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Le maïs qui rend fou

Publié en ligne le 17 février 2007 - OGM et biotechnologies -

Une polémique débridée a été lancée récemment à propos d’un maïs génétiquement modifié censé être donné aux consommateurs malgré une toxicité observée chez des rats mais soigneusement tenue secrète pour gagner beaucoup d’argent en ayant, en plus, le plaisir d’intoxiquer les gens.

Le moins qu’on puisse dire est que la réalité est bien différente de ce que colportent ces ragots. Il convient tout d’abord de noter que la polémique sur le maïs en France ne porte que sur l’analyse de la toxicité faite par une des commissions de sécurité, la CGB (Commission de Génie Biomoléculaire). Cette commission a pour mission de déterminer dans quelles circonstances un nouvel OGM (organisme génétiquement modifié) peut ou non être volontairement disséminé pour procéder à des essais de culture ou à la culture à grande échelle. Elle se doit de procéder à un examen des plantes en question pour s’assurer que leur culture ne fait pas courir de risque à ceux qui les manipulent.

La commission chargée d’évaluer la toxicité des OGM destinés aux consommateurs animaux et humains est l’AFSSA (Agence Française de Santé et de Sécurité Alimentaire). Plusieurs membres de cette commission sont des nutritionnistes ou des toxicologues rompus à l’évaluation des effets nocifs des nouveaux médicaments. C’est cette commission, ainsi que ses équivalentes européennes, qui donne ses avis à l’EFSA (Agence Européenne de Sécurité Alimentaire). L’EFSA dispose de ses propres experts et communique ses conclusions à la Commission Européenne qui elle, avec les représentants des gouvernements, décide ou non d’autoriser la consommation d’un OGM. L’AFSSA rend publiques ses conclusions régulièrement et rapidement par l’Internet. La CGB s’occupe essentiellement de problèmes environnementaux et elle publie de ce fait la liste des essais de culture en champs qu’elle autorise.

Un maïs génétiquement modifié pour résister à un insecte, la pyrale, et connu sous le nom de MON863 est l’objet de la polémique. Une série de tests est pratiquée pour évaluer la toxicité aiguë et chronique des OGM 1. Le plus contraignant consiste à ajouter à la ration alimentaire de rats expérimentaux des quantités d’OGM aussi élevées que possible pendant trois mois. Pendant cette période les rats achèvent leur croissance, une fonction très sensible aux perturbations métaboliques. Ce laps de temps correspond à vingt ans chez l’homme. Ce type de tests est considéré par les experts mondiaux comme suffisants pour révéler des effets nocifs des médicaments. Dans le cas des médicaments cependant, les tests sont prolongés à six mois, car les médicaments sont faits pour agir sur les fonctions biologiques des patients, pas les OGM actuellement commercialisés. La période de trois mois appliquée aux OGM est un compromis considéré par les experts comme adapté au niveau des risques des OGM actuels. Des tests supplémentaires seront imposés au cas par cas pour les OGM de deuxième génération dont la composition aura été délibérément modifiée pour améliorer leurs qualités nutritives. Il faut ajouter qu’il est impossible de démontrer strictement l’absence totale de nocivité d’un aliment, ne serait-ce que parce qu’on le mange toujours pour la première fois. Même les inoffensives pommes de terre contiennent des toxines en petite quantité et le chou brocoli des substances cancérigènes mais aussi d’autres substances qui ont un effet opposé. De nombreuses plantes contiennent ainsi des toxines diverses dont elles se servent pour éliminer leurs prédateurs. Ce n’est pas pour autant dangereux de consommer ces plantes en quantité raisonnable. Les tests sont donc comparatifs et ils ne visent pas à démontrer une absence totale de toxicité. Les conclusions des commissions d’experts se limitent de ce fait à dire que les tests ne permettent pas de faire une distinction entre le nouvel aliment, un OGM en l’occurrence, et la plante d’origine.

Certains experts des deux commissions françaises ont été interpellés par une partie des résultats obtenus avec des rats nourris pendant trois mois avec le maïs MON 863. Quelques-uns de ces animaux montraient en effet des anomalies morphologiques légères des reins. Les toxicologues de ces commissions se sont unanimement prononcés pour conclure que ces modifications n’ont pas de significations biologiques car elles sont régulièrement observées chez les rats témoins sans que cela n’altère en rien leur santé. Les experts de l’EFSA ont indépendamment formulé les mêmes conclusions. L’affaire aurait donc dû en rester là. Les opposants aux OGM ont semble-t-il trouvé là une opportunité pour clamer que les OGM (il ne s’agit pourtant que d’un seul OGM) sont nocifs pour la santé humaine. Cette polémique a pris de l’ampleur et s’est internationalisée. L’entreprise concernée a décidé de rendre ses données accessibles à tous 2 3. Cette publication n’a évidemment pas modifié le jugement des experts mais n’a pas non plus arrêté les attaques des opposants. Une bonne partie de la polémique porte sur l’interprétation statistique des résultats. L’AFSSA a donc consulté une spécialiste particulièrement versée dans l’analyse de telles données. La conclusion dénuée d’ambiguïté est qu’il est impossible de faire une distinction entre les animaux nourris avec le maïs MON863 et ceux nourris avec le même maïs non génétiquement modifié. Ces résultats sont en cours de publication. D’autres résultats obtenus indépendamment ne soulèvent pas d’inquiétude particulière 4 5. Une autre information présentée comme sulfureuse provient d’un laboratoire qui prétend avoir mis en évidence des effets importants du maïs MON863 chez les rats. La lecture du texte ne montre rien de démontré, donc de crédible.

La publication de Monsanto apporte également des informations intéressantes sur l’impact du maïs en question chez l’homme. On apprend ainsi que les rats ont reçu 21 g de maïs par kg de poids vif pendant trois mois. Cette quantité est à rapprocher de celles qui sont données aux poulets et porcs d’élevage, respectivement de 57 et 26 g/kg. Il est important également de noter que les consommateurs humains n’absorbent pas plus de 0,27 g/kg de maïs, les jours où ils en mangent. Il est donc loisible de conclure que la marge de sécurité entre les rats expérimentaux et les consommateurs nord-américains est de 432 fois. Elle est supérieure à 800 fois pour les européens qui ont chez eux moins de maïs MON863. Un autre chiffre mérite considération. Les feuilles de maïs contiennent la toxine Bt cry3Bb1 à raison de 70 g/kg de poids frais et les grains des quantités non mesurables, inférieures à 0,076 g/kg.

La polémique d’une ampleur sans précédent a repris brusquement après la mise sur la toile d’une émission de Canal+ sur ce sujet. Il a été clamé que cette émission avait été interdite par Canal+ et qu’elle allait bientôt être retirée de la toile. En réalité cette émission est déjà passée à Canal+ en 2005. Comment pourrait-on par ailleurs empêcher la diffusion d’un document déjà installé sur des milliers d’ordinateurs ? On ne peut s’empêcher de faire une corrélation entre cette sortie brusque et extraordinairement dramatisée, et la déclaration de candidature d’un opposant et sa condamnation pour arrachage de maïs. Cette saga a été narrée dans le dernier numéro de la LettreInfoPGM 6.

Les opposants réclament l’accès aux dossiers que les entreprises soumettent aux experts. Ces données ne sont pas secrètes puisque des centaines d’experts les analysent. Elles sont par contre confidentielles, ce qui doit pouvoir se comprendre aisément. Mais surtout, de telles données ne sont véritablement interprétables que par des experts en toxicologie. La démocratie directe qui est à la mode ne rend pas compétent qui le veut, que cela plaise ou non. Il convient de récuser les experts et d’en changer s’ils font preuve d’incompétence ou de malversation. Dans le cas contraire, il faut leur laisser faire leur travail en paix. C’est ainsi que fonctionne la démocratie.

Force est de constater que les OGM n’ont intoxiqué jusqu’à maintenant que les esprits des consommateurs à qui on manque de toute évidence du respect minimum auquel ils ont droit. Cette campagne est malsaine tant elle recèle de haine, de hargne ainsi que de nihilisme avec le plaisir mauvais de tromper et de détruire que cela comporte. La France s’est tristement distinguée depuis quelques temps en se tirant des balles dans le pied. Il serait peut-être temps qu’elle retrouve un peu de sérénité.

1 Houdebine LM. (2004). « Les effets sanitaires potentiels des organismes génétiquement modifiés. » Environnement, Risques et Santé, 3 : 341-352.

2 Hammond B, Lemen J, Dudek R, Ward D, Jiang C, Nemeth M and Burns J. (2006) “Results of a 90-day safety assurance study with rats fed grain from corn rootworm-protected corn”. Food and Chemical Toxicologie, 44 : 147-160.

3 Vander Pol KJ, Erickson GE, Robbins ND, Berger LL, Wilson CB, Klopfenstein TJ, Stanisiewski EP and Hartnell GF. (2005) “Effects of grazing residues or feeding corn from a corn rootworm-protected hybrid (MON 863) compared with reference hybrids on animal performance and carcass characteristics”. J Anim Sci, 83 : 2826-2834.

4 Flachowsky G, Aulrich K, Böhme H and Halle I. (2007). “Studies on feeds from genetically modified plants (GMP) – Contributions to nutritional and safety assessment.” Anim Feed Sci Technol. 133 : 2-30.

5 Trevor W. Alexander, Tim Reuter, Karen Aulrich, Ranjana Sharma, Erasmus K. Okine, Walter T. Dixon and Tim A. McAllister. (2007). “A review of the detection and fate of novel plant molecules derived from biotechnology in livestock production”. Anim Feed Sci Technol. 133 : 31-62

6 LettreInfoPGM : Lettre 85 du 13 février 2007 à l’adresse http://tamise.ujf-grenoble.fr/wws/info/lettreinfopgm [site indisponible - 17 août 2019].


Thème : OGM et biotechnologies

Mots-clés : OGM