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Champignons et lunaison

Publié en ligne le 15 septembre 2005 - Astrologie -

On demande ces jours-ci sur l’un de ces passionnants forums modernes que sont les listes de discussion du Net, s’il est exact que la lune puisse influencer la pousse des champignons.

Je ne peux, sur le sujet, qu’apporter un témoignage du jeune habitant que je fus de la dune de « Camica » (dune bien moins haute que celle, relativement proche, du Pyla 1 ). Cette colline de sable fin était depuis longtemps consolidée sur son sommet par une station radio maritime où travaillait mon père et où je passai les dix-huit premières années de ma vie. Mais sa stabilisation était surtout assurée sur toute son étendue par une forêt où se mêlaient de jeunes chênes, d’odorantes farandoles de bruyère sauvage, des bouquets de genêts aux fleurs d’or, des arbousiers aux fruits si atypiques et, surtout, une pinède 2 imposante qui formaient la limite girondine nord de la forêt landaise, entre La Teste et Arcachon.

Je me souviens que chaque année, à partir de mi-septembre jusqu’à parfois fin-octobre, j’attendais avec émotion que tombent les premières pluies fraîches de l’automne...

Quand elles survenaient, je m’obligeais, en trépignant d’impatience, à laisser passer encore au moins 24 heures. Ces étapes me semblaient indispensables pour avoir les meilleures chances de remplir un panier de champignons encore tout enrobés de rosée, bien fermes sur leur jambe, tout frais éclos de l’humus sablonneux des sous-bois. Et surtout encore vierges des dévastatrices agressions de ce redoutable adversaire du chercheur de champignon : la limace !

La lune ?... J’avoue que je ne m’en souciais guère. Pour les jeunes enfants que nous étions, les éventuelles influences du satellite de la Terre étaient une préoccupation d’adultes, au même titre que les élection du Maire et du Président de la République, ou que les intérêts capitalisés du carnet d’épargne des PTT.

J’ai cependant encore en mémoire l’air grave et le ton sentencieux que prenaient certains de mes voisins « spécialistes en toutes choses », pour affirmer doctement l’importance de « la Maline » 3 sur la pousse des végétaux et en particulier sur celle des champignons.

Je n’ai pas souvenance par contre (mais le temps enjolive sans doute les choses) que ces « experts » rapportaient de plus abondantes cueillettes que les miennes.

Celles-ci entraînaient d’ailleurs des remarques envieuses et parfois désobligeantes : « Oh putain mais c’est pas possible ! Il a un pot de cocu ce drôle ! » grognaient-ils en soulevant leur béret pour se gratter la tête (peut-être que la vue de mon panier de champignons accélérait chez eux la pousse de mycoses crâniennes ?).

Mais je ne suis pas sûr que j’avais « seulement du pot », car ma technique (pluie + attente d’au moins 24h ) me paraissait, et m’apparaît aujourd’hui encore, somme toute logique.

Souvenirs souvenirs... Madeleines proustiennes de mon enfance : la dune de Camica et sa route bétonnée construite quelques années auparavant par l’occupant allemand... sa forêt de pins, son muguet sauvage, et nous les aventuriers de 10/12 ans qui la connaissions presque aussi bien que Mr Doucet, le vieux résinier (« gemmeur » disait l’instituteur) qui pelait depuis plus de quarante ans les écorces des pins afin que ceux-ci s’épanchent en pleurs visqueux de résine... les camaïeux jaunes, bruns ou rouges des feuillages agonisants de l’automne... les goûts, les couleurs et les odeurs des multiples champignons...

Tiens ! Je me souviens du « cèpe de pin », à la saveur négligée par les néophytes et que je présentais aux citadins, ignares des choses de la forêt, comme étant redoutablement vénéneux. Affirmation facile à « démontrer » : les spores sous son chapeau, jaunâtres à l’origine, viraient rapidement au bleu/vert quand on les compressait avec les doigts. Preuve incontestable d’une toxicité qui faisait grimacer de dégoût les bordeluches 4 à qui je cachais, bien évidemment, combien ce « cèpe de pin » était délicieux en omelette, avec ail, oignons et ciboulette.

Je me souviens du « catalan » à la couleur rose-orangée que le dictionnaire et l’instituteur appelaient « lactaire délicieux », alors qu’à mon avis il était loin d’être le plus goûteux.

Les girolles étaient assez rares, mais quand on avait la chance de tomber sur deux ou trois « nids » (chacun pouvant regrouper une quinzaine de ces fragiles merveilles), on rentrait en salivant, se régalant à l’avance du steak de veau à qui ces petites merveilles allaient faire une fête olfactive débridée, dans la poêle et dans les assiettes...

Je me souviens du « bidaou » ; de son chapeau couleur citron pâle, et de l’énorme soulier blanchâtre chaussant son pied. Bien qu’il fut assez peu parfumé, j’en ramenais toujours quelques-uns. Uniquement par fierté, car ce champignon avait l’art de se camoufler (était-ce pour éviter un vieillissement lunaire précoce ?) sous la mousse verte qui recouvrait par plaques le sable fin. Il fallait un sacré coup d’oeil pour dégotter le premier. Mais une fois celui-ci découvert, c’était la promesse d’en débusquer toute une colonie aux alentours.

Je me souviens de la coulemelle (que l’instituteur s’obstinait à appeler « lépiote » !), que l’on préférait manger jeune car sa chair s’encaoutchoutait un peu en vieillissant.

Je me souviens du « bolet Satan », seul de la famille des bolets à être toxique, dont les couleurs orange vif, brunes et violacées représentaient pour nous, marmots soumis au conditionnement de la catéchèse de l’église St Ferdinand, les véritables couleurs de l’Enfer. Ah il fallait nous voir l’éclater à coups de bâtons vengeurs et l’écraser du talon, le plus profondément possible dans le sol jusqu’à le renvoyer se faire voir dans les entrailles de la Terre !

Je me souviens aussi qu’il fallait toujours avoir un couteau sur soi. « Un champignon ne s’arrache pas du sol, nous avait appris l’instituteur qui était loin de ne dire que des couillonnades, on doit le couper délicatement à la base de son pied pour ne pas arracher le mycélium sous-terrain, prometteur de futures repousses ».

Je me souviens d’un voisin chasseur, excessivement maladroit et constamment bredouille. Il était l’un de ces doctes adultes qui ne couraient le lièvre des pinèdes, le brochet de l’Eyre proche, où le divin cèpe de chêne, qu’en fonction de la course de la lune. Il fallait le voir ce fier savant Tartarin, quand les augures célestes lui semblaient favorables, s’harnacher façon G’i en patrouille, traverser notre petit quartier forestier comme un soldat du 14 juillet, et s’enfoncer sans broncher au milieu des hautes broussailles de ronces dans des attitudes de chasseur de grands fauves (tel Rahan, fils des âges farouches, dont je dévorais les aventures illustrées de cette époque).

Mais la lune devait avoir avec lui un comportement des plus lunatiques car au-delà du récit des multiples exploits dont il abreuvait les enfants que nous étions, je n’ai pas souvenir qu’il ait ramené une seule fois de ses chasses ou cueillettes, autre chose que quelques vilains champignons, deux ou trois plumes d’oiseau, ou une poignée d’arbouses écrasées au fond de sa gibecière...

J’ai encore en mémoire, par contre, l’avoir surpris lors d’un curieux scénario de chasse...

C’était un jour d’octobre où je ramassais des mûres (la lune devait être montante puisqu’il était là, à l’affût). Il avançait avec précaution, à une vingtaine de mètres devant moi, le fusil aux aguets, puis soudain, plus rapide que son ombre, il épaula et tira dans un réflexe hélas mal conditionné sur... un cèpe de chêne magnifique qui aurait facilement fait ses 3 livres s’il ne l’avait pas explosé en mille morceaux irrécupérables... Se croyant seul, il s’envoya une bordée d’injures pour sa maladresse.

Il venait pourtant de me prouver qu’il savait ne pas être maladroit au tir spontané sur cible fixe !

Je m’empressais le soir-même de raconter aux copains le « carton », exceptionnel de précision, auquel j’avais assisté. La nouvelle fit rapidement le tour de la dizaine de familles vivant autour de la station. Il me prit à partie, quelques jours plus tard, me reprochant, en me secouant comme un prunier, d’avoir raconté n’importe quoi à n’importe qui ( ? !).

Menteur lui-même !... J’étais outré.

Ma mère me consola par un argument qui m’interpelle encore aujourd’hui : « T’en fais pas va ! Ce bonhomme-là c’est pas sa faute, il a du naître mal luné ».

Serait-il possible que la lune puisse aussi influencer le développement de la mauvaise foi humaine ?...

J’avoue n’avoir encore jamais posé la question à plus savant que moi.

Je la pose donc ici pour la première fois, ayant attendu presque cinquante ans pour oser le faire !

1 au bord du bassin d’Arcachon, la dune du Pyla, 105m, est la plus haute dune de sable d’Europe

2 forêt de pins

3 surnom de la lune dans le sud-ouest, peut être à cause de son intelligence rusée

4 habitants de Bordeaux en argot girondin.


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L' auteur

Jacques Poustis

Jacques Poustis (1949-2022) ancien éducateur spécialisé, était devenu un artiste aux talents multiples : magicien, (...)

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