les services publics de la santé et de la recherche. Quelques candidats, prétendant par exemple guérir en un instant des brûlures ou posséder un pouvoir bactéricide par simple imposition des mains furent bien examinés, mais le test ne fut jamais effectué faute de possibilité — même dans ces cas très particuliers — de mettre en place un protocole exempt de biais et accepté par les deux parties.

On trouve par contre dans toutes les couches de la population et même chez des gens qui sont par ailleurs d’incontestables scientifiques, des gens qui croient aux vertus de l’homéopathie, de l’ostéopathie ou qui fréquentent les guérisseurs. Tout simplement parce que la mesure de l’effet thérapeutique est chose difficile.

Une tâche difficile

Notion d’efficacité

Pour comprendre pourquoi il est si difficile de tester l’efficacité d’un médicament ou d’un traitement, il faut revenir sur ce que signifie vraiment le terme « efficacité » en médecine.

De l’époque où l’homo erectus s’est dressé sur ses jambes jusqu’à la fin du XIXe siècle la notion d’efficacité était toute simple. Elle s’appuyait sur ce que les théoriciens nomment le sophisme « post hoc », (après que, donc à cause de) qui signifie, dans le cas qui nous intéresse, que toute action thérapeutique qui précède une guérison en est la cause. C’est oublier un peu vite que la plupart des maladies guérissent spontanément, pour peu que l’on sache attendre. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’homme a pu survivre sur terre sachant que, avant l’arrivée d’une médecine ayant des effets spécifiques, l’intervention des « médecins » non seulement était le plus souvent inutile mais bien souvent délétère du fait des méthodes employées (saignées, clystères, purgations...). Le premier coin enfoncé dans ces certitudes date seulement de 1865 lorsque Claude Bernard publia un ouvrage intitulé « Introduction à l’étude de la médecine expérimentale » et dans lequel il prônait la « contre-épreuve », c’est-à-dire la nécessité de vérifier que l’absence d’action thérapeutique était aussi suivie d’une absence de guérison.

Au cours du XXe siècle, cette méthode d’objectivation a peu à peu évolué, s’est perfectionnée, affinée, pour devenir ce que l’on appelle aujourd’hui une étude clinique contrôlée (ECC).

Qu’est-ce qu’une bonne étude clinique contrôlée ?

Pour correspondre à ce qui est devenu le standard en matière d’essais cliniques, une ECC se doit d’éviter les biais qui peuvent fausser les résultats. Une bonne étude devra renseigner sur la seule action spécifique du traitement étudié. Pour cela l’étude doit être « contrôlée », « randomisée » et « en aveugle », afin d’éviter l’influence des facteurs perturbateurs.

  • Le « contrôle » signifie que les effets des traitements étudiés sont comparés, sur des groupes différents de patients, à ceux d’un traitement qui a déjà prouvé son efficacité ou à celui d’un placebo. Ce contrôle permet d’éliminer l’influence de l’évolution naturelle et de tenir compte de l’effet placebo. Cet effet, qui a été souvent surestimé, est tout de même incontestable dans certaines pathologies fonctionnelles ou celles qui sont liées à la douleur. Dans une étude contrôlée, l’effet spécifique du traitement résulte donc approximativement de la différence des résultats obtenus entre le groupe témoin et le groupe traité.
  • La « randomisation », est une constitution des groupes au hasard, afin d’éviter les biais d’allocation qui consisteraient, par exemple, pour le médecin traitant à mettre, consciemment ou non, les malades les moins atteints dans le groupe placebo. Encore faut-il remarquer que cette répartition au hasard ne peut garantir l’homogénéité des groupes que si le nombre de patients compris dans chaque groupe est suffisamment élevé. Des groupes de 20 ou 30 personnes peuvent parfaitement être dissemblables du simple fait du hasard.
  • Dans une étude « en aveugle », aucun des participants, que ce soit le patient, les médecins (prescripteurs ou chargés de l’analyse des résultats) ou les statisticiens, ne doit savoir qui fait partie du groupe traité ou du groupe de contrôle. Cela évite les biais d’évaluation et les effets de suggestion. Ainsi lors d’une étude contrôlée 1 portant sur l’efficacité d’un traitement dans la sclérose en plaques, l’évaluation de l’état clinique des patients a été jugée soit « en ouvert » soit « en aveugle ». Le résultat de l’étude était positif dans le premier cas et négatif dans le second.

L’ECC a pourtant ses limites. D’abord parce qu’il n’est pas toujours possible de réaliser un placebo crédible 2. Ensuite parce qu’on est parfois limité par des considérations éthiques et enfin parce que le panel étudié n’est pas forcément représentatif de la « vraie » population concernée 3. Si l’ECC n’est pas possible, il existe alors la possibilité d’une étude « de cohorte » qui examine de façon prospective l’évolution d’un groupe de patients traités ou non. Ce type d’étude qui permet, par exemple, de déterminer l’efficacité d’un vaccin, nécessite souvent pour être crédible l’inclusion de très nombreux patients (plusieurs milliers) et un suivi très long (plusieurs années).

Quelques exemples

Rares sont les pseudo-médecines qui ont souhaité se confronter aux études cliniques contrôlées. La plupart se contentent de la constatation, du témoignage, en un mot de la croyance. Seule l’homéopathie et à un bien moindre degré, l’acupuncture et l’ostéopathie, ont produit des études supposées remplir les conditions imposées. C’est pourquoi c’est dans ces disciplines qu’il est possible d’exercer son esprit critique et d’illustrer les conditions évoquées précédemment.

Une mauvaise étude

Il y a quelques mois, paraissait une étude supposée comparer l’action de l’homéopathie aux traitements conventionnels dans les pathologies respiratoires et auriculaires (otites, bronchites, pharyngites..) et qui concluait que « dans les soins primaires, les traitements homéopathiques ne sont pas inférieurs au traitement traditionnel  ». Un succès donc pour l’homéopathie. Ce succès fut salué et largement popularisé sur de nombreux médias favorables aux médecines alternatives. En réalité, la lecture attentive de l’étude montre

que l’essai en question ne comportait ni groupe placebo, ni randomisation, ni même de simple aveugle. Certains patients avaient même choisi eux-mêmes le traitement qu’ils recevraient et les auteurs avaient répertorié 190 types d’ordonnances incluant des antibiotiques, des analgésiques et des vaporisateurs nasaux. En plus, ces mêmes auteurs admettaient que, certaines de ces affections guérissant d’elles-mêmes, sans traitement, dans une période de 7 à 14 jours, cela avait pu avoir une influence sur la validité de l’analyse des résultats. On ignore même si les patients ont pris, de leur propre chef, d’autres moyens pour soulager leurs symptômes.

Inutile de dire qu’il s’agit d’une étude de plus destinée à rester à jamais publiée dans des journaux de complaisance.

Une mauvaise étude qui aurait facilement pu être meilleure

En septembre 2007 était publiée une étude 4 sur l’action de l’acupuncture sur les lombalgies chroniques. Elle fut saluée, même par certains opposants à l’acupuncture, comme une étude de bonne qualité. Ce qui est « presque vrai ».

Cette étude était présentée comme « randomisée, multicentrique et en aveugle ». Elle comportait 3 groupes. L’un recevait de l’acupuncture traditionnelle c’est-à-dire en perforation profonde avec malaxage aux points d’acupuncture situés sur les « méridiens » « selon les principes de la médecine chinoise traditionnelle  ». Le second recevait une acupuncture placebo c’est-à-dire perforation superficielle, sans malaxage, hors des « méridiens ». Le troisième était soumis au traitement conventionnel : antalgiques, anti-inflammatoires et kinésithérapie. Cette étude concluait à une efficacité de 47,6 % pour l’acupuncture vraie, 44,2 % pour l’acupuncture feinte et seulement 27,4 % pour le traitement conventionnel. La différence entre les deux premiers groupes n’étant pas significative on pouvait en conclure que les acupunctures vraies ou fausses avaient une efficacité identique et 2 fois supérieure aux traitements conventionnels.

Certes cette étude présente des qualités auxquelles on n’est pas forcément habitué dans ce genre de discipline. Les patients sont en nombre suffisant, les groupes ont été formés au hasard et elle est publiée dans un journal de référence. On est cependant en droit de se poser certaines questions.

Expérimentation en double aveugle...

Comment une étude peut-elle être présentée comme « en aveugle » alors que les patients peuvent savoir ou deviner sans peine à quel groupe ils appartiennent ? Ceux qui reçoivent le traitement conventionnel savent très bien qu’ils ne sont pas soumis à l’acupuncture et s’il s’agit de fervents de cette discipline cela peut évidement majorer leur appréciation sur la douleur ressentie. Comment des patients qui reçoivent une acupuncture superficielle peuvent-ils ne pas deviner le groupe auxquels ils appartiennent s’ils sont un tant soit peu accoutumés à ce type de traitement ? Comment des médecins peuvent-ils piquer dans ou hors des « méridiens » sans savoir à quel groupe appartient le patient ? Est-on certain que la kinésithérapie n’est pas dans de nombreux cas un facteur aggravant défavorable au groupe conventionnel 5 ? Cet essai n’a-t-il pas été réalisé par des équipes pratiquant habituellement l’acupuncture et donc lui sont favorables ? Les acupuncteurs peuvent-ils faire de la fausse acupuncture, ou prescrire un traitement conventionnel, en envoyant au patient les signaux de confiance qui sont si fondamentaux dans l’effet placebo ?

La vraie question est de savoir s’il était possible de mieux faire et, sans prétendre attendre une illusoire perfection, réaliser une étude de très bonne qualité.

Pour réaliser l’aveugle côté médecins il aurait fallu faire réaliser cet essai par des médecins non acupuncteurs et n’utiliser les acupuncteurs que pour le geste technique. Imaginons la scène : le patient est accueilli par un médecin qui procède à l’interrogatoire selon un schéma le plus standardisé possible. Tout se passe en présence de l’acupuncteur qui reste neutre et silencieux. L’interrogatoire terminé, l’acupuncteur procède à une occultation et à une interrogation complémentaire éventuelle. Alors seulement il ouvre une enveloppe codée lui indiquant s’il doit piquer dans ou hors les « méridiens » et il le fait selon le même processus car ce qui compte est l’existence ou non de ces fameux « méridiens ». D’ailleurs il pourrait être demandé au médecin présent qui ne connaît pas le contenu de l’enveloppe de noter s’il « pense » que l’acupuncture effectuée était vraie ou fausse. Tout acupuncteur qui serait démasqué en faisant moins bien que le hasard serait éliminé de l’essai.

Pour réaliser l’aveugle côté patient il faut que chacun pense recevoir le même traitement. Pour cela il faut utiliser un système de placebo croisé. Chaque patient reçoit de l’acupuncture (vraie ou fausse) des médicaments (vrais ou placebos mais tous identiques et codés) et de la kinésithérapie. En fait il y a 4 groupes : le premier reçoit vraie acupuncture et vrais médicaments, le second, acupuncture et médicaments placebos et les deux autres soit l’un soit l’autre. Tous (ou aucun) reçoivent de la kinésithérapie afin d’éliminer son influence.

La lombalgie chronique ne mettant pas en jeu le pronostic vital il est probable qu’une telle étude aurait été autorisée par les commissions d’éthiques.

Ceux qui ont réalisé ce travail ignoraient-ils cette possibilité ? Le croire serait leur faire injure. Il est plus probable que le but de cet essai qui, rappelons-le, était commandité par les caisses d’assurance maladie allemandes, était surtout de montrer que la pratique de l’acupuncture (vraie ou fausse) était utile et surtout supérieure aux traitements conventionnels. On peut en effet assez aisément imaginer ce qu’aurait été l’attitude de ces organismes si l’essai avait montré que l’acupuncture était sans utilité.

L’analyse de ces cas montre à quel point la preuve d’efficacité d’un traitement est difficile à obtenir hors du cas d’un médicament précis dans une indication bien déterminée.

Pourquoi faut-il s’abstenir de tenter un test biaisé ?

On peut être tenté de monter, malgré tout, des protocoles d’essais imparfaits pour tester des méthodes thérapeutiques exclues du système de santé ou ne disposant pas de gros moyens matériels.

Cela ne doit pas être fait pour deux raisons principales : parce qu’une étude biaisée profite majoritairement aux thérapeutiques illusoires et parce qu’on risque de se faire instrumentaliser et de devenir involontairement complice de ce qu’on a voulu dénoncer.

Le premier risque a été parfaitement mis en évidence dans les études concernant l’homéopathie. En 1999 paraissait dans le Journal of Clinical Epidemiology une méta analyse 6 qui étudiait l’impact de la qualité des études sur le résultat des ECC d’homéopathie. Après avoir analysé 89 études contrôlées, les auteurs en tiraient « la preuve indiscutable que les études qui présentent la meilleure qualité méthodologique fournissent les résultats les moins positifs  ». En clair, plus l’étude est mal faite, plus elle est favorable aux pseudo-médecines. On se doute que ce qui est vrai pour une discipline qui veut se donner un vernis scientifique est vrai, a fortiori, pour des thérapeutiques clairement irrationnelles.

La seconde est de se faire instrumentaliser quel que soit le résultat de l’essai. On se souvient de la fureur de Georges Charpak apprenant que Jacques Benveniste faisait état dans les médias d’une collaboration avec l’École de physique et de chimie de Paris, dont il était alors directeur, alors que les expériences menées s’étaient soldées par un échec. Imagine-t-on le parti que pourrait tirer un charlatan s’il pouvait faire état d’un test, même biaisé, réalisé auprès d’une organisation scientifique ou zététique ?

Comprendre certes, dénoncer assurément, mais ne point trop en faire

Il serait certes tout à fait inacceptable de jeter l’opprobre sur ceux qui se tournent vers les pseudo-médecines. D’abord parce que chacun est libre de ses croyances et que nul ne doit juger celui qui ingurgite à tous propos des granules homéopathiques, qui invoque la lune aux côtés d’un chaman ou se fait réactiver les chakras chez un maître Reiki.

Ensuite parce que la réalité même des essais cliniques contrôlés amène à admettre que la médecine a ses limites. Elle se révèle souvent impuissante. Tout le monde — et les médecins en tout premier lieu — gagnerait d’ailleurs à le reconnaître et même à le proclamer. Il n’est donc pas absurde, et sûrement pas condamnable, que l’individu le plus rationnel confronté à ces limites pour lui-même ou pour ses proches se tourne vers l’irrationnel, qu’il se rende chez un guérisseur ou qu’il fasse un pèlerinage à la vierge de Fatima.

Ce qui est par contre condamnable, c’est que certains médecins, par incompétence ou clientélisme, en arrivent à pratiquer l’homéopathie, la médecine chinoise ou le Reiki (avec dans certains cas la complicité du Conseil de l’ordre des médecins). Ce qui est condamnable, c’est que se créent des réseaux de médecines illusoires, au gré des modes, pour mieux exploiter, à des fins mercantiles, la souffrance et la maladie.

1 Noseworthy JH, Ebers GC, Vandervoort MK, Farquhar RE, Yetisir E, Roberts R. “The impact of blinding on the results of a randomised, placebo-controlled multiple sclerosis clinical trial”. Neurology 1994 ;44 :16–20

2 Daniel Schwartz a soulevé le problème dans un article de la revue Prescrire — Schwartz D. « Un essai gastronomique contrôlé » Revue Prescrire 1982 ; 2 (13) ;11-12. — en se demandant comment réaliser un essai gastronomique contrôlé de moutarde contre un placebo qui aurait la même couleur, le même goût et la même texture que la vraie moutarde.

3 Par exemple dans la « vraie vie » les patients sont parfois atteints de plusieurs pathologies dont le traitement peut interférer avec celui qui fait l’objet de l’étude.

5 La kinésithérapie est plutôt indiquée comme éducation dans un cadre préventif et non comme un élément du traitement :
https://www.doctissimo.fr/html/sant....

6 Linde K., Scholz M., Ramirez G. et al. (1999). “Impact of study quality on outcome in placebo-controlled trials of homeopathy”. Journal of clinical epidemiology, 52(7), 631-636.

Publié dans le n° 282 de la revue


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L' auteur

Jean Brissonnet

Agrégé de physique, a créé et développé le site www.pseudo-medecines.org. Il a été vice-président de l’AFIS de (...)

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