Accueil / Apologie du divan (dans Le Monde2 du 29 octobre 2005)

Apologie du divan (dans Le Monde2 du 29 octobre 2005)

Publié en ligne le 7 novembre 2005 - Psychanalyse -

L’hebdomadaire Le Monde2 entreprend ce samedi 29 octobre de nous livrer les résultats de sa grande enquête sur le divan. Enquête tendancieuse puisqu’elle sera appuyée d’un article de Élisabeth Roudinesco, grande prêtresse de la psychanalyse.

« Ce qui se dit chez les psychanalystes - dernières nouvelles du divan. »

En introduction, pour montrer la grande forme de la psychanalyse, on nous affirme que c’est la « ruée » vers les divans, et que les analystes sont « débordés ». C’est, paraît-il, la raison pour laquelle il y a tant de praticiens en France. Le ton est bon enfant : « Qui a encore peur du divan ? », comme si, après les polémiques et les débats provoqués par le rapport de l’Inserm, puis la parution du Livre noir, une légère crainte de désertion des divans se faisait jour... Alors on se rassure, on crie bien fort que « tout le monde consulte ».

Les femmes, Big Mother

L’article nous dresse une liste des catégories de personnes qui font appel à une analyse et pourquoi. Les femmes d’abord. Parce qu’elles se « remettent plus en question », d’après l’article. Arrivées sur le divan culpabilisées, gageons qu’elles en sortiront souvent culpabilisées d’une autre façon. Car il est dit, comme dans tout propos analytique, que la femme est coupable d’être Big Mother, toute-puissante, étouffante.
« L’omniprésence de la mère provoquerait, à l’adolescence, des risques de délinquance » Et pour couronner le tout, si elles sont seules à élever leur enfant, ce sera encore pire car leur pouvoir sur l’enfant sera incommensurable. Elles vont alors le traumatiser, car le père doit être présent pour séparer et éviter la fusion, le report d’angoisse et la culpabilité infligée. Bigre, quel tableau charmant de la maternité ! Femmes, levez-vous du divan, et accommodez-vous de ces accusations, vous devriez aller mieux.

Les hommes, pères destitués

Pour les hommes, le portrait n’est pas plus flatteur. « Le déclin du père » est amorcé et la catastrophe annoncée. Les jeunes pères se mettent à materner et ne jouent plus leur rôle structurant. Car ils devraient « ouvrir l’enfant sur l’extérieur, le socialiser ». Coupables donc, eux aussi, de transgresser les règles du bien élever.
Parents coupables, ensemble cette fois, de ne plus supporter leurs « enfants qui dérangent » par leur hyperactivité. Vite, en analyse, l’enfant hyperactif ! Que va proposer l’analyste ? Une interprétation de son cru bien sûr : l’enfant hyperactif est simplement sous l’emprise d’une angoisse de mort. Avec cela les parents déroutés seront bien avancés.

Des propos mitigés et consensuels

Après toutes ces billevesées, c’est un entretien avec Elisabeth Roudinesco qui va clore ce petit dossier. Elle nous assènera bien sûr le traditionnel couplet sur la biologisation du psychisme, contre laquelle il faut lutter très fort, et préconisera le refus de rentrer dans les normes imposées. C’est d’ailleurs son propos central : elle s’insurge contre le scientisme règnant, qui se manifeste par « la folie des évaluations ».

Pourtant il y a de bonnes choses dans la réflexion de Roudinesco. Elle admet par exemple que les freudiens sont trop souvent « dogmatiques, dans un culte des maîtres », qu’ils refusent « de se confronter aux grands changements sociétaux, et que 70% d’entre eux n’ont rien compris aux bouleversements dans les familles ».
Elle accuse pourtant les médias d’avoir bipolarisé le débat sur les psychothérapies, forçant à être pour ou contre, sans nuance. Elle, elle conseille sagement une collaboration entre psychologues et psychanalystes.
On aurait préféré qu’elle se positionne pour... une prise de conscience.