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« Vessie, reflet de l’âme ! »

Publié en ligne le 3 juin 2015 - Médecines alternatives -

« Vessie, reflet de l’âme ! »

« De Confucius à Lavoisier, rien ne se perd, tout se transforme. »
« Chez l’homme tout s’obstrue, chez la femme tout fuit. »
« Notre pisse nous réserve bien d’autres pistes. »

Bien d’autres perles sont égrenées tout au long du reportage de 52 minutes, intitulé « Les super-pouvoirs de l’urine », diffusé vendredi 14 novembre 2014 à 22h25, sur ARTE [1]. La voix off est celle de l’auteur du film, Thierry Berrod, qui récidive après « La fabuleuse histoire des excréments », diffusé aussi par ARTE en 2008 [2]. Apparemment soucieux de ne pas provoquer de rejet de la part du spectateur, le documentariste annonce : « Pour sublimer le flux pisseux, pour éviter de susciter le dégoût, nous utiliserons, dans la mesure du possible, des caméras thermiques, microscopiques et même ultra-rapides. »

« Notre miction nous offre un florilège d’intérêts »

Le documentaire commence par les images d’un fœtus sous échographie baignant dans le liquide amniotique. Une voix off dit gravement : « Nous avons oublié, mais nous avons passé les premiers mois de notre vie dans l’urine. En effet, le sac amniotique est composé à 80 % de l’urine du fœtus. Chaque jour le fœtus urine l’équivalent de deux verres d’eau. » Puis elle ajoute : « Chacun d’entre nous produit 38 000 litres d’urine en une vie », soit l’équivalent d’un gros camion-citerne. Et tant qu’à faire de retourner à la source, buvons et recyclons : « ... se pisser dessus serait même bénéfique. »

Les scènes se succèdent : des hommes et des femmes trinquent le verre d’urine à la main. Des hommes urinent dans un verre, (sans doute plus difficile pour une femme), puis boivent leur urine toute chaude. Des femmes appliquent pendant vingt minutes sur leur visage une serviette trempée dans l’urine, avant de prendre leur douche, pour rivaliser avec les plus belles femmes du monde. Cela ouvrirait les pores de la peau et nettoierait les sept couches de l’épiderme. On évoque les bienfaits des bains de bouche à l’urine pour blanchir les dents, grâce à l’ammoniaque, des gouttes d’urine sur la langue pour soigner une blessure à l’œil, etc.

Les vertus du « liquide d’or »

Matière première, engrais industriel, outil de diagnostic pour les scientifiques, médicament, empreinte biologique dans une scène de crime, ressource énergétique, cellules souches, recyclage de l’azote et du phosphore pour les plantes, substitut naturel aux engrais chimiques…, c’est un festival. Des chercheurs témoignent des expériences surprenantes réalisées avec l’urine aux États-Unis, en Chine, aux Pays-Bas, au Danemark, en Angleterre, en Allemagne ou en France…

Comment ne pas être subjugué par de telles ressources ?

Il est vrai que de nombreux composants de l’urine, l’urée, l’urokinase, sont utilisés à grande échelle dans l’industrie, dans des produits pharmaceutiques, cosmétiques, dans l’agriculture, mais ils sont fabriqués par synthèse. On ne procède pas à des dons d’urine, ni à des élévages de donneurs… Ce sont des utilisations industrielles, mais ce ne sont pas des preuves scientifiques de l’efficacité de l’urine pour la santé, contrairement à ce que veut nous faire croire le film.

Des témoignages et des cautions mais pas de preuves

Partout dans le monde, en Chine, au Japon, en Inde, aux Pays-Bas, en Allemagne, etc., des « millions de gens » boiraient leur propre urine pour guérir ou se protéger de la maladie, enduiraient d’urine leur épiderme, leurs dents ou leurs cheveux pour les embellir. L’engouement pour l’urinothérapie gagnerait l’Italie et l’Espagne, et bientôt la France… Thierry Berrod dit que « dans certaines cultures, maris et femmes échangent carrément leurs urines, car c’est une façon d’équilibrer le Yin et le Yang ».

Une longue séquence apporte la caution de la tradition, toujours vivace en Chine. Un village est connu pour « ses centenaires consommateurs de pipi ». L’urine des nourrissons et des jeunes enfants est particulièrement prisée. On peut s’en procurer sur Internet où le verre coûte une centaine d’euros, ce qui n’est pas donné, soit dit en passant ! Les « œufs de garçons vierges » sont cuits dans des grands chaudrons remplis de l’urine des écoliers de moins de dix ans, recueillie par camion citerne dans des écoles où les petits écoliers chinois en uniformes sont conditionnés à vouer à l’urine un véritable culte. Selon les croyances anciennes, leur urine aurait « la propriété de baisser la température corporelle, de favoriser la circulation sanguine et de revigorer le corps ». Ce serait un véritable élixir d’immortalité.

Face à cette polyvalence de l’urine, on se demande pourquoi s’être donné tout ce mal pour créer et perfectionner la médecine, alors que nous sommes tous de véritables pharmacies ambulantes, pas seulement des machines à transformer le vin en urine, mais encore tout ce que nous avalons en tonique médicinal !

Les risques d’une mauvaise utilisation

Ce n’est pas nouveau, les vertus supposées de l’urine ont été depuis très longtemps décrites. Pline l’Ancien écrivait que rien n’égalait l’urine d’eunuque pour rendre les femmes fécondes. On dit qu’Ambroise Paré, le père de la chirurgie moderne, la recommandait pour désinfecter et cicatriser les plaies. De l’Inde à l’Égypte ancienne, en passant par nos campagnes, l’urine humaine et animale a toujours été utilisée.

Mais de la croyance à la preuve scientifique, il n’y a pas un pas, il y a un fossé. Si l’urine en elle-même n’est probablement ni nocive ni dangereuse, l’urinothérapie peut présenter des risques dans certains cas, quand l’urine est consommée sans discernement ou quand elle se substitue à un traitement médical. Il existe aussi un risque de contamination. De nombreuses médecines populaires appliquent des pansements à base d’urine, de matières fécales ou de purin, qui communiquent le tétanos.

Le risque de dérive sectaire

La Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) a dénoncé la propagation des dérives sectaires sur Internet. Elle a recensé plusieurs médecines dites alternatives, dont fait partie l’urinothérapie. Les mouvements qui les préconisent représenteraient « 30 % des dérives sectaires en France », un chiffre en perpétuelle augmentation [3].

Sur le site Clinique de Médecine Alternative, on lit : « Pour des millions de personnes sur terre, l’urine est surtout un mode de vie… » Suivent des témoignages qui se veulent « alléchants », décrivant des expériences paradisiaques, grâce à Amaroli, nom indien de l’urinothérapie. La grande prêtresse de l’Amaroli, Johanne Razanamahay, dit dans l’une de ses conférences : « Nous retrouvons notre unité avec le divin et la vie cesse d’être une suite de conflits et de souffrances pour s’épanouir dans la joie et la créativité. Amaroli est une porte qui s’ouvre devant nous pour retrouver le paradis perdu de la conscience claire et de l’amour inconditionnel. » Quoi de plus tentant pour quelqu’un qui est en quête de bien-être ? [4]

Sur Internet, on trouve ainsi beaucoup de recettes pour agrémenter cet élixir et de nombreuses communautés se retrouvent autour de cette pratique. Que ARTE surfe sur cette vague de croyances, sans le moindre débat contradictoire, est choquant ! Les urinothérapeutes se protègent habilement des critiques de la médecine traditionnelle en reconnaissant que, certes, leur thérapie n’est pas parfaite, mais que tant qu’on continue à intoxiquer son corps avec des médicaments, elle ne sert à rien.

« Si vous commencez une cure à l’urine, arrêtez tous vos traitements ! » Là est le piège !

Références

1 | https://boutique.arte.tv/detail/sup...
2 | www.dailymotion.com/video/x5rzwp_fa...
3 | http://www.souslavouteetoilee.org/article-le-jus-de-citron-ne-guerit-pas-du-cancer-77005595.html et
www.sectes94-sofi.org/breves-novembre-2013 (indisponible—31mai 2020)
4 | www.reiki-therapies.com/Amaroli-Urinotherapie (indisponible—31 mai 2020)

Publié dans le n° 311 de la revue


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L' auteur

Brigitte Axelrad

Professeur honoraire de philosophie et psychosociologie. Membre du comité de rédaction de Science et (...)

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Médecines alternatives

Médecines douces, médecines alternatives, médecines parallèles… différents termes désignent ces pratiques de soins non conventionnels qui ne sont ni reconnues sur le plan scientifique ni enseignées au cours de la formation initiale des professionnels de santé.

Voir aussi les thèmes : homéopathie, acupuncture, effet placebo.