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Alimentation : comment le risque chimique est-il évalué ?

Publié en ligne le 7 mars 2018 - Alimentation -

Avant de se retrouver dans notre assiette, les aliments que nous consommons suivent un long chemin (production végétale ou animale, transformation, conservation, chaîne de distribution et de stockage, etc.). De nombreux produits utilisés à chacune de ces étapes sont susceptibles de se retrouver dans notre alimentation. Certains sont introduits intentionnellement. Certains ont vocation à se retrouver dans le produit final (conservateurs, agents de texture par exemple), d’autres ne sont nécessaires qu’à une étape particulière, mais peuvent subsister à l’état de traces (produits phytosanitaires). L’emploi de ces composés chimiques fait l’objet d’une réglementation stricte, soit au niveau européen, soit au niveau français, qui s’appuie sur des études toxicologiques diligentées selon les lignes directrices de l’OCDE. Suivant qu’il s’agit d’additifs alimentaires, d’auxiliaires technologiques, de matériaux de contact avec les denrées alimentaires ou de produits phytosanitaires, les exigences sont différentes.

Par ailleurs, des substances chimiques présentes dans l’environnement (naturelles comme les mycotoxines ou les métaux lourds, ou résultant de la pollution des milieux) peuvent accidentellement contaminer les aliments. Leur présence éventuelle fait l’objet de contrôles réguliers.


Comment est déterminée la dose journalière acceptable ?

La dose journalière acceptable (DJA) est la quantité d’une substance chimique qu’un individu peut consommer tous les jours de sa vie sans courir de risque pour sa santé. Elle est déterminée, à l’issue de nombreuses études toxicologiques, à partir de la plus petite dose sans effet (No Observed Adverse Effect Level, NOAEL) observée dans ces études, affectée a priori de deux facteurs de sécurité. Le premier, égal à 10, tient compte de la variabilité inter spécifique. Le second, également d’une valeur de 10, tient compte de la variabilité intra spécifique. La DJA sera donc égale à la plus petite dose sans effet toxique chez l’animal et le sexe le plus sensible, divisée par 100, et sera exprimée en mg ou µg/kg de poids corporel par jour. Ainsi, par exemple, l’aspartame a une DJA de 40 mg/kg de pc. Ainsi une personne de 70 kilos (non atteinte de phénylcétonurie) peut-elle consommer jusqu’à 2,8 grammes d’aspartame par jour sans atteindre le centième de la dose sans effet toxique chez l’animal le plus sensible 1. Sachant qu’une sucrette d’aspartame contient de l’ordre de 85 mg d’aspartame, cela fait environ 30 sucrettes par jour.

Pour identifier la dose sans effet toxique et proposer une DJA, des études sont requises.

• Des études de toxicité subchronique par voie orale : elles portent sur un dixième de la durée de vie de l’animal, soit 90 jours chez les rongeurs et un an chez les gros mammifères (chien ou primates).

• Des études de toxicité chronique par voie orale : elles portent sur la durée de vie entière de l’animal, mais afin d’éviter des confusions et des erreurs dues à des différences de métabolisme chez les animaux âgés, ces études sont limitées dans le temps, 18 mois chez la souris, 2 ans chez le rat.

• Des études de génotoxicité afin de détecter d’éventuelles modifications de l’ADN.

• Des études de cancérogenèse in vivo afin de détecter l’apparition de tumeurs. Ces dernières peuvent être couplées avec les études de toxicité chronique.

• Des études sur les capacités de reproduction d’animaux exposés à la substance à tester, sur le développement embryonnaire, fœtal et postnatal de la progéniture de femelle gestante exposée à la substance (le risque de malformation de fœtus descendants est vérifié sur deux générations) et les effets potentiels sur la lactation.

Il n’existe pas à ce jour de méthode fiable et sûre permettant de mettre en évidence un risque d’allergie par voie orale (ou alimentaire) chez les animaux dont les résultats soient transposables à l’Homme.

Contrairement aux médicaments, aucun effet indésirable n’est toléré, c’est la dose sans effet toxique qui est recherchée. Pour des raisons éthiques, l’expérimentation humaine n’est pas autorisée. Les études toxicologiques doivent donc être réalisées sur des animaux de laboratoire et couvrir tous les effets toxiques potentiels. Si des études chez l’être humain sont disponibles, par exemple dans le cadre d’essais cliniques ou d’études épidémiologiques, elles seront prises en compte. Mais elles ne sont normalement pas requises.

Enfin, une DJA (comme une DJT, dose journalière tolérable pour les composants non intentionnels) n’est jamais fixée définitivement. Cette valeur toxicologique de référence est révisée régulièrement, soit à la demande des autorités de gestion du risque, soit en raison de la publication de nouvelles données toxicologiques. Les DJA de tous les additifs alimentaires autorisés en Europe sont actuellement en cours de révision à la demande de la Commission européenne.

Les substances soumises à autorisation

Les molécules introduites intentionnellement dans un aliment, comme les additifs alimentaires, les produits phytosanitaires, les constituants des emballages alimentaires ou les médicaments vétérinaires, font l’objet d’une évaluation du risque toxicologique pour le consommateur avant d’être autorisées. L’évaluation du risque se divise en quatre étapes :

Les additifs alimentaires

On compte aujourd’hui environ 320 additifs alimentaires répartis en fonction de leur rôle en 27 familles, appelées « catégories fonctionnelles » 2. Ils ont chacun un identifiant commençant par la lettre E.

Conservation (intérêt sanitaire) : conservateurs, antioxydants, gaz d’emballage.

Organoleptique (aspect, goût, texture du produit) : acidifiants, colorants, édulcorants, exhausteurs de goût, émulsifiants, épaississants, gélifiants, affermissants, agents moussants, agents de charge, agents d’enrobage, amidons modifiés, humectants, poudres à lever, sels de fonte, stabilisants.

Autres rôles : antimoussants, antiagglomérants, agents de traitement de la farine, amplificateur de contraste, correcteur d’acidité, propulseurs, séquestrants, supports.

L’identification du danger consiste à détecter les effets toxiques pouvant être induits par la molécule considérée. Dans le cas des substances soumises à autorisation, on recherche principalement des structures chimiques d’alerte, comme, par exemple, la présence de groupements epoxy dans la molécule.

La caractérisation du danger permet d’identifier les doses induisant les effets toxiques et, surtout, les doses sans effet toxique. Cette étape permet de définir une valeur toxicologique de référence : la dose journalière acceptable (ou DJA).

L’évaluation de l’exposition du consommateur à des substances chimiques via l’alimentation repose sur deux types de données : la concentration des substances présentes dans les denrées alimentaires concernées (dans le cas des substances soumises à autorisation, c’est la dose autorisée dans la denrée concernée qui sera retenue) et la quantité de ces denrées effectivement consommées. Deux niveaux de consommation sont pris en compte : la moyenne des consommations de chaque denrée et la consommation des forts consommateurs (95e percentile). Il est également important de tenir compte de la consommation de groupes d’individus particuliers comme les enfants. Ces données sont obtenues grâce à différents types d’enquêtes de consommation alimentaire.

La caractérisation du risque consiste à comparer l’exposition du consommateur, toutes autorisations confondues, à la DJA. Si l’exposition est inférieure à la DJA, la substance sera considérée comme ne faisant pas courir de risque au consommateur et pourra être autorisée aux doses demandées dans les denrées sollicitées. Dans le cas contraire, la substance évaluée sera considérée comme pouvant faire courir des risques aux consommateurs ; le gestionnaire du risque devra alors envisager, soit une diminution des doses utilisées, soit une diminution du nombre de denrées dans lesquelles la substance est autorisée, soit un refus d’autorisation.

Il est important de rappeler ici que la DJA est 100 fois plus faible que la plus petite dose qui n’a pas d’effet toxique chez l’animal et le sexe le plus sensible. On compare ainsi la quantité ingérée (l’exposition) à une dose 100 fois inférieure à la dose sans effet toxique chez l’animal. C’est donc une approche très protectrice.

Les contaminants non intentionnels

Par opposition aux substances réglementées, qui sont introduites intentionnellement dans le processus de fabrication de l’alimentation, des substances présentes de façon naturelle dans l’environnement ou à la suite d’une pollution des milieux (eau, air…) peuvent venir, de façon non intentionnelle, en contact des aliments et subsister lors de la consommation.

Le problème principal posé par ces contaminants (métaux lourds, mycotoxines, biotoxines marines – ou phycotoxines –, métabolites secondaires des plantes…) est dû au fait que leur existence et leur toxicité ne sont soupçonnées qu’à la suite d’intoxications massives.

L’identification du danger. Dans le cadre des contaminants non-intentionnels, elle consiste à faire la corrélation entre l’augmentation de l’incidence d’une pathologie, la consommation d’une denrée alimentaire précise et la présence d’un contaminant non-intentionnel dans cette denrée.

Caractérisation du danger. Un contaminant alimentaire n’est pas, par définition, soumis à autorisation. Sa présence est constatée lors de contrôles et ne peut être que tolérée dans une denrée alimentaire. Ainsi, la valeur toxicologique de référence fixée pour un contaminant alimentaire sera une dose journalière tolérable (DJT) ou dose hebdomadaire tolérable (DHT). La DJT est la quantité d’un contaminant alimentaire qu’un individu doit pouvoir ingérer tous les jours de sa vie sans courir de risque pour sa santé. Dans le cas de la DHT, on exprime la quantité qu’un individu peut ingérer par semaine et non par jour. Comme la DJA, la DJT est exprimée en mg (ou µg ou ng)/kg de poids corporel/jour.

La DJT (ou DHT) est fixée au vu des études toxicologiques de la même façon que la DJA. Cependant, les contaminants non-intentionnels bénéficient rarement de dossier toxicologique complet tel que celui exigé pour une molécule soumise à autorisation. Les évaluateurs disposent d’études menées de façon sporadique, par des chercheurs académiques ou institutionnels. Les études ne couvrent pas toujours tous les effets toxiques potentiels et ne sont pratiquement jamais menées suivant les lignes directrices officielles (OCDE) et les « bonnes pratiques de laboratoire » (voir encadré). En conséquence, les évaluateurs ne peuvent pas toujours identifier de dose sans effet et doivent alors utiliser la plus petite dose avec effet (Lowest Adverse Effect Level, LOAEL). Dans le cas où une dose sans effet toxique est disponible, celle-ci sera affectée des mêmes facteurs de sécurité, soit 10 x 10 pour les mêmes raisons que pour la DJA. Signalons une approche plus récente qui consiste à utiliser l’identification d’une dose critique appelée Benchmark Dose (BMD), correspondant à une réponse généralement faible, mais néanmoins mesurable dans les expérimentations animales.

Évaluation de l’exposition. La quantité de contaminant non-intentionnel présente dans chaque denrée potentiellement contaminée sera obtenue lors d’analyses qui se doivent d’être de bonne qualité. Les données de consommation seront les mêmes que celles utilisées dans le cas de substances soumises à autorisation. L’exposition du consommateur est calculée comme pour les substances introduites intentionnellement.

Caractérisation du risque. Comme pour les substances soumises à autorisation, la caractérisation consistera à comparer l’exposition des différents groupes de consommateurs à la dose journalière ou hebdomadaire tolérable. Si l’exposition est inférieure à celle-ci, la présence du contaminant non-intentionnel dans les différentes denrées sera considérée comme ne faisant pas courir de risque au consommateur. Dans le cas contraire, la présence de ce contaminant sera considérée comme pouvant faire courir des risques aux consommateurs ; le gestionnaire du risque devra alors envisager des mesures de gestion pour réduire les quantités présentes afin de diminuer l’exposition. On notera que l’évaluation du risque des contaminants alimentaires non-intentionnels est d’autant meilleure que l’on dispose de données toxicologiques de qualité.

Les « bonnes pratiques de laboratoire »

L’Agence nationale du médicament et des produits de santé définit les « bonnes pratiques de laboratoire » (BPL) comme « un système de garantie de la qualité du mode d’organisation et de fonctionnement des laboratoires qui réalisent des essais de sécurité non cliniques sur les produits chimiques » et dont la finalité est « d’assurer la qualité, la reproductibilité et l’intégrité des données générées à des fins réglementaires » 3. Il s’agit d’un ensemble de dispositions que doivent mettre en œuvre les laboratoires qui entendent faire des études sur les effets sur la santé ou l’environnement de produits destinés à être mis sur le marché. Des règles de qualité des opérations, de traçabilité des résultats et de contrôle qualité sont ainsi édictées et des vérifications sont faites régulièrement. Élaborées par un groupe d’experts de l’OCDE sur la base de la réglementation publiée en 1976 par la Food and Drug Administration américaine, ces BPL sont maintenant inscrites dans le droit européen et retranscrites dans le droit français pour les produits vétérinaires 4. Leur mise en place visait à apporter une réponse aux nombreux cas de fraude ou de mauvaises pratiques constatés dans les années 1970 dans les laboratoires prestataires.

Le principe de telles dispositions devrait rencontrer l’assentiment de tous ceux qui sont attachés à la qualité des études, à leur reproductibilité et à l’examen des données et des résultats. Pourtant, l’association Générations futures et le Pesticide Action Network ne partagent pas cet avis. Parce que des études allant dans le sens de leurs convictions ont été écartées par l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) pour non-respect des BPL, les deux ONG dénoncent des dispositions attentatoires à la « liberté de chercher » des « scientifiques indépendants » 5. Certes, le respect de bonnes pratiques de laboratoire n’est pas suffisant à lui seul pour écarter « la mauvaise science », les mauvais plans d’expériences ou l’incompétence d’expérimentateurs. Mais on voit mal en quoi leur non-respect serait supérieur.

J.-P.K.

Les substances « sans seuil »

Certaines substances sont dites « sans seuil » lorsque l’effet toxique considéré peut s’exercer quelle que soit la dose, aussi petite soit-elle. L’effet toxique considéré dans ce cas-là est l’effet génotoxique. Il est important de rappeler que la génotoxicité s’exerce sur l’ADN par modification de celui-ci. C’est la première phase de la cancérogenèse qui est un phénomène multiphasique, multifactuel et multifactoriel.

Un effet génotoxique n’est pas forcément synonyme de cancer, mais les toxicologues préfèrent éliminer toute molécule génotoxique plutôt que de courir le risque d’exposer consciemment le consommateur. En conséquence, les substances soumises à autorisation, comme les additifs alimentaires, ne bénéficient jamais de l’attribution d’une DJA dans le cas de risque génotoxique. Elles ne sont tout simplement pas autorisées.

Dans le cas de contaminants non intentionnels dont la présence dans les denrées alimentaires ne peut être évitée, la question est délicate. Plusieurs approches peuvent être envisagées. Le principe ALARA (As Low As Reasonably Achievable) consiste à dire que, quand un contaminant non-intentionnel est génotoxique, le niveau de résidus acceptables sur une matière première ou une denrée alimentaire destinée à la consommation humaine doit être le plus bas possible. Les limites maximales acceptées dans les aliments sont alors définies par des règlements qui font l’objet de nombreuses discussions entre États.

Autre approche : le seuil de toxicité (Threshold of Toxicological Concern, TTC). Il est basé sur une approche probabiliste du risque de survenue d’un cancer après exposition à une substance cancérogène génotoxique. Si l’exposition du consommateur est inférieure à 0,15 µg/j (soit pour un adulte 0,0025 μg/kg de poids corporel/j), il n’y a pas de risque inacceptable de survenue supplémentaire d’un cancer [2]. Cette approche est particulièrement intéressante dans la mesure où elle peut s’appliquer à des substances pour lesquelles on dispose de peu de données toxicologiques, ce qui est souvent le cas des contaminants non-intentionnels des aliments. Elle nécessite en revanche de disposer de données suffisamment précises sur la structure de la molécule et de données d’exposition de bonne qualité 6.

Pour ou contre la DJA ?

Depuis 1956, la notion de DJA est utilisée pour évaluer le risque d’une substance chimique présente dans l’alimentation. Cependant, cette notion est aujourd’hui contestée régulièrement (voir encadré) sans que des solutions alternatives soient proposées.

Ainsi, le journaliste Fabrice Nicolino écrit-il : « comment les agences sanitaires osent-elles prétendre qu’il n’y a pas de danger à avaler, respirer, boire, sentir une molécule toxique ? Grâce à la DJA : si on ne la dépasse pas, il n’y a pas de souci. Et si on la dépasse, pas davantage, ou presque. On chercherait en vain une trouvaille plus rassurante. Or la DJA est le socle sur lequel reposent d’autres normes secondaires » 7. Pour le toxicologue militant, André Cicolella, la solution est simple : « Nous estimons que dès qu’une substance chimique utilisée dans l’alimentation est identifiée comme potentiellement dangereuse à partir de l’expérimentation animale, elle doit être éliminée sans attendre d’avoir la certitude de son action chez l’homme. Il faut désormais adopter une gestion par le danger et non plus une gestion par le risque » 8.

Peut-on aujourd’hui envisager de se passer de la DJA, de ce concept de risque ? À partir du moment où une substance chimique est présente dans l’alimentation, il relève de la responsabilité des scientifiques d’en évaluer le risque pour le consommateur, et de la responsabilité des gestionnaires du risque de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité du consommateur au vu des données de l’évaluation du risque. Si aucune approche substitutive n’est proposée, comment faire ?

Il existe une solution qui est en fait sous entendue dans cette guérilla contre la DJA : supprimer la présence de substance chimique non constitutive de la denrée alimentaire. Ceci équivaut à supprimer les additifs alimentaires ! Pourquoi pas ? Supprimons les colorants, pas de problème, sauf que les expériences tentées de sirop de grenadine ou de menthe incolores ont montré que le consommateur ne les achetait pas. Supprimons les conservateurs ! Mais dans ce cas-là, il faudra faire des courses tous les jours et consommer très rapidement les produits avant qu’ils ne soient contaminés par des moisissures ou des bactéries toxiques ! Supprimons les émulsifiants, mais il faudra apprendre à se passer des plats préparés ! Et supprimons les emballages et bouteilles en plastique, et revenons aux bonnes vieilles bouteilles en verre, si lourdes ! C’est un véritable choix de société que peut induire ce type de position extrême. La sécurité sanitaire des aliments a progressé au siècle dernier à la fois grâce aux progrès de l’évaluation du risque et aux mesures d’hygiène qui se sont développées.

Et si cette notion de DJA est contestée, par voie de conséquence, celle de DJT l’est aussi. En supprimant les substances ajoutées soumises à autorisation, il restera encore les contaminants non intentionnels, qui ne peuvent pas, par définition, être évités. Il est déjà extrêmement difficile d’évaluer le risque de contaminants non intentionnels dans le contexte actuel en raison de la mauvaise qualité des études disponibles, souvent peu nombreuses en raison de l’absence de financement pour des études réglementaires, mais qu’adviendra-t-il si on ne peut plus utiliser la notion de DJT pour caractériser le danger toxicologique ? D’autant plus que, dans un tel contexte, sans pesticides ni conservateurs, le risque induit par la présence de microorganismes secrétant des toxines naturelles sera très sérieusement augmenté. En conséquence, contester la notion de DJA est sûrement très médiatique, mais il serait nécessaire que des approches substitutives soient proposées.


Références

1 | Bonvallot N, Dor F, Duboudin C, « Elaboration des valeurs toxicologiques de référence et relations dose réponse ». In : Analyse des risques alimentaires. Ed Tec Doc, Lavoisier, Paris, 2006, pp 141-176.
2 | Kroes R et al., “Structure-based thresholds of toxicological concern (TTC) : guidance for application to substances present at low levels in the diet”. Food Chem Toxicol, 2004, 42:65-83.


Agences et organismes en charge de l’évaluation

L’évaluation de la sécurité alimentaire des contaminants chimiques se fait au niveau national, européen et international par des comités d’experts constitués de scientifiques possédant des compétences complémentaires nommés à titre personnel et qui ne doivent représenter ni les intérêts de groupes professionnels ni ceux de l’État. Pour des raisons de complémentarité des compétences mais aussi d’impartialité, les expertises sont toujours collectives et non individuelles.

En France, c’est l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) qui est en charge de ces évaluations.

Au niveau de l’Union européenne et depuis 2003, il s’agit de l’EFSA (European Food Safety Authority). Auparavant, il s’agissait du SCF (Scientific Committee of Food ou Comité scientifique de l’alimentation).

Aux États-Unis, c’est la Food and Drug Administration (FDA) qui est en charge de ces évaluations.

Au niveau international, le JECFA (Joint Expert Committee on Food Additives) est un comité mixte dépendant à la fois de la FAO et de l’OMS.

Ces différents comités sont consultatifs et ne prennent donc pas de décisions, mais ils fournissent des avis aux gestionnaires du risque et aux décideurs politiques.

La stévia, un édulcorant « naturel » ?

La stévia est un édulcorant qui connaît un regain de popularité. Présenté comme « naturel », il tend à devenir un substitut à l’aspartame, victime de la campagne médiatique autour de risques allégués (mais non démontrés) de cancer ou de diabète. Les allégations de « naturel » sont très surprenantes. Cet additif est extrait des feuilles d’une plante, Stevia rebaudiana, membre de la famille des Compositae, qui poussait à l’origine en Amérique du Sud (Paraguay et Brésil). Avant d’être autorisé, l’édulcorant issu de la plante a suivi un parcours de plus de 20 ans d’évaluation par les agences de santé. Il a d’abord été considéré comme non admissible du point de vue toxicologique par le Comité scientifique de l’alimentation humaine (CSAH) de la Commission européenne (1987, avis renouvelé en 1999). Ces avis négatifs étaient dus à l’absence de caractérisation analytique satisfaisante des extraits utilisés dans les quelques tests toxicologiques pratiqués. Le comité mixte FAO/OMS d’experts des additifs alimentaires (JECFA) a, de son côté, publié en 2000, 2005, 2006 et 2007, des avis plus ou moins circonstanciés réclamant des éléments complémentaires pour se prononcer sur l’innocuité du produit.

Ce n’est qu’à partir de 2007 que l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) a émis des avis sur les glycosides de stéviol et le rébaudioside conduisant à une autorisation nationale provisoire de deux ans du rébaudioside pur à plus de 97 %, dans des conditions d’utilisation restrictives. Enfin, le 10 mars 2010, le panel sur les additifs alimentaires et les sources de nutriments (ANS) de l’Autorité européenne de sécurité alimentaire (AESA) adopte pour les glycosides de stéviol une DJA relativement prudente.

L’origine « naturelle » de l’édulcorant, son utilisation traditionnelle par certaines populations au Japon, au Paraguay et au Brésil ne l’a pas exempté d’une caractérisation du risque complète, comme pour tout additif alimentaire et en dépit de l’impatience des utilisateurs potentiels. C’est ainsi qu’il aura fallu presque 25 ans pour arriver à l’autorisation d’un produit purifié, l’extrait « naturel » de la plante étant toxique et perturbateur endocrinien. De nombreuses étapes ont été nécessaires pour isoler le produit consommable sans risque. Cependant, la Commission européenne, dans son avis d’autorisation, souligne le risque de dépassement de la DJA fixé à 4 mg/kg de poids corporel. Ceci est à mettre en parallèle avec la DJA actuelle de l’aspartame qui est de 40 mg/kg p.c., ce qui signifie que le consommateur peut consommer, sans risques pour sa santé, 10 fois plus d’aspartame que de stévia.

Gérard Pascal (toxicologue) - SPS n° 306,octobre 2013

3 ansm.sante.fr/Activites/Elaboration-de-bonnes-pratiques/Bonnes-pratiques-de-laboratoire

6 Une autre approche, appliquée par l’EFSA, est l’approche dite de la marge d’exposition

7 Fabrice Nicolino, Un empoisonnement universel : comment les produits chimiques ont envahi la planète, Babel, 2016.

8 television.telerama.fr/television/on-nous-fait-avaler-n-importe-quoi,66580.php