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Les surdoués ordinaires

Publié en ligne le 14 février 2015
Les surdoués ordinaires
Nicolas Gauvrit

PUF, 2014, 278 pages, 19 €

Nicolas Gauvrit propose ici un ouvrage d’une grande originalité, comme le suggère aussi son titre « oxymoresque » : les surdoués peuvent-ils être « ordinaires » ? En fait, ce titre est excellent et indique d’emblée la démarche de l’auteur, maître de conférences et chercheur en sciences cognitives à l’École pratique des hautes études, longtemps membre de la rédaction de Science et pseudo-sciences. Il s’agit d’étudier la « douance » en tant que telle. Or, les images que tout un chacun peut véhiculer au sujet des enfants surdoués sont entachées de préjugés ou d’idées reçues, dont l’auteur va faire le tour, pour mieux déterminer leur validité. Et parmi ces idées reçues, beaucoup viennent de la mise en avant, dans les médias – mais pas seulement – des « cas » les plus étonnants, comme ces enfants surdoués qui ont pourtant des difficultés scolaires.

N. Gauvrit va montrer d’ailleurs combien ce problème peut gêner les recherches, car pour former des échantillons d’enfants à étudier, il y a souvent un fort biais de sélection dû aux moyens de déceler les petits « zèbres » 1. Ils sont souvent recrutés dans des associations de parents, elles-mêmes plus facilement fréquentées par des parents d’enfants ayant des problèmes que de petits surdoués plus « passe-partout ». Ou bien encore par les instituteurs qui, à l’inverse, signalent plus volontiers leurs éléments brillants, négligeant certains enfants turbulents, sans voir que c’est leur douance même qui les met parfois en porte-à-faux avec l’institution scolaire.

Cependant, le propos de l’auteur est (d’essayer) de s’affranchir de ces écueils pour donner le panorama le plus précis et complet possible des surdoués dans leur ensemble, les surdoués ordinaires, donc ! Il s’y prend d’une façon aussi pertinente que simple, grâce à des chapitres très bien construits : chacun commence par un témoignage ou une anecdote, rendant la lecture vivante, et se conclut par un utile petit encadré résumant l’essentiel. Entre les deux, chaque notion abordée (l’héritabilité de l’intelligence, le cerveau, l’hyperactivité, l’humour, la créativité, le sens moral, etc.) sera étudiée d’abord sur un plan général, puis « appliquée » aux enfants surdoués. Par exemple, N. Gauvrit explique ce qu’on entend par « sens de l’humour », la façon dont les psychologues ont entrepris de le mesurer et si les petits zèbres sont favorisés ou défavorisés sur ce plan par rapport à la population normale.

Du coup, pas besoin d’être surdoué pour lire ce livre ! Chaque domaine étudié nous concerne tous, d’autant que de nombreuses informations émaillent le livre, comme ces considérations sur le sens moral lié, aussi,à l’âge que nous avons. Ou encore des réflexions sur la difficile manière de « gérer » les surdoués : les aider ou les favoriser n’est-il pas une façon de renforcer les inégalités ?... Il semble en tout cas que la France ne se bouscule pas pour mettre en place des structures éducatives adéquates, ce que regrette tout de même l’auteur : « peut-on, au nom de l’égalité, forcer des enfants à subir des années d’ennui et de frustration intellectuelle ? ». N. Gauvrit a le mérite de relancer le débat, sur des bases scientifiques.

Finalement, une seule chose peut décevoir dans ce livre, mais elle est liée à l’honnêteté intellectuelle de l’auteur : trop souvent, N. Gauvrit est « obligé », par la pauvreté de certains résultats, ou la difficulté de trancher certains débats, de conclure son chapitre par une formule telle que « la littérature scientifique n’est pas suffisamment claire pour qu’on puisse conclure sur ce sujet », ou « la littérature sur la question est trop contradictoire pour qu’on puisse conclure avec certitude » et autre « nous ne le savons toujours pas en 2014, faute de données ». C’est souvent un peu frustrant pour le lecteur… Disons qu’on espère une deuxième édition, quand la science aura pu avancer. En attendant, cette lecture est très enrichissante sur bien des plans !

1 Le terme de zèbre a été introduit en 2000 par la psychologue Jeanne Siaud-Facchin. Bien que fort sympathique pour désigner des enfants que l’on présente comme « vifs, indomptables, parfois solitaires », ce terme suggère des traits caractéristiques que les personnes HPI n’ont en réalité ni plus ni moins que le reste de la population - mise à jour du 8 mars 2023.