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Mammifères et dinosaures ont-ils coexisté ?

Publié en ligne le 9 septembre 2015 - Vulgarisation scientifique -

Il semblait bien établi que des mammifères avaient côtoyé les dinosaures. En particulier, une belle démonstration en avait été la mise au jour du fossile d’un Repenomamus robustus, animal ressemblant, paraît-il [1], à un diable de Tasmanie. Ce mammifère contenait dans son estomac… les restes d’un dinosaure, plus précisément les restes d’un bébé Psittacosaurus [2] d’environ 14 cm de long ! La photo de ce fossile publiée dans Nature en 2005 (Nature, 2005, 433, 149) confirmait donc non seulement la coexistence des deux espèces mais aussi que les mammifères ne se contentaient pas d’insectes pour nourriture, comme généralement admis.

Hélas, le 7 février 2013, plusieurs médias (Le Figaro, La Voix du Nord, RTBF, Planet.fr), rapportant sur le Web une annonce de l’AFP, citent un article du même jour de la revue Science, selon lequel, d’après ces médias, « Mammifères et dinosaures n’ont pas coexisté ». Il est précisé que « cette étude tranche un débat sur les origines des mammifères, que de précédents travaux situaient avant la disparition des dinosaures ».

Alors, qui fallait-il croire ?

En fait, ces titres fracassants sont faux : leur portée était totalement modifiée par l’absence de l’épithète « placentaires ». Le titre de l’article original de Science était pourtant précis : « The Placental Mammal Ancestor and the Post–K-Pg Radiation of Placentals » (K-Pg désigne la frontière entre le crétacé et le paléogène, période de disparition des dinosaures). Il faut savoir qu’on classe les mammifères en trois groupes : les placentaires (avec un placenta), les marsupiaux (avec une poche abdominale), les monotrèmes (avec des œufs, mais allaitements des petits). Par conséquent, le rapprochement des articles de Nature et de Science permettait de préciser, au contraire, que des mammifères avaient coexisté avec les dinosaures et que c’étaient soit des marsupiaux soit des monotrèmes (comme indiqué, d’ailleurs, dans la figure 1 de l’article de Science).

Le jour suivant, le titre du Figaro avait évolué et était devenu : « l’ancêtre commun des mammifères dévoilé » comparable à celui de la revue Sciences et Avenir. Là encore, l’épithète « placentaires » n’apparaissait pas et laissait à penser qu’il s’agissait de l’ancêtre de tous les mammifères, du kangourou, par exemple, ce qui était faux. Cependant, il était précisé dans ce dernier article de quel groupe d’espèces de mammifères il s’agissait, mais sans plus d’explication. De plus, on ne voyait pas bien quel pouvait être le rapport avec le titre de la veille : l’information importante relative à l’apparition de ces mammifères placentaires à la fin du crétacé, après l’extinction des dinosaures, n’était plus mentionnée. Cette dernière information disparaissait aussi dans les titres, corrects, du Point (« L’ancêtre commun des mammifères placentaires identifié »), et du Monde (« Le premier des mammifères placentaires ? »).

Très intéressantes sont aussi les très nombreuses (plus de 100) réactions des lecteurs. Certains y voient une manifestation de la grandeur de Dieu, un appui des thèses créationnistes (on ne voit pas pourquoi), d’autres au contraire la preuve de l’inanité de ces thèses. Un seul lecteur est allé consulter l’article original qui était pourtant en ligne. Les lecteurs de Sciences et Avenir qui semblent les plus sagaces et posent les bonnes questions, dénoncent un article bancal. Enfin, d’aucuns s’en prennent aux journalistes qui diffusent des « âneries ». Là est le point crucial dans cette affaire : ce n’est pas le contenu des articles rapportés qui est critiquable par un lecteur non spécialiste, bien évidemment, mais la manière de les rapporter. C’est un défaut qu’on rencontre très souvent dans les quotidiens mais pas uniquement. Les exemples abondent. Par exemple, un grand quotidien [3] dénonçait récemment l’usage systématique de « chlorine » en Syrie et l’existence d’une usine de production de cette « chlorine » et un mensuel de vulgarisation scientifique faisait la même erreur [4] Or, la chlorine est une molécule qui, avec le magnésium, constitue la chlorophylle. Ce n’est donc aucunement un gaz de combat ! Le journaliste a tout simplement utilisé, sans le traduire, le mot anglais signifiant « chlore » !

On voit bien que le problème est au niveau de la trop grande pression s’exerçant sur les journalistes pour qu’ils présentent du sensationnel aussi rapidement que les concurrents.

Rubrique coordonnée par Nadine de Vos

Publié dans le n° 312 de la revue


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L' auteur

Jacques Bolard

Jacques Bolard est biophysicien, directeur de recherche honoraire au CNRS.

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