Accueil / Expériences pré-mortem

Expériences pré-mortem

Publié en ligne le 6 juillet 2004 - Paranormal -
par Jean-Pierre Thomas - SPS n° 207, janvier-février 1994

« L’expérience de la mort », tel était le thème de l’émission « Savoir Plus » de François de Closets, le 15 mars de l’an dernier sur France 2.

Thèmes paranormaux à la mode, la réincarnation et la survie après la mort, dont certains se sont fait les propagandistes comme Isola Pisani, auteur de livres sur le sujet, dont un postfacé par Rémy Chauvin (Mourir n’est pas mourir, chez Robert Laffont, 1978), ont tenté d’accaparer et de détourner les résultats et les témoignages des expériences aux frontières de la mort (signées en anglais NDE : Near Death Experiment) pour en tirer des conclusions abusives en leur faveur.

L’existence de ces expériences vécues dans des conditions dramatiques (accidents, comas...) n’est pas niable. Mais que recouvrent-elles ? Quelle en est la réalité physique ? Que nous apprennent-elles sur le fonctionnement du psychisme humain ? L’émission de F. de Closets a tenté répondre honnêtement, sans a priori ni conclusions hâtives, et avec l’aide de spécialistes, qui nous ont permis de mieux appréhender le phénomène.

Un tableau fameux de Jérôme Bosch (1450-1516) « la montée des âmes » rappelle assez étrangement certains aspects du souvenir qu’en conservent les témoins. Des défunts, accompagnés par des anges, montent vers un tunnel sombre au bout duquel on distingue une vive lumière. Dans les témoignages recueillis, celle-ci est ressentie comme bienfaisante et donne une paix absolue. S’y ajoutent d’autres éléments :

 Un sentiment de « décorporation » : le malade ou la, victime se voit flotter au dessus de son propre corps inanimé et parfois peut se « déplacer » dans l’espace pour « visiter » d’autres lieux.

 Un défilé rapide dans une vision globale de tous les événements vécus se retrouve dans de nombreux cas .

 Dans d’autres cas, se manifeste la rencontre avec des êtres chers, disparus, ou des personnages célèbres.

 La vision du monde, au sortir de cette expérience, s’en trouve changée (pas toujours immédiatement). Les rescapés s’ouvrent beaucoup plus aux autres et sont persuadés qu’il existe une forme de survie après la mort. Ils ne la craignent plus et leurs sentiments religieux s’en trouvent affermis ou se manifestent alors qu’ils n’en exprimaient pas auparavant.

Chaque expérience est bien sûr un cas particulier. Lyne Léon (auteur de Ma mort et puis après, éditions Philippe-Lebaud), présente sur le plateau, nous a détaillé la sienne. Elle a vécu plusieurs jours de coma après un grave accident et a connu, dans cette période, plusieurs « décorporations ». Elle se voyait dans son lit d’hôpital, voyait son corps, son visage, les draps du lit mais ne visualisait pas les appareils de réanimation qui l’entouraient. Preuve sans doute qu’il ne s’agit pas d’une réalité physique d’évasion de « l’âme » hors du corps matériel. Elle se « déplace » aussi dans l’hôpital et « visite » d’autres locaux, dont elle avait peut-être gardé un souvenir inconscient et où elle a pu être transportée durant son coma. Elle croise le buste, inanimé, de son père, mais celui-ci ne parle pas. Elle voit une lumière douce ressentie comme une paix absolue mais dont elle refuse de s’approcher. Elle ne rejoint cette béatitude qu’au paroxysme de la peur. Certains aspects de son expérience apparaissant très négatifs : sentiments d’angoisse, de froid, d’obscurité, vision de bêtes, de formes humaines sombres, bruits, ... Elle les associe à son refus de la mort, les ressent et les interprète comme un passage de son « âme » vers autre chose. Elle précise n’avoir pas manifesté jusque là de sentiments religieux.

D’autres impressions ressenties par Lyne Léon dans cette expérience se sont révélées fausses. L’enfant qu’elle portait est mort durant son coma ; elle le croyait toujours vivant.

Les progrès des techniques médicales modernes en réanimation ont augmenté notablement la fréquence de ce phénomène, mais il est connu depuis longtemps. Ainsi Saint-Grégoire 1er Le Grand, pape de 590 à 604, compila une quarantaine de témoignages de ce genre dans son livre de la mort et de l’au-delà. L’alpiniste Albert Hyme s’est intéressé au problème vers 1890. Sans oublier le trop fameux « livre des morts tibétains » dont les « accros » des théories parapsy à tendance orientale et mystique ont fait leur bible et la source de leurs délires.

Mais le best-seller contemporain qui a relancé l’intérêt sur la question est le livre de l’américain Raymond Moody, docteur en philosophie et en médecine, La vie après la vie, tiré à dix millions d’exemplaires, traduit en trente langues depuis 1975 et suivi d’autres ouvrages : Lumières nouvelles sur la vie après la vie en 1977, La lumière de l’au-delà en 1988, Voyages dans les vies antérieures en 1990. Ce dernier ouvrage compilait les éléments d’une cinquantaine de témoignages recueillis auprès de rescapés d’expériences aux limites de la vie.

Pour le docteur Moody, présent sur le plateau de France 2, le titre de son livre ne doit pas être compris comme « la vie après la mort » mais plutôt comme « la dernière extrémité de la vie », même si personnellement ses convictions religieuses sont confortées dans la croyance à une persistance de la conscience individuelle au delà de la mort physique. Il reconnaît que ses travaux ne peuvent aucunement constituer une preuve scientifique décisive et qu’il ne peut y en avoir, du fait de la subjectivité des perceptions rassemblées, de la faillibilité du souvenir et du témoignage humains, de l’interférence possible avec l’orientation des questions de l’interrogateur qui les recueille.

La seule conclusion de R. Moody est qu’il s’agit d’un phénomène particulier de prolongation de conscience aux abords de la mort, mais que les dimensions de sa réalité en sont difficiles à comprendre.

Les différents spécialistes invités nous ont permis de mieux les cerner :

 Louis Vincent-Thomas (auteur d’une Anthropologie de la mort et de Rites de mort, Fayard 1985) est anthropologue et professeur à Paris V Sorbonne. Il est membre de IANDS France, organisme fondé aux Etats-Unis qui se développe aujourd’hui en Europe, et qui collecte les témoignages de NDE. Pour lui, il ne s’agit pas d’hallucinations, mais d’un phénomène global et spécifique. Plus de trois cents témoignages ont été compilés dans notre pays.

Signalons un sondage réalisé par Gallup aux Etats-Unis selon lequel 15 % des Américains auraient connu une expérience de mort proche, dont un tiers une véritable NDE. Soit plus de dix millions de cas pour ce seul pays, ce qui paraît énorme.

 Le père Patrick Verspieren est conseiller scientifique à l’Episcopat et directeur du département d’éthique biomédicale du centre de Sèvres, ainsi que rédacteur à la revue Etudes. Pour lui, cette expérience aux limites de la vie ne peut et ne doit être assimilée à la mort, celle-ci étant un phénomène total, définitif et irréversible. Il serait abusif de parler de mort « temporaire ».

 Maurice Abiven, président de la Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs, précise que le passage vers la mort est progressif. Les fonctions physiologiques s’arrêtent les unes après les autres mais le cerveau continue de fonctionner. C’est dans ce laps de temps que s’inscrivent les NDE. La réanimation du sujet interrompt le processus avant le point de non-retour. Un arrêt cardiaque ne dure que quelques minutes (guère plus de cinq sans conséquences sérieuses pour le cerveau non irrigué, hors certains cas particuliers associés à une hypothermie) mais un encéphalogramme plat beaucoup plus longtemps. Certains phénomènes, différents de l’approche de la mort, comme le coma barbiturique ou une réfrigération brutale, peuvent donner lieu à un encéphalogramme plat prolongé. La limite précise entre la vie et la mort reste difficile à cerner. Un des critères médicaux de la mort « officielle » est le relevé de deux encéphalogrammes plats dans un intervalle de 36 à 72 heures.

 Patrick Dewavrin, docteur en médecine et psychiatre à Paris, nous explique que le phénomène comporte plusieurs facteurs qui influent sur le fonctionnement du cerveau : variations de la pression sanguine, arrêt de la vue et des contractions musculaires. Il se retrouve en hypovigilance et perd le contact sensoriel avec le corps. Les informations ne lui parviennent plus. L’angoisse qui en résulte fait réagir le psychisme. Cette déconnexion du corps, qui n’est pas tout à fait complète (l’ouïe semble être le dernier des sens à « décrocher ») est ressentie comme une « décorporation ». Une perception auditive subliminale (à la limite de la conscience) persiste. Cette explication de la sensation de « sortie » du corps se justifie par la disparition des impressions douloureuses qui va de pair.

Le psychisme désorienté synthétise ces perceptions et la mémoire de ces impressions. Ensuite les convections mentales de l’imagination construisent le souvenir de la NDE. Ceci n’est bien sûr qu’un schéma explicatif très simplifié d’un phénomène complexe et encore très mal connu. N’oublions pas que même si la neurophysiologie et la neurobiologie sont des sciences qui ont beaucoup progressé depuis une dizaine d’années, elles sont encore relativement jeunes et sont loin d’avoir éclairci le subtil fonctionnement excessivement complexe de notre encéphale dans son ensemble. Des lueurs sont apparues dans certains phénomènes précis mais les liens qui les connectent restent à établir. Beaucoup de découvertes sont encore à attendre de la recherche dans ces domaines.

Inversement, dans les situations d’hypervigilance (saturation de l’excitation cérébrale) telles que le yoga, l’orgasme, les extases mystiques ou le stress extrême (menace de mort imminente), on retrouve dans les cas de NDE une béatitude intense (la lumière blanche ressentie comme amour pur et profonde sérénité), la rencontre d’autres entités (des disparus ou des proches) le sentiment d’être aspiré vers un « ailleurs » inexprimable dans le langage courant.

Le docteur Pierre Huguenard est plus radical. Selon lui les interprétations données des NDE sont inexactes, car on peut en reproduire les effets à l’aide de molécules appropriées. Dans son enfance, il a été anesthésié au chlorure d’éthyle pour une opération d’oto-rhino-laryngologie. Cette substance peut rendre compte d’effets de « décorporation ». Paul Minaki donne des exemples de ce genre d’effets, dus à certains anesthésiques, dans l’introduction du second livre de R. Moody Lumières nouvelles sur la vie après la vie(Robert Laffont, 1978).

Ce même ouvrage signale d’ailleurs des cas d’expériences non provoquées de « décorporation » hors NDE.

 Pierre Etevenon, directeur de recherche à l’INSERM (auteur de L’homme éveillé chez Tchou) analyse en laboratoire les réactions du cerveau à des stimuli extérieurs., Il constate que le cerveau est en grande partie inconscient en temps normal. Au moment où vous lisez ces lignes, vous ne ressentez pas la plante de vos pieds. Pourtant si l’on vous brûlait un orteil, une ou plusieurs des zones concernées du cerveau seraient ramenées à la conscience et immédiatement mises en éveil. Notre cerveau est un organe excessivement complexe avec ses dix milliards de neurones et ses innombrables connexions où interfèrent des processus chimiques et électriques multiples.

Le cerveau fabrique ses propres morphines (les endorphines), emploie des neuromédiateurs, molécules à actions hormonales, telles les catécholamines (dopamine, adrénaline, noradrénaline) aux fonctions spécifiques variées. Certaines substances hallucinogènes, comme le fameux LSD, surexcitent l’activité cérébrale et la perturbent, provoquant des expériences délirogènes différentes des NDE. Ces derniers ne sont pas non plus des excitations pathologiques hallucinatoires. Au contraire, ils seraient une manifestation du sous-fonctionnement quasi-complet du cerveau au moment où il est presque totalement déconnecté des perceptions sensorielles normales. On peut la rapprocher des manifestations perçues en caisson d’isolement sensoriel (relatées dans le n° 149 de nos Cahiers).

Notons qu’en plus de la reconstruction par le cerveau du souvenir de l’expérience vécue, le témoignage est affecté d’une influence de la personne qui le recueille et qui n’est pas neutre. Comme dans l’hypnose, la personne qui sollicite le témoignage peut exercer une suggestion. Le témoignage est rarement spontané. Difficile aussi de travailler en double aveugle... Ce point, important, sur la faillibilité du témoignage humain, qu’on rencontre dans d’autres situations (« phénomènes » OVNI, enquêtes policières) n’a pas été évoqué au cours de l’émission.

La science reste modeste, et on est loin encore de pouvoir tout expliquer. L’analyse de ce phénomène accidentel qu’on ne peut reproduire à volonté en laboratoire est encore balbutiante et les recherches en neurophysiologie ont beaucoup à nous apprendre sur les mécanismes complexes de notre cerveau.

Mais les lueurs déjà entrevues retirent à ces expériences tout caractère surnaturel dont certains voudraient les parer. Rien ne permet de dire aujourd’hui qu’il y a dans les NDE quelque chose de paranormal qui défierait la connaissance humaine.