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Courrier des lecteurs : janvier à mars 2014

Publié en ligne le 27 octobre 2014 - Rationalisme -

Tabac : les diverses mesures

Dans le SPS n° 307, de janvier 2014, nous publiions p. 91 des extraits d’une lettre du Professeur Martinet, Président du comité national contre le tabagisme, qui soulignait la ratification de la Convention Cadre de l’Organisation Mondiale de la Santé pour la Lutte Anti-Tabac (CCLAT), premier traité international de santé publique et d’ailleurs seul traité de santé publique à ce jour. Gilbert Lagrue, apporte des compléments.

Yves Martinet est un acteur très actif dans la lutte contre le tabagisme. Il rappelle les éléments de la convention cadre de l’OMS. Toutes ces mesures sont proches de celles du rapport de la Cour des Comptes, dont j’ai décrit l’essentiel dans mon article (« Le tabac : un risque majeur de santé publique », SPS n° 306, octobre 2013, pages 36 et 37). Elles doivent bien entendu être appliquées et la France est en retard sur certains points, comme je l’ai indiqué. En particulier pour l’aide à l’arrêt du tabac, nous avons un excellent réseau de tabacologues, mais l’implication des médecins généralistes reste encore insuffisante, notre modèle d’organisation ne permettant pas de suivre le programme de « smoking cessation du National Health Service ». Ainsi, ces actions risquent de rester insuffisantes à elles seules, pour les raisons que j’ai largement développées.

Bien évidemment, l’objectif final idéal est la disparition du tabac. Mais en attendant, il est nécessaire de revenir aux bases médicales. Pour ceux qui ne peuvent pas ou qui ne veulent pas réellement interrompre la cigarette, notre rôle de médecin est de les aider à réduire les risques courus. Cela est maintenant possible avec l’utilisation de la nicotine médicamenteuse et de la cigarette électronique. Dans une conférence récente à la Société de Tabacologie, Yves Martinet déclare que la diminution du nombre de cigarettes fumées est une illusion, car le sujet compense en inhalant la fumée plus profondément. Cela est vrai en l’absence d’apport de nicotine ; mais, par contre, si celui-ci est réalisé en quantité suffisante, l’inhalation est réduite, comme le montre la baisse importante du taux de monoxyde de carbone dans l’air expiré ; tous les tabacologues de terrain l’ont régulièrement constaté au cours des traitements nicotiniques. C’est également ce que fait la cigarette électronique, contre laquelle il est navrant de voir tant de résistance. Elle réduit immédiatement les risques de plus de 95 % et c’est là l’essentiel à court terme. Les nombreux articles médicaux, répertoriés sur « Pubmed » en moins d’un an, confirment largement cette notion.

Gilbert Lagrue

Les OGM sont-ils « nécessaires » ?

[…] vous aurez compris que je ne suis pas convaincu de la nécessité des OGM. Le projet d’agriculture écologiquement intensive – pour ce que j’ai pu en comprendre à partir de l’association qui le promeut (http://www.aei-asso.org/) – me semble plus prometteur pour le futur. Il constitue une évolution progressive et collective des comportements des acteurs de l’agroalimentaire (ce n’est pas de l’agriculture biologique pour autant ; il n’en partage pas toutes les valeurs).

En tant qu’espèce, nous devons notre survie à notre capacité à faire évoluer nos principes et comportements. Cultiver des OGM implique selon moi d’en rester aux principes d’agriculture développés en 1945- 1960 (labour profond, forte mécanisation, utilisation d’engrais et pesticides de synthèse, ainsi que le modèle diffusionniste des connaissances, où l’agriculteur ne peut pas déployer sa créativité technique et variétale). Personnellement, lorsque je constate chaque hiver le lessivage de l’argile des terres laissées à nu (afin d’économiser du temps de travail et l’achat de semences) et vois les rivières se charger de ces particules fines, je pense que cette forme d’agriculture comporte des principes erronés, et donc qu’elle doit évoluer. Et, selon moi, la logique de cultiver des OGM n’est valide que dans cette forme (ce système socio-technique) d’agriculture. D’où la pensée finale que les OGM peuvent constituer un frein contre de futurs développements possibles de l’agriculture.

Benoit R. Sorel

La raison de votre opposition aux OGM a le mérite d’être originale ! Mais elle n’est pas justifiée : utiliser les OGM, c’est tout simplement continuer à faire de la sélection génétique avec une technique supplémentaire. L’utilisation de variétés OGM est parfaitement compatible avec les différents modes de culture. Les OGM ne sont pas plus au service d’une agriculture intensive que les plantes classiques. Ils sont une prolongation et une extension de la sélection et non un renforcement du productivisme. L’exclusion des OGM de l’agriculture bio relève de l’idéologie, non de la science. La culture des OGM Bt résistants à des insectes est un des procédés de lutte biologique. La révolution des techniques de culture (culture sans labour, utilisation de drones, etc.) est indépendante de l’utilisation d’OGM qui bénéficieront de cette révolution, comme les plantes classiques. Les OGM sont utilisables dans n’importe quel système de culture. L’agriculture écologiquement intensive, aussi qualifiée d’agro-écologique, ne se fera pas sans une contribution majeure des agriculteurs. Cela implique qu’ils fassent preuve de créativité et ils ne s’en privent pas. Les agriculteurs ne sont donc pas dépossédés de leur créativité technique, bien au contraire. Pour relever le défi, les agriculteurs doivent être aidés car l’expérimentation comporte inévitablement des essais et des erreurs. Vous trouverez plus de renseignements dans le récent rapport sur les PGM (plantes génétiquement modifiées) de l’Académie d’agriculture, disponible à l’adresse suivante http://goo.gl/wTJdzd.

L-M. Houdebine

Encore les OGM…

C’est toujours avec plaisir que je lis votre revue Science et Pseudo- Sciences. Le moins qu’on puisse dire est que les articles poussent à la réflexion... Et c’est un bien. À propos d’OGM, dans le n° 306, dans votre réponse au lecteur, page 94 et 95, on peut lire « ... dont la dangerosité de ceux proposés à la commercialisation n’a jamais été établie ». C’est évidemment un point essentiel car les opposants aux OGM prétendent systématiquement qu’il y a danger pour la santé. [Suit un exemple trouvé dans Wikipédia indiqué par notre lecteur, qui s’inquiète…]

Roger Grandjean, Grand-duché de Luxembourg

Aucune technique n’est sans risque bien entendu. La technique OGM ne comporte en soi pas plus de risques que la sélection génétique classique en soi. Il est largement confirmé que les OGM actuellement commercialisés ne présentent pas plus de risques que leurs homologues classiques. Ceci n’est pas une surprise. Il serait étonnant que du maïs consommé depuis plus de 5000 ans par l’homme sans problème devienne néfaste pour les consommateurs par la simple addition de toxines Bt, couramment utilisées, et qui ne sont toxiques que chez quelques insectes. Les OGM de deuxième génération (type riz doré) comportent plus a priori d’inconnues car la plante a été délibérément modifiée dans ses propriétés biologiques, ce qui n’est pas le cas pour les OGM de première génération de type maïs Bt. Ainsi a-t-on récemment rejeté trois variétés de pommes de terre car elles contenaient trop de toxines naturelles (les solanines). Les OGM sont infiniment plus contrôlés que les variétés classiques, ce qui laisse peu de chance pour des risques sérieux. Les OGM sont les aliments les mieux connus et les plus contrôlés de l’histoire de l’humanité. Il faut enfin ne pas oublier de se poser la question : que se passerait-il si on n’utilisait pas d’OGM ? Et non pas seulement : quels sont les risques des OGM ? Les succès des OGM actuels (en particulier dans les pays pauvres) vont bien au-delà de ce qui était espéré et incitent à ne pas négliger l’utilisation des OGM.

L-M.H.

Pourquoi la psychanalyse ?

J’ai découvert votre site et me suis félicitée de cette initiative, essentielle pour éclairer et recadrer d’un point de vue scientifique un certain nombre de débats de société que le brouhaha médiatique vient trop souvent brouiller par des considérations idéologiques, passionnelles, racoleuses. Je suis médecin psychanalyste et me suis donc dirigée, aussi, vers vos rubriques « psychologie » et « psychanalyse », et là, je déchante ! ! ! Il me semble que pour ces deux disciplines, le site de pseudosciences. org se comporte très exactement comme ce qu’il souhaite combattre et qui a justifié, je pense, sa création, c’est-à-dire lutter contre des prises de positions partisanes, idéologiques, fantasmatiques qui flattent et favorisent la réaction émotionnelle du grand public, au mépris des données scientifiques validées et en l’absence de tout débat contradictoire argumenté. Science et pseudo-sciences n°308, avril 2014 89 Les prises de position de vos articles s’avèrent très massivement orientées au bénéfice notamment des thérapies cognitivo-comportementales, massacrant au passage les théories et dispositifs analytiques d’une façon primaire, arbitraire avec des arguments souvent fallacieux. Votre démarche devrait s’assurer qu’un véritable débat contradictoire reste présent dans des disciplines où la validation des résultats et des effets ne peut s’objectiver de la même manière [que pour les] sciences physiques ou mathématiques (ceci ne signifie pas pour autant qu’aucune évaluation des méthodes thérapeutiques ne soit possible).

La psychiatrie française est malade de ces guerres de religion. Les TCC et les thérapies analytiques ne théorisent pas de la même façon le sujet humain, son fonctionnement, son développement, ses défenses, ses modalités d’aide et de soutien, ses objectifs, n’utilisent pas les mêmes outils et ne possèdent pas, selon moi, les mêmes indications. Mais l’une n’exclut pas l’autre, elles appartiennent à des champs différents d’aides au patient en souffrance psychique.

Qui peut raisonnablement aujourd’hui penser le psychisme humain, son organisation, ses désorganisations, en dehors d’un ensemble infiniment complexe d’interactions encore à explorer entre le génétique, le psychologique et l’environnemental au sens le plus large ? Comment parler encore des maladies mentales en terme de « tout génétique » ou de « tout psychologique », dans la totale cécité de l’apport des neurosciences et de plus d’un siècle de clinique analytique ? La vraie question est comment l’environnement psychologique, affectif, relationnel, social interagit avec le potentiel génétique de chacun. Je veux dire par là que tout ce qui touche le cerveau humain et ses modes d’approches et de traitements ne peut souffrir la simplification, la réduction et finalement la stérilisation de la découverte du sujet humain.

Je souhaite longue vie à votre site et à l’association qui le soutient et appelle de mes vœux un débat nuancé et pluriel, véritablement vivant, qui reste à repenser dans vos rubriques psychologie et psychanalyse.

Isabelle Moley-Massol

Voici quelques éléments de réponse, forcément partiels. Vous nous reprochez d’écrire des articles massivement orientés au bénéfice des TCC, ce qui est vrai. Mais cela n’est en aucun cas le reflet de nos a priori ou d’une « religion ». Au contraire, c’est justement bien le résultat d’une recherche bibliographique et scientifique, que nous avons menée en suivant les principes de la science. Comme l’ont été aussi les différentes études de quelques agences, comme l’Inserm et son « fameux » rapport de 2005 [1]. De la même manière, nous défendons massivement la médecine basée sur les preuves, contre l’homéopathie ou la naturopathie, non parce que nous avons un a priori contre les médecines alternatives, mais parce qu’elles ne sont pas scientifiquement validées. La possibilité que psychanalyse et TCC puissent cohabiter, avec des indications différentes, est prise en compte dans les recherches. C’est pour cela que les études cliniques portent généralement sur une pathologie précise. Tout récemment, par exemple, une étude en double aveugle randomisée a démontré la supériorité de la thérapie comportementale sur la psychanalyse pour le traitement de la boulimie [2]. Dans certains cas, les thérapies comportementales ne sont pas efficaces, comme par exemple pour les troubles de la personnalité, et le fait est connu. D’ailleurs, certains résultats suggèrent que la psychanalyse pourrait être plus efficace que les thérapies comportementales ou une « thérapie placebo » pour ces troubles de la personnalité, mais les publications restent rares et l’effet, s’il était confirmé, serait relativement faible. À part ce cas, aucune pathologie n’est mieux soignée par la psychanalyse que par toute autre thérapie, selon l’état actuel des données scientifiques. À ma connaissance, aucun chercheur en psychologie scientifique n’aborde les maladies mentales sous l’angle du tout génétique ou du tout environnemental. Si l’on prend l’exemple de l’autisme, le fait d’avoir découvert une influence génétique n’implique pas que l’autisme soit uniquement génétique, et personne n’avance cette théorie. Les thérapies comportementales et cognitives abordent également les troubles en prenant en compte divers aspects, cognitifs, comportementaux et génétiques, mais aussi sociaux. Nous sommes donc bien d’accord sur la complexité des étiologies, et je ne pense pas que nous n’ayons jamais avancé une autre hypothèse. En revanche, cette idée, que j’ai souvent entendue, selon laquelle on ne peut pas simplifier la réalité est contraire à la démarche scientifique. Ce que vous dites ici du psychisme est tout à fait transposable à la physique par exemple (mais aussi à la biologie) : la manière dont les objets se déplacent dépend d’un nombre incalculable et quasiment infini de causes et de facteurs (magnétiques, gravitationnels etc.). Tout est soumis, par exemple, à l’attraction de toutes les étoiles existantes ! Pour autant, cela ne nous empêche pas de savoir avec une précision impressionnante quel déplacement peut avoir un objet lorsqu’il tombe, même si nous ne prenons pas en compte l’attraction des étoiles ni de la lune ou du soleil. La science passe nécessairement par une simplification, et on ne peut avancer qu’en négligeant les causes les moins importantes. Si on refuse de simplifier, afin de pouvoir modéliser, on ne peut plus rien dire de scientifique.

Nicolas Gauvrit

[1] Inserm (2004) Psychothérapie. Trois approches évaluées. Paris : Éditions de l’Inserm.
[2] Poulsen S ; Lunn S ; Daniel SIF ; Folke S ; Mathiesen BB ; Katznelson H ; Fairburn CG : A randomized controlled trial of psychoanalytic psychotherapy or cognitivebehavioral therapy for bulimia nervosa. AmJ Psychiatry 2014 ; 171:109–116