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Dossier • Quelques idées reçues sur le bio

Croire le bio meilleur peut-il le rendre effectivement meilleur au goût ?

Publié en ligne le 22 janvier 2016 - Alimentation -

Croire les aliments bio meilleurs peut-il nous les faire trouver effectivement meilleurs ? La réponse à cette question passe par la description d’un biais cognitif connu sous le nom d’« effet de halo » et identifié dès 1920 par Edward Thorndike. En demandant à des officiers d’évaluer leurs soldats sur des dimensions à la fois physiques et intellectuelles [1], le psychologue américain jugea les réponses trop improbables : la corrélation entre l’apparence et les autres caractéristiques était, à ses yeux, trop élevée.

Beau donc intelligent ?

Depuis, ce constat, finalement assez intuitif, a été fermement établi : le jugement que l’on porte sur les personnes est influencé par la perception que l’on a de leur apparence. La dénomination « effet de halo » réfère au halo, auréole lumineuse autour d’une source de lumière (cf. une lampe dans le brouillard). Ce terme est utilisé dans les sciences sociales pour désigner la diffusion de la signification d’un élément à un ou d’autres éléments sans rapport objectif avec lui. En 1975, la psychologue Margaret Clifford [2] a demandé à des enseignants d’évaluer l’intelligence d’élèves, leur sociabilité, l’intérêt porté par leurs parents envers l’école ou encore leur disposition à poursuivre des études, sur la seule présentation d’une photo d’identité.

Les plus attrayants se sont avérés les mieux évalués. Ce biais cognitif lié à l’apparence physique, a été mis en évidence dans de nombreux autres contextes : le jugement sur les actions à venir de politiciens [3] ou les peines infligées par les tribunaux [4].

Pepsi ou Coca ?

L’effet de halo ne concerne pas que le jugement des personnes et des personnalités. C’est ainsi cet effet de halo qui permet d’éclairer un paradoxe connu : pourquoi Pepsi-Cola est-il jugé meilleur que son rival Coca-Cola quand les marques sont masquées, alors que c’est l’inverse dans les préférences déclarées des consommateurs ? En 1983, une étude [5] a montré l’influence déterminante de l’étiquette dans le choix des consommateurs. Plus surprenant, une autre étude [6] a mis en évidence que, non seulement la préférence était influencée par l’étiquette (et donc par la marque), mais aussi le goût réellement perçu (des analyse IRM montrent l’activation effective de parties du cerveau liés aux circuits de récompenses). En clair, ce qui fait préférer le Coca-Cola n’est pas un goût meilleur dans l’absolu, mais le goût perçu après avoir vu l’étiquette de la bouteille.

Même le vin ?

Pourrait-il en être de même pour le vin ? La réponse semble positive. Nos meilleurs crus subissent les mêmes biais d’appréciation qu’un vulgaire cola… L’étiquette, mais aussi le prix influencent notre perception [7,8]. Même la couleur influence l’appréciation des qualités gustatives : un vin blanc auquel a été ajouté un colorant rouge se voit ainsi décrit avec les qualificatifs habituellement attribués à un vin rouge.

Et le bio ?

Les qualités gustatives d’un fruit ou d’un légume dépendent principalement de critères tels que son état de maturité au moment de la récolte ou de la variété choisie, et bien peu du mode de production. Pourtant, bon nombre de consommateurs d’aliments bio vous l’affirmeront : ils sont bien meilleurs au goût. Cette appréciation pourrait-elle aussi être influencée par l’effet de halo ?

C’est ce que semble établir une étude menée à l’Université Cornell aux États-Unis [9] (voir également [10] qui rapporte cette expérience). Il a été demandé à 144 personnes de comparer deux séries de produits (sandwichs, cookies, yaourts nature et chips), les uns marqués bio et les autres non, et d’exprimer sur une échelle allant de 1 à 9 une dizaine d’attributs tels que le goût, le contenu en matières grasses ou le nombre de calories. Et, confirmant les attentes, les sujets ont préféré le goût des aliments étiquetés bio, les ont jugés moins caloriques, avec moins de matières grasses et plus de fibres… Ils ont également estimé qu’ils devaient valoir plus cher. En réalité, ce sont exactement les mêmes aliments qui étaient présentés (tous bio)  : seule l’étiquette changeait.

Références

1 | Thorndike, E. L. (1920), « A constant error in psychological ratings », Journal of Applied Psychology 4 (1) : 25–29.
2 | Clifford Margaret et Walster Elain, “The effect of physical Attractiveness on Teacher Expectations”, Sociology of Education, 1973, Vol. 46.
3 | Palmer, C.L., Peterson R.D. “Beauty and the Pollster : The Impact of Halo Effects on Perceptions of Political Knowledge and Sophistication ». Midwest Political Science Association. 2012.
4 | Michael G. Efran , “The effect of physical appearance on the judgment of guilt, interpersonal attraction, and severity of recommended punishment in a simulated jury task”, Journal of Research in Personality, Volume 8, Issue 1, June 1974, P. 45–54.
5 | Mary E. Woolfolk et al. “Pepsi versus Coke : labels, not tastes prevail”, 1983, Psychological Reports, 52.
6 | “Neural Correlates of Behavioral Preference for Culturally Familiar Drinks”, Samuel M. McClure, Jian Li, Damon Tomlin, Kim S. Cypert, Latane, M. Montague, and P. Read Montague, Neuron, Vol. 44, 379–387, October 14, 2004.
7 | www.theguardian.com/lifeandstyle/20...
8 | http://scienceblogs.com/cortex/2007...
9 | “You taste what you see : Do organic labels bias taste perceptions ?”, Jenny Wan-chen Lee, Mitsuru Shimizu, Brian Wansink. Food Quality and Preference, Volume 29, Issue 1, July 2013, Pages 33–39.
10 | https://web.archive.org/web/2020081...

Publié dans le n° 314 de la revue


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L' auteur

Jean-Paul Krivine

Rédacteur en chef de la revue Science et pseudo-sciences (depuis 2001). Président de l’Afis en 2019 et 2020. (...)

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