Accueil / L’incidence sans cesse croissante des cancers…

L’incidence sans cesse croissante des cancers…

Publié en ligne le 13 février 2007 - Causes de cancer -

« L’incidence sans cesse croissante des cancers liés aux additifs alimentaires, à la pollution, au stress, aux lignes électriques à haute tension, aux centrales nucléaires, aux OGM… » De telles phrases sont devenues si courantes qu’elles ne nous font plus sursauter. Le cas échéant, nous réagissons au deuxième terme, à la cause invoquée, qui peut nous paraître vraisemblable ou au contraire farfelue. Mais pour le journaliste, comme pour l’essentiel de ses lecteurs, l’augmentation alarmante des cancers est un fait avéré, une conséquence du caractère malsain des conditions de vie actuelles.

Or la réalité est toute autre : l’incidence globale des cancers (tous types confondus) est à peu près stable, elle a légèrement augmenté jusqu’en 1990 environ, puis a décru depuis, comme le montre la figure 1 pour les femmes (à gauche) et les hommes (à droite) 1.

Il s’agit là naturellement de données tenant compte de l’âge : la courbe globale représente l’incidence (base 100 en 1979) pour une population dont la pyramide des âges resterait constante 2. Les courbes individuelles (en pointillé) montrent le même paramètre pour trois groupes d’âge : 20 à 44 ans, 45 à 64, et 65 ou plus 3. Si l’on s’intéresse maintenant à des tumeurs spécifiques, les évolutions sont contrastées : le cancer du poumon, par exemple, a baissé de plus de 20 % chez les hommes, grâce à la diminution du nombre de fumeurs, tandis qu’il doublait presque chez les femmes qui ont, elles, augmenté leur consommation de tabac. L’incidence du cancer de l’estomac a baissé de moitié chez les deux sexes ; au contraire, celle du cancer de la prostate a augmenté de 70 %. Dans ce dernier cas, l’accroissement est sans doute lié à la généralisation d’un diagnostic révélant nombre de cancers qui n’auraient jamais été comptabilisés en raison de leur évolution très lente.

Qu’en est-il de la mortalité ? Elle tend également à diminuer, et plus rapidement que l’incidence, ce qui traduit l’amélioration des traitements. Pour le cancer de la prostate, elle a diminué de 20 % malgré l’augmentation de l’incidence ; pour le poumon, la baisse est de 30 % chez les hommes, mais le doublement de l’incidence chez les femmes entraîne une augmentation de 70 % de leur mortalité 4. Il s’agit toujours là de données tenant compte de l’âge et comparant au fil des années des groupes de personnes équivalents de ce point de vue.

Cette réalité statistiquement indéniable et qui se retrouve dans presque tous les pays traduit deux faits. D’une part notre environnement est, en dépit de maintes déclarations alarmistes, nettement moins cancérigène que par le passé : diminution des pollutions atmosphériques massives (rappelons-nous le smog de Londres...), effet des campagnes anti-tabac, moindre consommation d’aliments conservés par salage ou fumaison (qui contiennent des composés aromatiques carcinogènes), la très forte diminution, grâce à la vaccination (malheureusement interrompue en France sans motif réellement valable), des infections par le virus de l’hepatite B (responsable à long terme de cancers du foie). D’autre part, les progrès dans le traitement de ces maladies, certes encore trop lents, sont néanmoins réels. Ils sont même parfois spectaculaires, comme pour les leucémies infantiles autrefois fatales et aujourd’hui d’assez bon pronostic. Le diagnostic précoce des tumeurs, s’il tend à gonfler les chiffres d’incidence, a aussi pour effet de réduire la mortalité.

Et pourtant, on meurt de plus en plus du cancer – et cette impression très répandue est cette fois exacte. Eh oui, c’est tout simplement que l’on vit plus longtemps, et que l’on meurt beaucoup moins de maladies infectieuses ou métaboliques...

La figure 2 en donne une illustration frappante : elle indique le taux de mortalité ajusté pour l’âge (courbe du bas) et le nombre effectif de décès dus au cancer, de 1970 à 2003, et toujours pour l’état de Colombie britannique. Expliquons bien ce que représentent ces courbes : celle du bas donne l’évolution du risque (base 100 en 1970) au niveau d’une population qui aurait gardé la même pyramide des âges qu’à cette date. Elle montre que le risque de mourir du cancer entre 60 et 65 ans, par exemple, a légèrement diminué au cours de la période considérée 5. La courbe du haut représente, elle, le nombre total de décès dus au cancer observés dans la population réelle : on voit que celui-ci a plus que doublé. C’est que le cancer est une maladie de la vieillesse : 80 % environ des cas de cancer du poumon apparaissent chez des personnes âgées de plus de 60 ans, et c’est également dans cette classe d’âge que surviennent 80 % des décès causés par cette tumeur… Il suffit que la longévité et donc l’âge moyen de la population augmentent de quelques années pour que la mortalité due à cette maladie s’accroisse considérablement.

Ainsi les apparences sont trompeuses : une vérité évidente, largement médiatisée et communément admise, peut se révéler fausse. Le cancer est un problème de santé majeur dans nos populations vieillissantes, les progrès thérapeutiques ne sont pas fulgurants, et certaines pratiques industrielles sont indubitablement à l’origine de tumeurs mortelles (on songe immédiatement à l’amiante). Il est important d’en éliminer autant que possible les causes, et de poursuivre l’amélioration des traitements. Mais affirmer, pour vendre de la copie, des régimes miracles, ou pour imposer, au nom d’un principe de précaution mal compris, des réglementations abusives, que cette affection est une maladie de la civilisation et qu’elle progresse sans cesse relève de l’ignorance ou de la mystification.

— Mis à jour le 16-02-2007

1 Figure trouvée sur le site de l’agence du cancer de l’état de Colombie britannique, au Canada. Ce site (http://www.bccancer.bc.ca/health-in...) est particulièrement clair et bien documenté, et les données qu’il montre sont représentatives de tous les pays développés.

2 C’est-à-dire que l’on a observé le nombre réel de nouveaux cas de cancer chaque année dans chaque tranche d’âge de la population, puis calculé le nombre de nouveaux cas qui en résulterait dans une population où l’effectif de chaque classe d’âge serait resté le même qu’en 1979, année de référence.

3 Il y a plus de cancers dans la tranche de population âgée que chez les jeunes, mais la figure montre l’incidence relative, base 100 en 1979.

4 Précisons qu’il s’agit bien de la mortalité globale au niveau de l’ensemble de la population (toujours ajustée pour l’âge) pour le cancer considéré, et non du taux de mortalité observé pour les personnes chez lesquelles il a été diagnostiqué.

5 Les courbes de la figure 2 sont globales, mais la figure 1 montre que l’évolution est similaire dans les différentes classes d’âge.


Thème : Causes de cancer

Mots-clés : Désinformation

Publié dans le n° 274 de la revue


Partager cet article


L' auteur

Bertrand Jordan

Biologiste moléculaire et directeur de recherche émérite au CNRS. Auteur de nombreux articles et d’une douzaine (...)

Plus d'informations