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Vin biodynamique, vin bio : quelle différence ?

Publié en ligne le 12 mai 2019 - Dérives sectaires -

La viticulture biodynamique est une des nombreuses ramifications de l’anthroposophie, courant ésotérique controversé 1 fondé par Rudolph Steiner au début du XXe siècle et à propos duquel Le Monde Diplomatique a récemment publié une enquête [1]. Deux marques de certification, Demeter et Biodyvin, décernent un label « biodynamique » sur la base d’un cahier des charges drastique que l’on trouvera sur les sites de ces deux organismes. En France, Demeter annonce 430 exploitations certifiées et Biodyvin 135, chiffres à comparer au nombre total de 49 000 exploitations spécialisées en viticulture, dont 5 260 en « bio » (agriculture biologique). Lorsqu’on demande à un caviste ou à un restaurateur en quoi le vin biodynamique qu’il vous propose diffère d’un vin bio, il tiendra généralement des propos du genre :  « En biodynamie, le domaine viticole est un tout isolé et l’emploi d’engrais et de pesticides solubles, naturels ou non est proscrit. Seuls les composts de substances végétales ou animales, susceptibles d’être décomposées par les organismes vivants, sont autorisés. » Voilà qui ne nous apprend pas ce qui fait la spécificité de la biodynamie par rapport au vin bio 2. En fait, la différence essentielle provient de ce que dans le compost, selon les préconisations de Steiner (qu’il ne justifia pas), deux préparations principales doivent être ajoutées : la première est la « bouse de corne » confectionnée à partir de bouse de vache introduite dans une corne de vache puis enterrée durant la période hivernale ; la seconde est la « silice de corne », élaborée à partir de poudre de quartz, enterrée durant la période estivale, elle aussi dans une corne. Cinq préparations à base d’extraits de plantes sont de plus utilisées. L’ensemble doit être dilué dans l’eau et brassé pendant exactement une heure en plein air : c’est la « dynamisation ». Il est préférable que cela soit fait à la main. S’ajoute à cet aspect technique le respect des rythmes lunaires, planétaires et zodiacaux, qui sont pris en compte, pour le travail du sol, les plantations ou les semis et les récoltes, comme l’a préconisé Steiner et précisé Maria Thun dans son calendrier des semis en vente dans toutes les jardineries.

Les préparations sont ajoutées en très petite quantité, soit par pulvérisation (de l’ordre de 100 g de bouse de corne par hectare, par exemple) soit sous forme de compost (de l’ordre de 5 g de bouse de corne pour 10 t de compost pour un hectare) ! Une première question, essentielle, se pose alors : étant donnée la faiblesse des doses utilisées en biodynamie, peut-on s’attendre à observer le moindre effet ? Certes, aux concentrations préconisées, il est impossible que l’addition des nutriments ait une conséquence directe sur la croissance des plantes. Cependant, des effets peuvent être possibles au niveau des paramètres chimiques ou de la flore microbienne du sol. La comparaison entre bio et biodynamie mérite donc d’être soumise à une approche scientifique.

Aussi, depuis 1993, une dizaine d’études publiées dans des revues à comité de lecture ont analysé les effets de la biodynamie sur le sol et sur la vigne elle-même. Initialement peu tranchés, les résultats, sous l’effet de protocoles de plus en plus soigneux et de traitements statistiques de plus en plus serrés, ne mettent en évidence aucune différence significative pour le taux des composants chimiques analysés (à l’exception des sulfites ajoutés en moindre quantité en biodynamie, environ deux fois moins) ou de la diversité microbienne. On pourra trouver des références dans trois articles récents [2],[3],[4].

Un point évidemment essentiel est celui de la qualité organoleptique du vin. Si l’on consulte le site vin-biodynamique.com, qui rapporte les commentaires de viticulteurs en biodynamie, on pourra lire que  « les avis divergent sur une hypothétique supériorité générale des vins biodynamiques sur les conventionnels et sur les vins bios ». En fait, une seule étude sérieuse a été publiée, en 2009 [5]. Soixante-douze dégustateurs y ont participé, qui devaient différencier des vins bio de vins biodynamiques. Ce ne fut qu’une suite d’incohérences exprimées dans les résultats des dégustations, comme c’est d’ailleurs le cas pour les comparaisons de vins conventionnels [6].

Comment réagissent les tenants de la biodynamie devant ces résultats ? Certains montrent une certaine objectivité et tiennent des propos nuancés, comme dans le site que nous venons de citer. D’autres avancent leurs propres études qui se veulent à caractère scientifique et prétendent démontrer la supériorité de leurs vins. Ils font ainsi appel, par exemple, à la « cristallisation sensible » 3, technique non fiable et dont la communauté scientifique s’est totalement désintéressée. Il en est de même pour la morphochromatographie 4 avancée par certains tenants de la biodynamie. Les résultats de ces études sont toujours rapportés dans des revues confidentielles et sans crédit.

À la lecture des arguments publicitaires, le consommateur d’un vin issu de la biodynamie aura généralement l’impression d’avoir dans son verre un super vin bio. Nous avons vu ce qu’il en était. Il n’aura généralement pas pris conscience de ce qui est pourtant l’essentiel : l’application à l’agriculture des concepts anthroposophiques de Steiner, avec en particulier l’utilisation de la bouse de corne et l’adaptation aux rythmes zodiacaux. On peut se demander si la discrétion à ce sujet des viticulteurs en biodynamie ne vient pas de leur crainte d’une réaction rationnelle des consommateurs, se demandant si l’on ne se moque pas d’eux.

Références

 1 | Malet JB, « L’anthroposophie, discrète multinationale de l’ésotérisme », Le Monde Diplomatique, 2018, 772 :16.

 2 | Hendgen M et al., “Effects of different management regimes on microbial biodiversity in vineyard soils”, Sci Rep., 2018, 8 :9393.

 3 | Döring J et al., “Growth, Yield and Fruit Quality of Grapevines under Organic and Biodynamic Management”, PLoS One, 2015, 10 :e0138445.

 4 | Chalker-Scott L, “The Science Behind Biodynamic Preparations : A Literature Review”, Hort technology, 2013, 26 :814-819.

 5 | Ross CF et al., “Difference testing of Merlot produced from biodynamically and organically grown wine grapes”, J. Wine Res., 2009, 20 :85-94.

 6 | Krivine JP, « La dégustation de vin serait-elle une pseudoscience ? », SPS n° 285, avril 2009.

1 Voir par exemple l’ouvrage de P. Ariès : Anthroposophie : enquête sur un pouvoir occulte, Golias, 2001.

2 On trouvera la comparaison, en ce qui concerne les données sur l’emploi des engrais et des pesticides, sur le site de Demeter. En fait, la principale différence porte sur les quantités de cuivre et de sulfate de cuivre utilisées, deux fois plus faibles en biodynamie.

3 Dans la cristallisation sensible, on compare les structures en aiguilles obtenues par évaporation d’une solution de chlorure cuivrique contenant ou non la substance à étudier, le vin ici, pour en déduire ses qualités éventuelles,

4 La morphochromatographie est une chromatographie rudimentaire sur papier filtre, appliquée aux sols et qui permet effectivement d’en séparer, avec plus ou moins d’efficacité, les constituants. Elle est censée permettre, par une différenciation des couleurs, de  « juger la qualité des liens aux forces solaires qui délivrent des forces de la gravitation »