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Heureusement, la lumière est invisible

Publié en ligne le 18 septembre 2018 - Vulgarisation scientifique -
par José Tricot - SPS n°248, septembre 2001

Vous êtes seul, assis dans le grand fauteuil du salon, avec simplement la lampe de l’abat-jour allumée. Vous êtes prêt à jurer qu’il ne se passe rien.

Second cas de figure : accoudé à la balustrade du jardin des Tuileries, côté Orangerie, vous contemplez la place de la Concorde. Un magicien métaphysique y dépose la totalité de l’humanité. Six milliards d’habitants, en vrac, en plusieurs couches. Dans cette fourmilière grouillante ils se mettent à courir dans tous les sens. Curieusement, ils y arrivent facilement sans se tamponner.

Ce spectacle surréaliste n’est pourtant rien à côté de ce qui se passe dans votre salon feutré.

Les photons quittent la lampe. Ceux qui ne s’écrasent pas sur l’abat-jour rebondissent sur tout ce qui traîne dans le salon, murs compris. Ils sont réémis éventuellement en infrarouge, même par l’abat-jour. Vous pouvez déplacer votre tête, ou la tourner, ils sont partout. En tout point de l’espace, et, dans toutes les directions, il y a des photons baladeurs qui emportent leur petit bout d’image. Notre salon, ce n’est pas un espace vide : Il est bourré de photons sans aucun interstice vide...

Pour « voir » quelque chose, il faut fort heureusement que la rétine « digère » le photon. Personne n’a jamais vu un photon. Pour qu’on « voie » un photon, il faudrait qu’il émette... un photon. Si vous avez un tonton richissime physicien des particules, ne lui répétez pas trop souvent qu’un photon, c’est un corpuscule de lumière, il finirait par vous déshériter. Si les photons étaient visibles, l’univers serait une monstrueuse mayonnaise luisante.

La place de la Concorde embouteillée semble désertique à côté de notre salon. Par chance, quand deux photons se rencontrent, ils ne se parlent pas et se passent joyeusement au travers (sauf s’ils sont frères jumeaux et que Monsieur Fresnel les autorise à interférer). Tout cela se passe à une vitesse faramineuse (il n’existe pas de photon immobile : s’il s’arrête, il redevient un peu d’énergie idiote, et le carrosse se convertit en citrouille).

Au fait, nous avons oublié de vous dire que votre salon est également bourré de molécules d’air. Quand un photon se déplace en ligne droite, chaque fois qu’il parcourt un millimètre, il se cogne à une dizaine de millions d’atomes alignés l’un derrière l’autre. Et il s’en sort sans une égratignure. C’est une Formule 1 traversant la jungle tropicale sans rayer sa peinture.

Si tout cela vous semble rigoureusement incompréhensible, c’est que vous avez un cerveau parfaitement sain. Vous pouvez, bien sûr, acheter un très gros livre de mécanique quantique. En le laissant ouvert sur la table basse du salon, vous étonnerez tous vos amis. Mais n’espérez pas plus.

Publié dans le n° 248 de la revue


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