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Courrier des lecteurs : avril à juin 2015

Publié en ligne le 28 août 2015 - Rationalisme -
SPS n° 313, juillet 2015

Les croyances dans la France profonde

Un grand merci tout d’abord pour vos publications qui, sur des bases scientifiques, donc avérées, « remettent les pendules à l’heure » sur des sujets parfois pointus. Mon courrier a pour sujet les superstitions et croyances en France profonde [...]. Les années aidant, force m’est de constater que ces croyances médiévales ne sont pas le fait de quelques fermes isolées, mais bien ancrées dans les petites villes et villages de la France profonde, toutes catégories sociales confondues. Je n’irais pas jusqu’à prétendre que ce n’est pas le cas dans les grandes villes, loin s’en faut, mais les contacts y étant plus anonymes, ces constats deviennent d’autant plus difficiles. Cette liste non exhaustive est le fait d’expériences, de constats réitérés maintes fois d’où mon interrogation.

Mon enfant a des vers dans la tête. Je précise bien « dans la tête », pas dans les intestins (vermifuge Lune). Diagnostic des parents : « il se réveille parfois la nuit en hurlant. Ma femme le prend dans les bras, rien n’y fait, nous avons même l’impression qu’il ne reconnaît plus ses parents, etc. etc. Nous l’avons amené chez… un guérisseur connu, il l’a touché et c’en a été fini ». Pour moi, ce sont tout simplement des angoisses nocturnes du nourrisson, chose connue et reconnue et qui ne prête pas à salamalecs. Parler de médecin équivaut à se faire rétorquer théorie du complot, aucun médecin ne veut le reconnaître… et ancre définitivement l’interlocuteur dans ses croyances, l’espoir de lui ouvrir les yeux est totalement vain.

Les guérisseurs de feu. Entendez par là guérisseurs de brûlures. Exemple, un jeune couple voisin venait de faire construire, mais le ballon d’eau chaude n’était pas encore branché. La mère, pour faire prendre leur bain à ses enfants, met de l’eau brûlante dans la baignoire, eau qu’elle avait précédemment fait chauffer sur le gaz. Le garçonnet turbulent et curieux, s’en approche et… tombe dedans. Graves brûlures, SAMU, hôpital. Dès chose faite, le couple s’est empressé… d’apporter la photo du gamin à une guérisseuse qui, au travers d’incantations et passes diverses l’a soulagé. La preuve ? Dixit le père, lorsque nous avons rendu visite à notre fils, il ne souffrait plus ! Bluffant, non ? Il me semble qu’un hôpital a des analgésiques à sa disposition. En faire mention revient à ce qui a été mentionné au chapitre précédent.

Les panseurs de verrues. Entendez par là les guérisseurs de verrues. La technique est immuable, ils crachent dessus (je sais, pas très ragoûtant) et massent lesdites verrues avec la chose : elles disparaissent.

Plus récemment à mon club. J’avais une forte suspicion de cancer. J’informe donc le gérant du club que je ne pourrai pas venir dans les prochains temps. À ses questions (je suis très assidu), j’évoque du bout des lèvres les mots « éventualité de cancer ». Mon voisin, immédiatement sur le ton de la confidence, me fait savoir qu’il peut me présenter à « quelqu’un », entendez par là une personne qui n’a strictement aucun rapport avec la faculté de médecine. Dois-je préciser que le voisin en question est… notaire. À une autre époque, sévère problème cardiaque, j’en fais part à une vague connaissance qui « a des dons » (je ne le savais pas…). Là aussi, réponse : « Tous des charlatans, viens me voir à mon cabinet, je vais t’arranger ça ».

Je passe sur les autres spécialistes, rebouteux, guérisseurs de tous poils, pour les humains, pour le bétail (à qui l’on a jeté un sort), sur le mauvais œil, les colliers d’ambre (en général made in Taïwan) que l’on met au cou des écoliers pour les protéger etc. etc. Ma prose en deviendrait sinon un roman.

En résumé, que faut-il penser de tout cela ? Des niais ? Crétinisme ? Suis-je sur une autre planète ? J’avoue ma grande perplexité.

V. L. B.

Vous avez raison, les croyances irrationnelles restent très répandues. Elles varient selon les lieux et les personnes. Par exemple, dans les sondages, on trouve que les femmes croient généralement plus à la voyance, mais les hommes croient plus à la télékinésie ou aux enlèvements par les extra-terrestres. Les travaux de Jean-Bruno Renard semblent montrer que de telles croyances ont toujours existé, et à peu près dans les mêmes proportions. Pour revenir à votre sujet, les campagnes et les villes ont elles aussi des croyances un peu différentes, avec par exemple la psychanalyse, typique des villes, mais qui « épargne » la France profonde que vous évoquez. Et celle-ci est plus sensible aux jeteurs de sort, etc.

Constatons aussi que les croyances dont vous parlez, et bien d’autres, reposent toutes sur le sophisme « post hoc ergo propter hoc » : à la suite de ça, donc à cause de ça. Refuser ce sophisme est un mécanisme intellectuel qui doit être entraîné, « pratiqué ». Simplement, comme il existe aussi, tout de même, des corrélations qui sont vraiment dues à une causalité, dans une discussion avec des proches, la difficulté majeure, bien souvent, est de faire comprendre ce phénomène.

En tout cas, vous ne vivez pas « sur une autre planète », mais avec des proches qui, sans être des niais ni des crétins, sont juste des gens mal informés, peu habitués à raisonner sur ces sujets. Par contre, les premiers mécanismes intellectuels, que tout un chacun partage, permettent déjà, nous semble-t-il, que les gens qui croient facilement à l’irrationnel y croient également assez peu. Les granules d’homéopathie sont acceptés pour les petits bobos, mais peu de gens auraient l’idée d’en prendre pour une maladie grave (ou alors, il y a vraiment un grand danger, ce que nous soulignons souvent). Cet exemple peut sans doute être généralisé : l’irrationnel est convoqué, mais pas défendu « jusqu’au bout ».

Peut-être aussi que certaines croyances peuvent être « acceptables », lorsqu’elles n’ont aucun effet négatif, et peuvent même avoir des effets positifs ? Dans le cas que vous citez des barreurs de feu par exemple, bien qu’ils n’aient en réalité aucune efficacité, le fait de penser que quelqu’un peut vous aider est en soi un réconfort et l’effet placebo agit malgré tout sur la perception de la douleur. On n’est pas loin du bisou de la maman, ou de « souffler sur le bobo »... Nous parlons bien sûr ici de décisions personnelles, de cas particuliers et de choix individuels. Sur le plan intellectuel, et encore plus sur celui de la société et de la Santé Publique, c’est la « planète de la vérité » qu’il faut habiter !

Pour compléter votre lettre, voici également un exemple de courrier que nous avons reçu, qui évoque lui aussi les « couleurs locales » que peuvent prendre les croyances. Nous en recevons d’un peu partout, finalement... La tâche est planétaire !

Nicolas Gauvrit et Martin Brunschwig

Croyances encore !

J’exerce en tant que médecin libéral depuis trente ans en Guyane. Mes patients haïtiens pratiquent encore le vaudou pour certains ; mes patients guyanais se font traiter du piaïe (mauvais sort) ; mon associé fait de l’homéopathie, la chaîne locale télévisuelle diffuse tous les jours une émission de voyance ; mes métropolitains croient aux huiles essentielles, à l’ostéopathie et prennent du magnésium etc. Alors la lecture de votre revue est ma seule île déserte scientifique où je peux me réfugier de temps en temps et je ne veux pas voir cette île submergée par la montée des flots d’ignorance !

Considérez ce don [Le docteur Lançon a effectué un don direct à l’Afis, nous l’en remercions] comme une petite pierre à mettre sur la digue ! Et merci de continuer à informer tous ceux qui souhaitent l’être sûrement.

Docteur Dominique Lançon

Une lettre de James Randi

Je viens de recevoir mon exemplaire de Science et pseudo-sciences[avril 2015] et, page 78, un article "La science supposée expliquer le paranormal" a attiré mon attention. J’y lis que le magicien François Ranky croit avoir découvert des personnes dotées de « pouvoir psy extraordinaires ». Je suis bien entendu très intéressé à les rencontrer et tester ces pouvoirs.

Je propose à M. Ranky de soumettre l’une de ces personnes (ou toutes) pour le gain du prix d’un million de dollars que je propose pour la première personne qui réussira les tests convenus en commun. La participation du CIEEPP [l’association de Mr Ranky, NDLR] ainsi que celle de sceptiques français sont, bien entendu, les bienvenues.

C’est avec enthousiasme que je recevrai ces candidatures, bien que je me demande pourquoi toutes ces personnes ont attendu si longtemps pour nous contacter.

James Randi

Nous avons transmis cette lettre à Mr François Ranky. Le fait que ce prix d’une valeur d’un million de dollars n’ait jamais été remporté montre la valeur des allégations sur ces prétendus pouvoirs extraordinaires… Lettre traduite en français par nos soins.