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L’impact des conflits d’intérêts non financiers dans la publication scientifique

Publié en ligne le 15 février 2019 - Intégrité scientifique -
Rédaction médicale et scientifique

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Saint Augustin et le diable
Michael Pacher (1435-1498)

L’impact des conflits d’intérêts non financiers dans la publication scientifique

La littérature sur les conflits d’intérêts dans le domaine de la publication scientifique est abondante. C’est un sujet complexe qui ne peut être abordé de façon homogène pour toutes les situations et toutes les disciplines. Les liens d’intérêts sont présents dans la plupart des situations de la vie courante et il est difficile de dire quand ces liens deviennent des conflits, c’est-à-dire quand ils ont un impact sur une décision. Un conflit d’intérêts est une situation dans laquelle un intérêt principal (comme la soumission d’une publication ou son évaluation) est susceptible d’être influencé par un intérêt secondaire (comme un gain financier). La perception de conflits d’intérêts par le public est également importante, dans la mesure où elle touche à la confiance apportée au processus de production scientifique. La gestion des liens d’intérêts varie selon les domaines de la science, depuis la simple déclaration volontaire et non contrôlée dans les publications, jusqu’à la suspension temporaire d’un groupe de travail pour des rapports d’expertise (l’expert concerné doit sortir de la salle quand sont examinés certains dossiers).
Depuis plus de vingt ans, les revues scientifiques de qualité demandent à leurs auteurs de déclarer leurs liens d’intérêts. Ce sont des déclarations en général non vérifiées et fondées sur la bonne foi. Et quelques travaux, notamment dans le domaine médical où existent des bases publiques de transparence, ont montré une tendance régulière des experts à sous-déclarer leurs liens d’intérêts [1].
Les questions soulevées sont nombreuses. Par exemple, les livres, qui ne font pas l’objet d’une évaluation par les pairs, doivent-ils être soumis aux mêmes règles que les publications scientifiques ? Une récente étude s’est intéressée aux liens financiers des auteurs de livres pour la formation des médecins [2] et a mis en évidence d’importants liens d’intérêts avec l’industrie des produits de santé. L’exemple le plus frappant est celui des Principes de médecine interne de Harrison (ouvrage de référence publié pour la première fois en 1950 aux États-Unis ; il en est à sa 20e édition et a été traduit dans une quinzaine de langues dont le français). Les auteurs ont reçu environ neuf millions d’euros entre 2009 et 2013 de la part des fabricants de médicaments et d’appareils sans que rien ne soit mentionné dans l’ouvrage.

Si leurs liens d’intérêts sont maintenant toujours demandés aux auteurs qui soumettent les résultats de leurs recherches, la pratique courante est de se restreindre aux seuls liens d’intérêts financiers. La nature du lien avec une industrie est mentionnée (employé, contrats de conseils, dédommagements pour des conférences, rétributions diverses, brevets, etc.) mais les montants ne sont jamais précisés. En général, les auteurs remontent dans leur déclaration de trois à cinq ans en arrière. Si des engagements importants sont faciles à retrouver, d’autres plus marginaux (par exemple liés à un déplacement ou une conférence) peuvent être oubliés de bonne foi (cela m’est arrivé).

Outre les problématiques liées à l’argent, d’autres liens influencent les comportements. Faut-il les déclarer ? Les revues du groupe Nature ont décidé de demander la déclaration des liens non-financiers [3]. Mais cette décision ne fait pas consensus [4]. Les intérêts non financiers peuvent inclure un éventail de relations ou de rivalités personnelles ou professionnelles avec des collègues, la compétition universitaire pour des postes ou des allocations de ressources, la participation à des instances administratives, l’appartenance à des organisations non gouvernementales, à des syndicats, à des associations de défense d’intérêts ou de lobbying, l’adhésion à des valeurs, à des convictions religieuses. Certains argumentent que, dans la mesure où ces types de conflits d’intérêts ne peuvent pas être éliminés, il ne serait pas nécessaire de les déclarer [4]. Argumentation difficile à suivre… D’autres pensent que les intérêts sans lien financier sont tout aussi délétères (parfois plus) que les intérêts financiers [4]. Ces questions ont de nombreuses ramifications parfois très complexes à prendre en compte. Par exemple, un médecin qui écrit un article sur le diabète doit-il dire s’il est lui-même diabétique ? Un médecin qui écrit sur la circoncision doit-il préciser si lui-même est circoncis ? Plus généralement, est-ce qu’un spécialiste est le plus crédible pour parler de sa profession ? Existe-t-il une bonne réponse à ces questions ?

Terminons en soulignant que la déclaration des liens d’intérêts ne doit pas se limiter aux seuls auteurs d’articles. Ce sont tous les acteurs de la recherche qui sont concernés : rédacteurs, relecteurs, évaluateurs des projets dans les institutions, etc.

Références


[1] Chimonas S et al., “From disclosure to transparency : the use of company payment data”, Arch Intern Med, 2011, 171 :81-86.
[2] Piper BJ et al., “Undisclosed conflicts of interest among biomedical textbook authors”, AJOB Empirical Bioethics, 2018, 9 :59-68.
[3] Editorial, “Nature journals tighten rules on non-financial conflicts”, Nature, 2018, 554 :6.
[4] Head to Head, “Should we try to manage non-financial conflicts of interest ? Yes –Wiersma M et al –, No – Rodwin M –“, BMJ, 2018, 361 :k1240.

Publié dans le n° 325 de la revue


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L' auteur

Hervé Maisonneuve

Médecin de santé publique, il est consultant en rédaction scientifique et anime le blog Rédaction Médicale et (...)

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